samedi 24 août 2013

Dans les rayonnages de la cave : notre discothèque idéale, 2/5

Suite de notre tour d'horizon des petites créatures de chevet qui hantent depuis plus ou moins longtemps les nuits des rédacteurs de ce blog. 20 disques supplémentaires, toujours par ordre alphabétique, quel que soit le style ou l'époque, toujours un seul par artiste ou du moins par projet, toujours du sombre, de l'immersif, du déglingué, du gothique, du déliquescent, parfois violents ou dérangeants, à d'autres moments contemplatifs, mélancoliques voire même planants mais toujours en proie à quelque tourment sous-jacent à l'image des albums que nous chroniquons depuis près d'un an et demi maintenant.

_____________________________________________________________________

- Clark - Body Riddle (2006)

Parce que les vrilles et les arabesques fracturées ne connaissent que peu de meilleurs maîtres, Clark devait en être, et avec lui Body Riddle. Pour les déconstructions jouissives, la fulgurance, les évolutions vicieuses, l’IDM à base de grand huit. Et pour The Autumnal Crush. Cela dit, on a une pensée pour Clarence Park, car dans le cas de Chris Clark, le meilleur est aussi au début. (M)



- Coil - The Ape Of Naples (2005)

Si les débuts du groupe à géométrie variable de l'Anglais John Balance n'ont pas toujours très bien vieilli, cet album posthume complété par son producteur et ami de longue date Peter Christopherson témoigne d'une carrière passée à repousser les frontières de la musique industrielle en affinant leur univers fantasmatique et torturé, dont l'orientation progressive vers l'ambient et l'électronique expérimentale continue d'infuser les rêves troublés de leurs héritiers les plus radicaux, d'Imaginary Forces à Fuck Buttons en passant par Bronnt Industries Kapital (cf. notre précédent volet) ou Ektoise. (R)


- Continuum - Continuum 2 (2007)

La rencontre entre Steven Wilson (Porcupine Tree, Bass Communion) et Dirk Serries (Vidna Obmana, Fear Falls Burning) aura donné deux albums hors-format parmi les plus ambitieux que le drone et le dark ambient aient jamais connu. Trois titres d'environ 20 minutes chacun (remixés pour certains par Justin K. Broadrick sur le tout aussi indispensable Continuum Recyclings Volume Two) et autant de plongées dans le cortex malsain de quelque reptile à visage humain, culminant sur ce second volet dont les riffs de guitares hiératiques et plombés flirtent avec le doom le plus poisseux et abstrait. (R)


- Council Estate Electronics - Kitsland (2009)

Énième projet du susnommé Justin Broadrick qui retrouve ici Diarmuid Dalton son compère au sein de Jesu et surtout Greymachine dont on reparlera, Council Estate Electronics voit les deux Anglais se délester des guitares bourdonnantes de leur célèbre projet shoegaze-metal pour évoquer à coups de pulsations anxiogènes et de synthés analogiques rampants et saturés les décors de béton d'un futur déserté. Kitsland doit autant à John Carpenter qu'aux incursions synthétiques de Final, projet solo de Broadrick que CEE laisse néanmoins loin derrière avec ce sommet d'anticipation crépusculaire balayé par les vents de limaille et de fumées délétères. (R)


- The Cure - Pornography (1982)

Situé quelque part entre un froid martial et l’urgence brûlante de crier ses démons pour mieux leur rendre hommage, Pornography demeure, increvable, comme un des plus beaux disques noirs qu’il soit. Dans ce cloaque pourtant, A Strange Day (favori personnel) donne envie de courir et de sauter partout. Un monument de coldwave donc, le plus funeste et le meilleur album des Cure. (M)



- The Curse Of The Golden Vampire - The Curse Of The Golden Vampire (1998)

Avant d'entamer la mue hip-hop de Techno Animal en compagnie d'El-P, Dälek ou encore Antipop Consortium au micro, les Anglais Justin Broadrick (encore lui) et Kevin Martin (The Bug, King Midas Sound) invitaient déjà Beans, rappeur de ces derniers à poser son flow mathématique sur Substance X : assurément le morceau le plus accessible de cette collaboration avec Alec Empire dont l'abstract industriel abrasif et strident sonne comme la BO imaginaire d'un cauchemar cyberpunk que viendra dynamiter six ans plus tard (mais sans l'Allemand cette fois) le brutal Mass Destruction, quelque part entre grind et digital hardcore. (R)


- Dälek - Absence (2004)

Étape logique entre la tension barbelée de Negro Necro Nekros (2002) et les nébuleuses post-shoegaze plus feutrées voire mélancoliques du parfait Abandoned Language (2007), Absence n'a rien d'un compromis pour autant, noyant le hip-hop noisy et martelé du rappeur Will Brooks et de son producteur Oktopus dans un abîme de guitares bourdonnantes et de drones lancinants. Peut-être pas aussi flippant que Derbe Respect, Alder enregistré la même année avec les vétérans krautrock de Faust et lorgnant plus que de raison sur l'indus et le dark ambient mais jamais beats viciés, atmosphères étouffantes et flow vindicatif ne trouveront pareil équilibre à nouveau sur un album entier du duo new-jersien. (R)


- Dazzling Killmen - Face Of Collapse (1994)

Extrêmement glauque, méchant et complexe, Face Of Collapse est le deuxième album de Dazzling Killmen mais le premier où le trio devient quatuor. Et avec une guitare en plus, leur musique s'épaissit : on retrouve les mêmes ingrédients que sur Dig Out The Switch, leur long-format inaugural - en gros, un noise-rock extrêmement agressif et technique s'appuyant sur une rythmique venue du jazz (ça ne s'entend pas et ça fait pourtant toute la différence) - mais décuplés, proches de leur version paroxystique, à l'image du morceau éponyme où calme plat et cavalcades saccadées et épileptiques se succèdent sur près d'un quart d'heure. Tout y est repassé au feutre noir, Nick Sakes éructe, sa guitare dessinant de profondes entailles dans des morceaux aux équations insensées. Un disque majeur qui demeure hors du temps par la sécheresse et la violence qui l'habitent. 20 ans après, son éclat froid et tranchant irradie comme aux premiers jours. (L)



- Deaf Center - Pale Ravine (2005)

Premier album du duo norvégien, Pale Ravine se dresse tout en jeux d’ombres et en inflexions dramatiques. Jamais désincarné, l’ambient blême et doux parcourt les rives d’un lac gelé, se fond aux cristaux des cimes et se mêle de néo-classique charnel. Chef-d’œuvre. (M)




- The December Sound - The December Sound (2007)

Sorti en 2007 sur l’allemand 8mn Musik, l’unique album à ce jour de The December Sound s’est vu réédité en 2012 par Cranes Records, label du Mans. Aussi magistral que lapidaire, The Silver Album convoque du shoegaze poisseux, l’hypnose la plus pure, des désillusions saturées et des froissures fiévreuses dont on ne vous cachera pas la sensualité. (M)



- Diabologum - #3 (Ce n'est pas perdu pour tout le monde) (1996)

La pire fiction d'anticipation jamais dessinée par le rock français en est aussi la plus fascinante et insaisissable créature. De ses géniteurs Michel Cloup et Arnaud Michniak, futurs Expérience et Programme, elle a hérité sa vision désabusée d'une société où les solitudes croisent à peine leurs regards vides d'espoir, sa gloutonnerie musicale phagocytant indus, free jazz, noise, samples de films, post-rock naissant (voire même hip-hop pour la scansion du fabuleux Les Angles anticipant les abstractions angoissées de Programme), sans parler de cette ambition narrative qui fera date sous nos horizons mais n'a toujours pas trouvé d'héritier digne de ce nom. (R)


- Diaphane - Samdhya (2010)

Ab Ovo était évoqué plus haut dans l’alphabet, en voici une moitié. Régis Baillet, dit artistiquement Diaphane, qui en 2010 a fait cavalier seul le temps d’un Samdhya qui parvient à entrelacer le chirurgical à l’organique, tant le disque semble prendre pied dans le givre des steppes. Plus craquelée qu’un sol hivernal, l’IDM de Diaphane manipule les silences, l’angoisse, la poésie et la démence. Un album qu’on ne saurait oublier. Et la suite est pour le 10 septembre. (M)


- DJ Hidden - The Words Below (2009)

Ardent et convulsif, le deuxième long format du néerlandais DJ Hidden a l’intelligence de laisser infuser des trames mélodiques, sorte de liant orchestral ou ambient, qui fleurit entre deux décharges. Laissant la place à des crapuleries au goût de breakcore et à du tabassage vicieux qui vous endort pour mieux faire mal, The Words Below est sans conteste un des meilleurs albums de drum’n’bass de ces dernières années. (M)



- Dr. Octagon - Dr. Octagonecologyst (1996)

Dr. Octagonecologyst, fruit de la rencontre entre Kool Keith (leader des influents Ultramagnetic MC's) et Dan The Automator (épaulés par Kut Masta Kurt à la production, Q-Bert aux platines, le flow de Sir Menelik et aussi DJ Shadow le temps d'un remix), est un chef d’œuvre. Il n'y a pas grand chose à en dire de plus. Ses samples foutraques, ses productions inventives et élégantes, ses paroles hilarantes et crues sur le sexe, la science-fiction et l'horreur et sa grande mélancolie culminent sur absolument tous les titres d'un album à la fois old school et novateur. Il n'a jamais vieilli et ne vieillira sans doute jamais, s'éloignant des classiques pour en devenir un à son tour. Monument. (L)


- Einstürzende NeubautenPerpetuum Mobile (2004)

Repue de la sauvagerie percussive des années 1980-90, la clique de Blixa Bargeld prend avec Perpetuum Mobile un ton à la fois respirable et entêtant, rigide mais bouleversant. La rondeur et la majesté du chant de Bargeld se conjuguent aux instrumentations martelées, métalliques et largement fondées sur du matériel à vent. Immense album dont le groove semble figé dans une gangue de métal et qui fait regretter de ne pas parler allemand. (M)



- Matt Elliott - The Mess We Made (2003)

En voilà un pour lequel les mots manquent. Parce que cet album peut vous changer à jamais, parce qu’il contient plus de désespoir, de sublime innocence qu’une vie ne saurait embrasser. Si les albums solo de celui qui se tient derrière The Third Eye Foundation confinent tous au sublime, The Mess We Made n’a jamais quitté le firmament. Comme dirait Rabbit : peut-être le plus bel album de la décennie. (M)



- Alec Empire - The Destroyer (1996)

Géniteur du digital hardcore avec Atari Teenage Riot, Alec Empire joue les fossoyeurs de la drum'n'bass en pleine suprématie des Goldie et consorts avec ce manifeste no future. A force de vouloir tout détruire, le Berlinois n'en finit plus de réinventer l'électro radicale et cette fois c'est le breakcore qui émergera de ce gargantuesque tas de cendres et de circuits rouillés dont les cauchemars épileptiques et le nihilisme déliquescent - qui n'ont sûrement pas manqué d'influencer Aphex Twin et son Come To Daddy - ont rarement été égalés depuis. (R)



- Empusae & Shinkiro - Organic.Aural.Ornaments (2011)

Rencontre du Belge Empusae, sommité de la scène électro-industrielle, et du Japonais Shinkiro, Organic.Aural.Ornaments verse dans un dark ambient cryptique, qui ne renie point les affections tribales du premier et fait la part belle à de longues traînées mélodiques. Un voyage au centre de la terre, lyrique et terrifiant. (M)



- The Ex & Tom Cora - Scrabbling At The Lock (1991)

Chacun son The Ex. Le mien est ouvert aux quatre vents et je ne retiens de leur discographie pléthorique (qu'un blog entier ne suffirait à détailler) que les albums de rencontre. Qu'il s'agisse du saxophoniste éthiopien Gétatchèw Mèkurya le temps d'un Moa Anbessa fabuleux ou du violoncelliste américain Tom Cora, c'est quand le collectif néerlandais frotte son post-punk aux frontières floues à d'autres que les siennes qu'il devient passionnant. Ce qui frappe ici, c'est le dialogue permanent entre ces guitares à la syntaxe singulière (et leurs allusions rythmiques à tout un tas de folklores) et le violoncelle sauvage, abstrait, riche et virtuose dessinant une sorte de cabaret punk extrêmement intelligent et atypique. Très sec, très long, fureteur et tout le temps intrigant, Scrabbling At The Lock est tout aussi marquant que sa pochette (la fameuse photographie d'un train "tombé par la fenêtre dans la rue" en gare de Montparnasse en 1895). En 1993 sortira And The Weathermen Shrug Their Shoulders sans doute un poil plus cohérent mais avec peut-être aussi un tout petit peu moins de surprise et donc de charme. (L)


- Field Rotation - Acoustic Tales (2011)

Dans la catégorie œuvre électro-acoustique qui bouleverse tout sur son passage, impossible d’omettre Acoustic Tales. Entre des précédents plus électroniques et des travaux récents superbes et foncièrement ambient, cet album s’inscrit dans l’œuvre de Chistoph Berg comme un joyaux terrassant, étoffé de cordes plus sensibles que des terminaisons nerveuses, et pétri d’une beauté qui déchire doucement à l’intérieur. (M)
______________________________________________________________________

En espérant vous avoir donné quelques pistes de découvertes diverses et variées, et que celles-ci vous marqueront autant que nous.

La suite bientôt...

Manolito, leoluce & Rabbit

1 commentaire:

  1. Tellement d'accord pour le Deaf Center et The Mess We Made (surtout celui ci en fait aha).

    RépondreSupprimer