vendredi 2 octobre 2015

dimanche 21 juin 2015

Spectrum Orchestrum - Suburbs


Date de sortie : 16 octobre 2014 | Label : autoproduction

On est très très en retard concernant ce Suburbs. Il faut dire aussi qu'il a fallu du temps pour l'apprivoiser. Non pas qu'il soit excessivement tarabiscoté, expérimental ou retors, rien de tout ça et même au contraire. De prime abord, il s'est montré un poil trop policé. Très mélodique. Trop velouté. Son jazz pas assez free, son rock trop peu déconstruit. Du coup, il est parti réintégrer le disque dur et s'est fondu dans la foule des occurrences vite écoutées et tout aussi vite oubliées. Mais à chaque fois que le regard scannait les fichiers, les mots Spectrum Orchestrum avaient le don de s'extraire par eux-mêmes du tout venant. L'histoire que l'on peut avoir avec un disque tient finalement à peu de chose. Parce qu'avec Suburbs, il y en a une et elle continue encore. Trop policé ? Tu parles. En dehors de l'entame effectivement calme et presque sirupeuse du titre éponyme, les îlots plus rugueux ne manquent pas. Et lorsque l'Orchestrum n'est pas renfrogné, il devient énigmatique. D'où le "Spectrum" qui vient précéder le mot d'avant. D'ailleurs, le parfaitement bien nommé Prélude : La Profondeur du Chant plante sans attendre le décors, dialogue qui devient grondement entre une flûte et tous les autres instruments, aussi court que mystérieux. Bref, on s'en veut un peu de n'avoir pas su déceler tout de suite la densité de Suburbs et de s'être laissé berner par une première écoute distraite. La musique des Lillois est bien plus complexe qu'elle n'en a l'air. Elle est certes veloutée mais aussi capiteuse et sous ses atours fantomatiques, elle cache une ossature extrêmement ciselée. On ne se lance pas comme ça dans le Lonely Woman d'Ornette Coleman par exemple sans avoir quelques arguments, ce que possède indubitablement le quintette. Le clavier septentrional (Benjamin Leleu) et le saxophone (William Hamlet) carillonnent joliment. Ils apportent tout à la fois le côté crémeux et les accents hallucinatoires donnant au disque son aura spectrale. Sans eux, les morceaux seraient trop carrés ou au contraire, trop dilués. Il en va de même pour la guitare qui, tour à tour, impulse le mouvement puis accompagne. Souvent au milieu, parfois tout autour, Olivier Vibert extirpe de ses six cordes des plaintes lointaines qui habitent parfaitement les fantômes mis sur pieds. Basse (Philippe Macaire) et batterie (Adrien Protin) fournissent quant à elles ce qu'il faut de plasticité et de malléabilité pour que tout puisse tenir debout.

Ce qui frappe d'emblée, c'est ce goût immodéré pour l'entre-deux. Les frontières, les carrefours et les limites, c'est bien sur eux que se tient inlassablement le Spectrum Orchestrum. Quelque part entre jazz, rock et prog-rock, le groupe définit lui même sa musique comme du "sax rock spectral", ce qui est effectivement bien vu. Ce que l'on veut dire par là, c'est qu'elle ne relève ni des uns ni des autres tout en n'étant pas autre chose. Le mélange pouvait s'avérer un brin casse-gueule et se vautrer dans la muzak mais il ne le fait pas : dès qu'un morceau devient trop progressif, le Spectrum s'emballe d'un coup sans prévenir (la fin du premier tiers de Suburbs par exemple) et choisit de montrer les crocs. De la même façon, quand il emprunte le chemin d'Ornette Coleman, l'Orchestrum ne peut s'empêcher de faire quelques pas de côté. Certes, le saxophone calque sagement sa démarche sur les empreintes de Lonely Woman mais il n'est pas seul et se fait vite rejoindre par les autres instruments qui débordent alors et l'éjectent de la trajectoire. Puis il revient en les poussant à son tour dehors. D'abord jazz, le morceau devient rock pour finir rampant. Un jeu d'équilibre très maîtrisé qui pousse les ambiances à se succéder sans à-coups. Pour preuve les seize minutes d'un magnifique Mantra qui se montre parfois bien énervé tout en restant indubitablement ce qu'il est : un mantra. Varié, Suburbs est aussi hanté. Il y a du Robert Wyatt à certains moments dans cette musique, du King Crimson à d'autres mais pas que et finalement, c'est plutôt à Toc que l'on pense et pas seulement pour les interventions toujours déterminantes de chacun ou pour l'artwork (superbe, une fois encore) signé Jérôme Minard. Il y a chez les deux formations ce petit supplément d'animalité qui fait toute la différence. Un petit quelque chose en plus qui explique sans doute pourquoi on apprécie fortement Suburbs quand on est habituellement réfractaire aux musiques progressives. Pas une once de démonstration technique ici mais, à la place, des musiciens entièrement dévoués à leurs longs morceaux. Une grande unité d'ensemble qui participe fortement à la singularité du Spectrum Orchestrum et explique tout l'intérêt qu'il faut lui porter.

Voilà une belle tranche passionnée de musique exigeante qui ne se dévoile que lentement. Vous y trouverez certes de nombreux accents suspects qui pourraient vous faire dévier de la route spectrale tracée par les Lillois. Pourtant, derrière ses atours de prime abord quelconques, Suburbs cache une vraie vision, une patte. Sa singularité devenant évidente une fois que le disque a fini par vous envelopper, se cachant dans les motifs répétés d'une guitare, dans le grondement souterrain d'une basse ou d'un clavier, dans les envolées virevoltantes d'un saxophone. Tout cela à la fois, en même temps. Il y a indubitablement de la puissance chez ce pourvoyeur d'hypnose. À tel point que l'on finit par devenir spectre à son tour.

Excellent.

leoluce

dimanche 3 mai 2015

Chaos Echoes - Transient


Date de sortie : 20 avril 2015 | Label : Nuclear War Now ! Productions

Pizzicato et cloches solennelles. Avec une telle entame habitée, Chaos Echoes annonce sans attendre la couleur : explorer sa mystique, Transient pour en cartographier les contours. Des chœurs liturgiques hantent d'ailleurs une bonne partie de Senses Of The Nonexistent, long rituel introductif tout à la fois hiératique et païen. Une messe noire dédiée à un culte que l'on ne connait pas, qui ne nous est sans doute pas destiné mais dans lequel, pourtant, on se laisse emporter. Difficile de faire autrement quand les minutes se comptent en secondes et que les morceaux coulent les uns dans les autres sans que l'on se rende compte de quoi que ce soit. Chaos Echoes déploie toute son épaisseur dissonante sur sept titres qui sont autant d'épopées singulières, toujours sombres, jamais identiques mais fortement liées. Il en résulte un album dense et fracturé où se mêlent toujours death metal et expérimentation, technique sans faille et exploration avec, cette fois-ci, l'impression que le groupe a parfaitement réussi à fondre tous ces éléments les uns dans les autres, atteignant un point d'équilibre qui lui permet d'exprimer ce qu'il a dans le ventre en utilisant pleinement toute l'étendue des armes qu'il sait avoir à sa disposition. Aucune démonstration ici mais un message très personnel. Très cérébral aussi c'est vrai. Et alors ? En quoi faudrait-il reprocher à Chaos Echoes de soigneusement peser ses mots, d'être le plus précis possible quant à ce qui le taraude et qu'il veut nous faire parvenir ? Que le propos exige des enclaves ambient bien noires ou de longs riffs tordus, des gouttes de drone lourdes et massives ou un tempo largement lent, des guitares-enclumes ou des râles discordants, peu importe, il demeure clair tout du long. Ce n'est pas une litanie, encore moins une logorrhée que le groupe donne à entendre, c'est au contraire un discours parfaitement bien construit.

Coincé pile-poil entre Tone Of Things To Come et Duo Experience/Spectral Affinities, Transient balance du zeuhl dans son death, sans doute encore plus qu'avant et s'il reste fidèle à son credo, il en repousse néanmoins les limites. L'ensemble est tout à la fois monolithique et extrêmement varié. Les Interzone, épilogues-prologues, finissent patiemment d'effilocher les morceaux qu'elles suivent tout en fournissant corps et chair à ceux qu'elles précèdent. La IV (Intoxicating Beauty, la bien nommée) se charge par exemple de la transition entre le long rituel introductif (Senses Of The Nonexistent déjà évoqué) et Advent Of My Genesis, plus clairement typé death bien qu'encore largement tangentiel sans que l'on ne ressente le moindre à-coup. De la même façon, le final psycho-death avec claviers imposants et martèlements mastodontes de ce dernier morceau trouve idéalement sa suite dans l'Interzone V qui prépare tout autant au déferlement de Kyôrakushugi et ainsi de suite. La dynamique sans cesse mouvante se retrouve néanmoins préservée tout du long. Chaos Echoes joue sans arrêt sur la différence et le paradoxe : pour un passage massif, le même complètement larvé, pour un bout de sauvagerie, le même d'apaisement et ainsi de suite, le plus souvent au sein du même morceau mais aussi entre eux si bien que très vite, on largue les amarres et on vit le disque bien plus qu'on ne l'écoute, on oublie les morceaux et l'on se retrouve à écouter des fragments avec tout autant de sidération que lorsqu'on découvre l'ensemble à la toute fin. Du death prototypique mais aussi fortement tangentiel avec nombre d'incursions pyschédéliques, jazz, black et ambient, une somme mastodonte qui pourtant n'assomme jamais et se montre accorte et accueillante pour peu que l'on fasse l'effort d'y entrer, sachant qu'à aucun moment Chaos Echoes ne viendra vous chercher ou ne vous tendra la main.

On ne dira pas que l'album se mérite parce qu'on pourrait croire alors qu'il se réserve uniquement à quelques personnes, les seules à même de comprendre, ce qui n'est nullement le cas. Chaos Echoes joue ce qu'il est et ce qu'il est donne Transient. Il n'y a rien à comprendre, tout à ressentir. Sa vibration intrinsèque est certes parcourue d'ondes occultes, enfouies et donc mystérieuses mais il se trouve qu'elle fait bien souvent écho à celle que l'on a au plus profond de soi. Au bout d'un moment, les pensées deviennent parallèles à celle du disque et réciproquement, on en fait alors tout simplement partie. Difficile d'extirper un titre de la masse, tous se valent, les enclaves Interzone se révèlent probablement les plus expérimentales, les morceaux qu'elles encadrent, les plus carrés bien que le tremolo morbide des guitares, les ondes déviantes et mortifères de la basse associées au jeu conquérant mais extrêmement plastique de la batterie réfutent une telle appellation et ce ne sont pas les multiples effets balancés ici et là qui rendront à l'ossature son orthogonalité supposée. Chaos Echoes, bien que minutieusement technique, se drape d'une aura voilée, de guingois, c'est une écaille visqueuse et noire qui file entre les doigts. En permanence. La tête desséchée du superbe artwork (une nouvelle fois élaboré par le bassiste Stefan Thanneur) montre bien que la matière cérébrale se trouve entre les sillons après avoir déserté la boite crânienne. Le disque est tout à la fois intelligent et primaire, une belle gageure qui confère à Transient et à Chaos Echoes toute leur singularité.

Remarquable.

leoluce





vendredi 24 avril 2015

Sufjan Stevens - Carrie & Lowell

Sortie : 30 mars 2015 | Label : Asthmatic Kitty 

Ceci est bien une énième chronique de Sufjan Stevens, qu’on pourrait d’ailleurs estimer légèrement déphasée par rapport à la ligne éditoriale de ces lieux. Si j’aimerais démontrer vaillamment le contraire, la raison pour laquelle ces lignes atterrissent ici tient surtout du gigantesque coup de cœur personnel – partagé avec des foules, certes, mais qui expliquera l’utilisation abusive de la première personne du singulier – et d’une envie d’en parler de l’ordre de la démangeaison. Il n’y aura pas ici d’analyse discographique approfondie, pour la simple et bonne raison que, des disques du bonhomme, je n’ai jamais écouté que Illinois, sorti en 2005. Ceci est donc une chronique de fan, mais de fan qui vient de se réveiller, les yeux un peu collés, et qui découvre qu’il fait un temps magnifique et que Sufjan Stevens a sorti un nouvel album.

Dans la vague de commentaires et de décorticages qui a accompagné le succès critique que connaît le disque depuis sa sortie, il a été question de retour aux sources, vers une tonalité intimiste qui le rapproche d’Illinois justement, et d’une potentielle et réjouissante inscription dans le « 50 states projet ». Nul doute que, formellement, l’ambiance est au dépouillement. Ni batterie, ni banjo, ni bricolage électronique, Sufjan n’enveloppe sa voix que de piano et de guitare acoustique, épure qui sied à l’histoire retracée. Lowell comme le beau-père de l’Américain, Carrie comme sa mère, morte en 2012, à laquelle le disque est dédié. Avec son air d’écorché bienveillant, le fils parvient à dire la souffrance, le poids du deuil, la maladie de sa mère, son absence, avec une lumière dans la voix et une caresse dans la mélodie qui tient du miracle. Si quelqu’un était en quête d’un cas pratique du verbe transcender, dites lui d’arrêter de chercher. Ce n’est pas humain de rendre si heureux à partir de tant de tristesse. Now I’m drunk and afraid, wishing the world would go away. What’s the point of singing songs. If they’ll never even hear you ?
Face à Carrie & Lowell, impossible de ne pas refaire le coup du disque qui résonne à la première écoute, dans lequel on s’engouffre avec le sentiment d’être enfin arrivé chez soi. Mais c’est dans la répétition que le rapport développe toute sa magie. L’écouter dix fois, cent fois, n’écouter que ça, et, prodige, s’émerveiller de la même façon, à chaque écoute, de chaque morceau, comme si la lassitude était un concept inopérant, un truc de faible. Revenir au temps où on avait 14 ans, avec dans les mains, comme si c’était un putain de trésor, un hors-série des Inrocks qui consacrait Illinois comme le deuxième meilleur album de l’année. Se dire en lisant les mots, les descriptions, les émotions, que journaliste musical devait vraiment être le plus beau métier du monde. Recevoir le disque à noël et écouter John Wayne Gacy, Jr. pour les dix années à venir. Carrie & Lowell a cette capacité de rapprocher l’exaltation d’un gamin qui tape dans le ballon, la détresse d’une vieille qui a trop vécu, la douleur de celui qui a perdu, le goût de l’adolescence dans la France rurale et celui des yaourts au citron dans une petite ville de l’Oregon. Il appartient à soi et à la terre entière à la fois, pour les dix, les cent années à venir. 

Manolito


lundi 20 avril 2015

Antoine Chessex - Multiple


Date de sortie : 10 mars 2014 | Label : Musica Moderna

Multiple dément un peu son titre, on y trouve en tout et pour tout qu'un seul musicien et son instrument. Toutefois, on a souvent l'impression d'entendre quelque chose qui se rapproche du langage intérieur, dans toute son hétéroglossie : ses voix sont légion, son altérité importante. Et comme tout langage intérieur, celui-ci ne s'arrête jamais. Depuis la naissance du disque jusqu'à sa toute fin, pas un silence mais une litanie ininterrompue et fascinante. D'abord circulaire et virevoltant, le saxophone ténor tourne en rond sans qu'à aucun moment la musique ne fasse de même, un peu plus loin, il s’aplatit tellement qu'il revêt une épaisseur à peine plus consistante que le néant mais il peut également se montrer grondant en mettant sur pieds un bourdon dense et vibrionnant. Vingt-sept minutes métamorphes et au relief changeant, vingt-sept minutes tendues qui ne perdent pas de temps tout en prenant celui de bien construire leurs mouvements. Ça passe très vite et ça mute si insidieusement qu'au moment même où l'on se dit que rien ne s'y passe, ça va justement voir ailleurs. Antoine Chessex construit patiemment ses motifs, explore les possibilités de l'espace, du souffle et de son instrument qu'il aime démultiplier, le saxophone devenant alors pluriel et donnant à entendre toutes ses voix en même temps. Pourtant jamais de cacophonie ici, ce dernier se montre en permanence étonnamment clair si l'on se réfère à ce qu'il subit chez Monno. Sur Multiple, on le reconnaît sans peine et on suit ses circonvolutions sans se demander sans cesse si c'est bien lui que l'on entend, ce qui ne rend pas la tâche forcément moins ardue.

La pièce unique peut se découper en trois trajectoires tout à la fois entremêlées et distinctes : une entame circulaire, un développement rectiligne et un drone terminal absolument rampant qui amène tranquillement le souffle jusqu'à sa totale extinction. Toutefois, à l'intérieur-même de ces trois mouvements, les lignes de saxophone empruntent une multitude de micro-bifurcations qui maintiennent bien vivante la tension qu'exhale Multiple tout du long. Abstraite mais aussi très accaparante, la pièce se déploie dans toutes les dimensions. On a tout d'abord l'impression que les différentes voix se cherchent, affolées, qu'elles tourbillonnent dans un espace délimité par des parois invisibles à la manière d'un gros insecte piégé sous un verre. Progressivement, le souffle continu se déploie en arborescence, construit un motif principal qui devient pluriel, chaque branche se répète à l'infini en variant sa vitesse en même temps qu'un drone maousse bétonne les fondations. L'ensemble donne le tournis. Et puis le bourdon disparaît, ne restent que les aigus qui finissent par se muer tous ensemble en drone incisif où, semble-t-il, du chant se cache par intermittence. À ce moment-là, la pièce est toujours virevoltante mais elle file pourtant droit devant. Plus loin, le souffle devient sirène, des plaintes déchirantes sortent des enceintes et subitement, les notes hautes s'évaporent, la composition rejoint les soubassements en explorant le bas du spectre où elle finit par s'enterrer elle-même. En multipliant ainsi les itinéraires et les saxophones, les tonalités et les textures, Antoine Chessex façonne une musique paradoxalement minimaliste et en permanence sidérante.

On est bien loin de Monno dans le traitement du son mais on retrouve pourtant dans Multiple la même intransigeance et le même goût forcené pour l'expérimentation. Une patte qui inonde cahin-caha toute la discographie d'Antoine Chessex. Ce disque-ci montre quelque chose de très extrémiste pourtant débarrassé du moindre oripeau plombé, quelque chose d'abstrait qui reste en permanence fluide. Sans accrocs ni temps morts, il raconte une histoire au long court dont on n'entend que quelques fragments mais qui reste en permanence cohérente. Une histoire qui n'appartient qu'à lui. Enfouie et discrète. Un langage intérieur qui, par le jeu du saxophone, vient habiter l'espace tout autour. C'est peu dire que l'on est bien content d'en faire partie.

Magistral.

leoluce

lundi 13 avril 2015

DEAD - Transmissions Verse


Date de sortie : 25 mars 2015 | Label : Cold Dark Matter Records

Des murs de guitare agrippés à un poum-tchak mécanique, sa rigidité quasi-cadavérique le rendant presque mort quand le reste se montre pourtant bien vivant. Certes, la voix semble venir d'outre-tombe mais elle s'acoquine avec des nappes mastodontes où l'on sent pulser le sang. Human Light en ouverture, un plan d'ensemble qui situe l'espace et le temps, quelque part sous terre et quelques années en arrière. Le froid d'une morgue. Sous les décombres, les cadavres s'amoncellent et la révolution industrielle, depuis bien longtemps, a montré son vrai visage et se dilue dans un post préfixé, grisâtre et désespérant. Dans ces conditions, pourquoi ne pas s'appeler DEAD. Bien vu. Ça traduit exactement ce que l'on entend. Les morceaux sont froids et sombres. Mais jamais maladifs. Ils montrent même une belle majesté et se posent là avec un aplomb forcené qui les fait tenir droits alors qu'ils poussent sur un parterre autrement glauque et gluant. On est plus proche de l'agonie qui précède le dernier souffle que du pourrissement qui le suit immédiatement. C'est bien pour cela que l'on entend de-ci de-là des poussières de vie : la voix qui passe au premier plan, un rythme enlevé ou un effet presque guilleret dans un paysage par ailleurs complètement noir et moribond. Post-punk et EBM, indus et shoegaze délimitent le pré carré où le trio déploie ses vignettes sombres, déviantes et sidérantes. Transmissions Verse, en regroupant sur une même cassette les deux EP que presque deux années séparent, montre que DEAD ne se contente pas de répéter une formule. Le groupe l'affine et la pousse à muter insidieusement. Bien sûr l'atmosphère reste inchangée et on n'y trouvera jamais le moindre degré excédentaire mais pour le reste, le propos devient plus complexe tout en gagnant en clarté. Une belle gageure quand on y pense. 

On aime déjà beaucoup Transmissions, ces trois premiers morceaux presque gémellaires et son épilogue plus posé et aéré. C'est évidemment très référencé sans pour autant correspondre pile-poil à quelque chose que l'on a déjà entendu. L'amalgame est plutôt bien dosé. On peut tout aussi bien y entendre du Sonic Youth que du Bauhaus, du Lycia que du Jessica 93 par exemple mais toujours à dose homéopathique, un grand écart stylistique un brin casse-gueule qui s'avère pourtant très personnel. DEAD ne ressemble avant tout qu'à lui-même. Pour autant, sa musique s'avère prototypique et quand on l'écoute, difficile de passer outre ses accents foncièrement post-punk (dans la déclinaison dark wave de cette contrée-là) qui nous ramènent en arrière, toutefois on y trouve aussi des éléments qui nous projettent droit devant : les guitares acérées, les bidouillages électroniques, la voix noyée dans la masse concourant à rendre les morceaux massifs tout en préservant leur côté désespéré. Il y a de la rage là-derrière, l'envie d'en découdre et cela suffit à préserver Transmissions du déjà-vu ou du bête hommage. Des lames éthérées de Human Light aux ornements tribaux de No Place For Us qui campent une déclinaison actualisée et plombée de Suicide, des attaques vrillées de Revelation au coton mauvais et infiniment triste d'Anyway, DEAD arbore l'air crâne de ceux qui savent où ils vont alors qu'il ne s'agit là que d'un premier essai. Ça ne pouvait si bien commencer.



On aime tout autant Verse qui voit le trio développer son architecture dans toutes les dimensions : la voix est beaucoup plus en avant, la guitare plus claire mais aussi plus écorchée, même les percussions robotiques ont gagné de l'ampleur pourtant la musique reste exactement la même. L'impression d'entendre le chant des glaçons ou un chœur de chambre froide. Les aigus amènent paradoxalement beaucoup de chaleur mais le soubassement électronique demeure infiniment glacial. Par un jeu de connexions pas claires, la fin de Loser convoque le Shout de Tears For Fears sans que cela ne gêne le moins du monde et lorsque retentit Push, on se dit que DEAD a gagné en muscle et en nerf. Pour autant, la silhouette qui se tient là devant nos yeux reste décharnée, on jurerait qu'elle rampe sur My Friend et ce n'est certainement pas Firedrop qui lui permettra de relever la tête. Un troupeau d'éléphants neurasthéniques laboure le thorax alors que la scansion du chant entre comme par effraction dans la boite crânienne. On entend même le fantôme d'Ian Curtis hanter le morceau. Prends ça et meurs, sale bête ! Quatre titres qui passent bien trop vite, quatre titres qui s'amalgament parfaitement aux quatre précédents. Transmissions Verse est ainsi un ensemble homogène qui agit à la manière d'une longue mise au point, d'abord un peu floue, les contours s'affinent, la vague froide dévoile de belles arabesques et DEAD s'affirme peu à peu, s'approchant toujours un peu plus de ce qui l'habite pour l'amener à nous habiter nous aussi. Patiemment, il nous communique ses fantômes. On les accueille à bras ouverts.

On ne saurait trop remercier Cold Dark Matter Records d'avoir réuni ces deux-là sur une même cassette et on a beau ne pas trop apprécier ce format trop fragile, on n'y trouve pas grand chose à redire. On préférera toujours quelque chose en dur à l'immatérialité. Et puis avec sa couleur dorée et son emballage vraiment classe (élaboré par Benjamin Moreau), elle finira par nous pousser à ressortir le vieux lecteur des familles laissé trop longtemps au grenier. Peu importe, l'objet est encore pertinent, il va de soi que le contenu l'est tout autant. Le trio rennais (la voix de Berne Evol, la guitare de Brice Gill et les machines de Bernard Marie que l'on retrouve aussi à la production) exhale un spleen qui touche en profondeur et renvoie immédiatement à celui que l'on a en soi.

Rigide et froid sans doute mais tellement salutaire.

leoluce

dimanche 15 mars 2015

CONVULSIF - CD3


Date de sortie : 03 avril 2015 | Label : Get A Life ! Records

De prime abord, si l'on s'en tient au line-up (Jamasp Jhabvala, violon et électronique ; Christian Müller, clarinette et électronique ; Loïc Grobéty, basse et chant ; Maxime Hänsenberger, batterie), on s'attend à ce que des mélopées voluptueuses s'échappent des enceintes et recouvrent l'espace d'un tapis électroacoustique élégant et charnu. On attend du jazz. En revanche, pour peu que l'on s'en tienne à la jaquette, on se demande si les neurones n'ont pas fait fausse route. La tache de Rorschach qui l'ornemente précipite plutôt l'esprit dans les contrées sombres des étagères, là où l'on range les disques crispés et méandreux (le noir et le gris de la créature qui se tient là rappellent d'ailleurs plus ou moins ceux du Temple Of The Morning Star de Today Is The Day). D'autant plus que le line-up précité se cache sous le patronyme de CONVULSIF. Envolé le jazz, place aux spasmes et aux incantations. Et c'est exactement ce que donne à entendre la Part 1. Mouvante et martelée, elle entame une fuite en avant définitive vers l'anéantissement d'un mur invisible qu'elle seule voit. Elle peine à refréner les ondes stridentes qui s'en échappent, violon et clarinette hurlant de concert, la batterie et la basse tabassent tout ce qui bouge et nous avec. La clarinette tente un solo, surnage un instant mais se retrouve impitoyablement noyée dans la masse et subitement, ça s'arrête. Le silence larvé qui envahit la piste met en exergue ce que l'on vient d'entendre et se montre tout aussi bien vu que bienvenu. La tension est maintenue et amène idéalement la Part 2, répétitive et endémique, portée par une basse martiale constituant l'ossature autour de laquelle s'enroulent tous les autres instruments. Jusque-là, la musique se tenait debout, dans une course effrénée contre le temps et maintenant, elle rampe et fait corps avec lui. Tout cela se montre un brin aliéné au même titre que la voix dérangée qui hante la Part 3. Un cri ? Une complainte ? Un mantra ? Un truc pas net en tout cas, qui s'insère parfaitement dans le maelstrom fuselé se tenant en-dessous. Rien à voir avec le drone sépulcral qui suit et encore moins avec la Part 5, sans doute la plus structurée, peut-être aussi la moins surprenante. Car c'est bien quand CONVULSIF efface le cadre qu'il accapare, dès qu'il devient carré, une part du mystère s'enfuit. Toutefois, les riffs de basse laissent rapidement la place à un beau bazar et on retrouve bien vite le vortex grouillant qui constitue l'ordinaire de ce CD3 assez impressionnant. Cinq titres, ce n'est peut-être pas beaucoup mais leur intensité est telle qu'en mettre plus s'avère inutile.


Comme son nom l'indique, deux autres albums ont précédé celui-ci et chacun a visé le mélange des genres, dans des styles certes différents mais dans l'amalgame avant tout. Territoire musical hérissé accueillant qui veut participer, CONVULSIF cultive l'improvisation et s'impose un dogme : garder la même composition mais la métamorphoser en fonction du line-up, des arrangements et des aspirations de chacun. Et là où on l'on pouvait encore trouver quelques parties acoustiques sur les CD1 et 2, le 3 ne conserve aujourd'hui que l'électricité. Clarinette et violon amplifiés subissent nombre d'effets, l'électronique déborde et la basse titanesque n'est jamais esseulée dans les compositions-improvisations de CONVULSIFLoïc Grobéty, tête pensante du projet et seul maître à bord explique d'ailleurs avoir stabilisé le groupe autour des membres actuels puis creusé l'exploration du métal extrême. Il en résulte quelque chose de plus libre et de plus fou. On y entend évidemment beaucoup d'éléments issus des sphères black ou doom mais aussi du grind, du jazzcore, de l'ambient et du drone recouverts d'échardes noise pour un résultat extrêmement varié mais paradoxalement monolithique où prédominent la nuit et le froid. Jusqu'au-boutiste et sombre, la mixture convulse fièrement et l'exécution habitée des cinq titres de l'album suffit à faire naître ce qu'il faut de sidération pour qu'on y revienne souvent. C'est court - une petite demi-heure - mais c'est aussi très dense et l'on oublie bien vite toute notion de temps face aux assauts répétés de la machinerie suisse. On se déplace sur un segment reliant Sunn O))) à Monno et si tout ne brille pas toujours par sa grande originalité (le début de la Part 5 encore une fois), les déflagrations continues permettent in fine d'adhérer à l'ensemble de ce CD3. Fulgurant mais aussi très bien rangé, on s'étonne d'abord que rien ne dépasse et l'on se rend bien vite compte que l'absence d'accident n'altère absolument pas le propos majoritairement accidenté. C'est qu'en intellectualisant à ce point sa démarche, CONVULSIF avait tout à perdre puisque le metal se nourrit aussi de spontanéité. Le risque était grand de sombrer dans une surenchère sans âme où seule l'exécution clinique est tolérée or, en injectant des enclaves improvisées et autonomes à l'intérieur même de leurs morceaux, les Suisses coupent toute possibilité de retraite et s'interdisent par là même de devenir des petits robots du bruit. Dès lors, si la musique de CONVULSIF est à ce point ciselée, on finit par se dire que c'est pour mieux pénétrer les couches tendres de l'épiderme et balancer une multitude de stylets soniques et contondants sur le cortex pour y faire le maximum de dégâts.

Parfaitement équilibré, touche-à-tout et filant droit devant en injectant force expérimentation dans ses amoncellements extrêmes, CONVULSIF commet un CD3 monolithique et oppressant, certes, mais surtout jubilatoire et brillant.

leoluce

dimanche 8 mars 2015

SVIN - s/t


Date de sortie : 15 novembre 2014 (Danemark), 03 avril 2015 (Europe) | Label : PonyRec

SVIN, d'après un outil de traduction fort peu développé, signifierait "Porcs" en danois. Pour le reste, difficile d'en savoir plus. Enfin, si, un peu quand même. SVIN a une mission : "to create a greater genre diversity in a world where the music industry's cash register sets the agenda". Effectivement, à l'issue de l'écoute de ce troisième album, sobrement intitulé SVIN, on se dit que le but n'est pas loin d'être atteint. Joliment anticommercial et proprement métamorphe, les étiquettes et les codes-barres n'adhèrent que modérément, voire pas du tout, sur le vortex massif et échantillonné des Danois. Pour le reste, on y entend beaucoup de choses et on en ressent tout autant. Et même si l'on regrette sa très courte durée, on aime l'écouter et l'écouter encore. On y entend du jazz, d'obédience free, de la noise, du drone et du rock'n'roll (ou tout autre chose acoquinée au vocable rock, du math au punk jusqu'au post) et ça se range de prime abord - et sans qu'on le veuille vraiment - à côté d'Ultralyd par exemple ou en tout cas dans ces contrées-là de la boîte crânienne. Et puis les morceaux s'enchaînent et à chaque fois, une référence vient en chasser une autre (on pense à Coleman et même à la dynamique du Boléro de Ravel à moment donné) et au final, il ne fait aucun doute que SVIN ne relève ni des uns ni des autres. Les quatre Danois tracent leur chemin, un bout de route qui n'appartient qu'à eux et on arrête assez vite de vouloir les rapprocher de quiconque. Leur musique peut se montrer sacrément massive, ténor, cor et clarinette bien accrochés à la batterie développent alors des lignes de fracture incisives, la guitare apportant ce qu'il faut de liant pour que les morceaux ne s'écroulent pas sous leur propre poids (Maharaja). Parfois, c'est elle qui s'agrafe aux percussions, labourant l'espace quand les cuivres se déplacent en cercles concentriques, bien cachés derrière les hautes herbes alors qu'ils montraient les crocs jusque-là (Arktis, Fuck John). À d'autres moments encore, tout ce petit monde se tait puis murmure et met sur pieds une fragile estampe qu'une simple brise suffirait à déchirer (Alt, Satan). En six titres suspendus dans les airs ou empilant les strates l'instant d'après, les Danois expérimentent la vitesse et la densité. Des bouts de mélodie sont disséminés ici et là, mettant en exergue le tapis rythmique extrêmement dense ou au contraire, l'apaisant. Des poussières de folklore sont injectées dans les morceaux, ce qui fait que l'on a parfois l'impression qu'ils viennent de partout.


Le quartette aime emprunter les chemins de traverse, fidèle à son credo : l'éléphant affolé qui porte le Maharaja en ouverture est bien loin lorsque résonnent Alt et ses quelques notes de guitare égrainées dans le souffle d'une clarinette fragile. De la même façon, la faconde psycho-de traviole des débuts de Fuck John ne laisse absolument pas présager la suite, un ressac rythmique agressif où la batterie tabasse d'abord le ténor puis ralentit la cadence lorsque les autres instruments viennent gonfler le souffle de ce dernier. De la variété entre les morceaux puis dans les morceaux et toujours ce tamis expérimental sur lequel grandit la musique de SVIN. Pour peu que l'on détaille les structures, on voit bien comment tout s'entremêle, comment tout est compliqué alors que le rendu paraît si simple. Les champs respectifs que s'attribuent les cuivres et les vents, en avant ou en retrait, voire parfois tous ensemble et tout autour, les arabesques complexes de la guitare, le rôle prépondérant des percussions apportant une patine tribale à l'ensemble du disque, le tout probablement résumé par les huit minutes de Fede Piger, ultime morceau paroxystique où le groupe réunit tout ce qu'il a donné à entendre lors des cinq titres précédents. Une entame à peine perceptible qui gonfle progressivement, simple clapotis de cuivres se muant en tempête quand tout les instruments montent les uns sur les autres pour atteindre l'acmé. On aurait aimé qu'il dure des heures mais non, c'est déjà fini. C'est bien là le problème de ce disque magnifique, c'est qu'il est avant tout frustrant. Trop court. En même temps, c'est peut-être aussi ce qui en décuple la créativité. Tout y est sans doute resserré, mais ça n'a nullement empêché SVIN de tout y mettre. Et si on a l'air de faire la fine bouche, au final la variété y est telle que l'on finit par oublier sa durée et il suffit de remettre le tout au début pour découvrir un éclat qui jusque là était resté dans l'ombre. C'est le troisième album de SVIN, sans doute faut-il chercher là la déconcertante facilité avec laquelle Lars Bech Pilgaard (guitare), Henrik Pultz Melbye (saxophone ténor, clarinette), Thomas Eiler (batterie) et Magnus Bak (cor alto) s'emparent des genres (pêle-mêle drone, ambient, folk, drone, jazz, noise, post-rock, n'en jetez plus, j'en oublie sûrement) pour les injecter dans leur agrégat. Ils y sont tous identifiables mais c'est surtout SVIN que l'on identifie : ils les plient pour qu'ils s'insèrent parfaitement dans leurs structures, ils les respectent mais surtout, se les approprient pour atteindre la diversité recherchée dans leur profession de foi.

Ce bel éponyme est aussi leur meilleur à ce jour, celui qui fait impatiemment attendre la suite, celui où les passages fougueux sont légion, celui qui s'appuie sur des constructions plus denses, où l'improvisation n'est plus une fin en soi mais au service d'un dessein plus grand, capturé live, inondé d'un souffle urgent qui recouvre chaque morceau d'un éclat définitif. C'est la vie qu'on y entend, dans toute sa diversité, et c'est bien pour ça qu'il nous touche autant. De quoi comprendre leur iconoclaste patronyme puisqu'on sait bien que tout est bon dans l'animal que le groupe s'est choisi comme totem.

Remarquable.

leoluce





jeudi 5 mars 2015

2kilos &More - Lieux-Dits


Sortie : 20 février 2015 | Label : Ant-Zen / Satanic Royalty

Vis-à-vis de 2kilos &More, on en était resté en 2012, alors que leur album Kurz Vor5 s’était haussé pénardement sur le podium de notre best-of de l’année. Loin de les avoir oubliés – un morceau comme Second Season, ça se réécoute souvent -  on était pourtant passé à côté de la double compilation qu’ils avaient sorti pour leurs 10 ans, en 2013 sur Audiophob, avec un versant live et un versant remixes. Il était grand temps de se rattraper et de ne pas commettre la même erreur avec Lieux-Dits, leur quatrième album, sorti en février sur Ant-Zen, tandis qu’une version LP verra le jour sous peu chez les Français de Satanic Royalty.  Avant même de plonger tête la première, on peut apprécier le fait que ce groupe trop peu reconnu signe sur un label de l’envergure d’Ant-Zen. Leur live en 2012 au Maschinenfest aura peut-être contribué à ce rapprochement, ils rejoignent en tout cas, avec Naö, le club plutôt select des Français à avoir embrasé le festival pour ensuite signer chez les Allemands. 

Le groupe se compose des Français Hughes Villette et Séverine Krouch ainsi que de l’Américain Black Sifichi. Sur les sept morceaux de l’album, ce dernier pose sur trois d’entre eux son spoken-word caractéristique, à la fois grave et glaçant, animal et caverneux. Pour le reste, le duo développe ce qu’il sait faire de mieux : une mécanique obsédante et complexe faite d’un alliage entre musique industrielle et post-rock, entre une approche expérimentale, électronique, répétitive et l’impétuosité abrasive du noise.  C’est bien là qu’on pourrait évaluer Lieux-Dits en perspective avec Kurz Vor5. Si leur précédent disque mettait particulièrement à l’honneur les beats épais et dévastateurs, empreints d’une texture industrielle, le petit dernier laisse aux guitares l’avant de la scène. Il n’y a qu’à prêter attention à la mélodie de Autres Peaux, faussement gracile, vivace et purement mélancolique, qui se déploie avec une tension suffisante pour étourdir, mais sans jamais exploser. Autre élément accentuant l’allure de post-rock asphyxiant qui se dégage de cet album, le jeu de batterie soutient à merveille une trame qui s’est manifestement donnée comme objectif de rendre un hommage vigoureux à la lancinance. Qu’elle soit funèbre, belliqueuse ou révolutionnaire, le roulement de batterie sur Cache Feu sonne comme une marche des plus déterminées. Supports à une guitare acérée et grinçante, les drums, spongieuses à l’origine, mutent en machines de guerre qui collent une envie furieuse d’entendre le morceau en live et de se livrer à une transe commune avec un public devenu zombie. Quand on sait que les concerts de 2kilos &More correspondent à des moments d’une rare intensité poisseuse - durant lesquels le duo se livre à un duel particulièrement égalitariste, face à face et difficilement distinguables, entre un mur de vidéos (signées Lisa May) et un rideau de tulle – on espère très fort que cette récente sortie signera une nouvelle tournée. 

Concernant les titres avec Black Sifichi, il faut saluer en particulier l’incroyable January Ride, dont la progression rampante ne rend que plus fiévreux le décollage à mi-morceau, alors que la rythmique cingle le chant ombrageux du New-Yorkais, comme une machette caresserait la bruyère. On pense à Scorn, Techno Animal, Grails, tout à la fois. Le Perfect Pulse de clôture, en forme de récit de science-fiction, achève le disque sur une note post-moderne du plus bel effet – voyez plutôt. 

On ne surprendra pas en concluant que le quatrième album de 2kilos &More est une impondérable tuerie. Les disques dont on se dit qu’aucun titre ne surpasse les autres, en raison de leur excellence à chacun, sont d’une grande rareté. Sachez-le. (Achetez-le). 

Manolito



vendredi 6 février 2015

La Race - 4cm De Mon Amour


Date de sortie : 21 novembre 2014 | Labels : Et Mon Cul C'est Du Tofu ?, Animal Biscuit, Tanzprocesz

Une entame tranquille. Deux minutes trente de bruits variés. Quelques larsens, quelques nappes de pschittt robotiques et la voix déformée en-dessous. On aimerait bien comprendre ce qu'elle murmure mais les percussions patraques - plutôt tribales à bien y regarder - la couvrent complètement. Et puis, ça commence. Quoi ? On ne sait pas trop à vrai dire. Un canevas industriel bien présent, une guitare abstraite et tendue en provenance des premiers P.I.L. et puis la voix, toujours elle. En revanche, terminés les murmures, on est plutôt dans le guttural désormais, l’éternuement, le cri, le raclement de gorge et l'aboiement. On discerne bien quelques mots, « derrière les chiens » sans doute, « quand ça bave » peut-être, « Allez chiale! Vas-y chiale ! » plus loin - à l'unisson d'un morceau qui fait d'ailleurs juste suffisamment mal pour qu'on suive l'injonction - mais ce n'est pas grave, on comprend tout à fait ce que ça veut dire ou plutôt non, on est bien content de ne surtout pas comprendre. Parce qu'on sent bien que le message qu'elle expulse coïncide parfaitement avec la charpie sonore qui la porte. Tout le temps inconfortable et malaisée, souvent cassante et dégueulasse et invariablement sans espoir aucun. On se demande régulièrement ce qui a bien pu pousser La Race à enregistrer un truc pareil mais on s'arrête très vite en se disant qu'on n'était pas du tout obligé d'écouter et qu'on l'a bien cherché. Les précédents méfaits étaient tous du même acabit et on serait bien hypocrite d'avancer que 4 cm De Mon Amour prend par surprise. On savait à quoi s'attendre. C'est ce qui est fort avec ce disque et par extension, avec La Race, c'est qu'ils nous placent pile-poil face à nous-même. On n'écoute pas ce petit bout de vinyle noir, on se regarde en train de l'écouter. On scrute ce qu'il provoque en nous, on tente de cerner d'où viennent les nuées de papillons toxiques qui s'égaient dans nos tripes lorsque résonnent les déflagrations malades de La Peste. On se demande en permanence pourquoi on apprécie et quelque part, on espère que le groupe nous tend un miroir déformant. Qu'il grossit le trait. Mais au fond, on sent bien que c'est pour de vrai, tout ça.

L'optimisme n'est pas de ce disque. Les jours meilleurs non plus. À la place, une belle seringue plantée dans la matière noire, dans le visqueux et le froid. Jusqu'au-boutiste, vrillé, un brin nihiliste, c'est sans doute le couteau qui a déserté le fourreau de la pochette. Celui que l'on sent sur sa gorge à chaque fois qu'on écoute La Race, celui qui se plante sans doute à 4 cm de quoi ? L'Amour ? Tu parles. Ça fait mal et ça racle, ça agit comme de l'abrasif dans le creux de l'oreille, ça n'a rien d'attirant et pourtant, on l'écoute. On le remet même assez souvent. Parce qu'il y a du talent et du savoir-faire là-derrière. Les ersatz de morceaux tapissent bien vite l'intérieur du crâne, les motifs hypnotiques et décharnés d'Isséi Le Cooker/Les Chiens, l'implacable et vraiment méchant Chiale, le probablement bien nommé et très court Pilule d'Hitler qui suit immédiatement les répétitions contondantes du plus long Diable Blanc et puis La Peste, industriel, un brin harsh, complètement disloqué et surtout, parfaitement sidérant, tout ça s'incruste dans les neurones et quand ça ne veut pas, La Race sort sa panoplie de chirurgien et transforme le cerveau en enclume pour que ça rentre tout de même. La guitare aigrelette aux stridences vicieuses, la batterie monomaniaque qui semble vouloir abandonner toute trace d'humanité pour se rapprocher le plus possible des émotions froides d'une boite à rythmes sans y arriver vraiment, la voix complètement tarée, les bruits indéterminés mais déterminés qui agissent comme des stylets sur les couches tendres du cortex, l'attirail est somme toute suffisamment varié et La Race sait l'utiliser. Une belle saloperie qui, en partant du haut, envoie ses métastases envahir tous les étages, surtout ceux du bas. Qui plus est parfaitement mixé par Phil Scrotum et capté comme il se doit par Seb Normal4 cm De Mon Amour fait tout simplement mal. Physiquement et psychologiquement. La No Wave partouze avec le post-punk, l'indus burine le punk, la haine recouvre l'ensemble d'un voile glauque et grisâtre et Romano Burito Edouard (batterie sacrifiée), Roberto Edouard (cordes vocales barbelées) et Pavel (guitare maltraitée) - déjà croisés entre autres chez Headwar pour les deux Romain, chez Judas Donneger ou Dalida pour Pavel/Klaus Legal - observent la bête grandir au milieu, un sourire carnassier aux lèvres.

À l'issue de l'écoute, on range ce bloc inhospitalier dans un coin, on se dit qu'on va le laisser là quelques temps, pour qu'il se fasse oublier mais tout ce que l'on écoute par la suite semble aseptisé. Javellisé. Trop propre. Alors, une nouvelle fois, on sort la lame de son fourreau, on s'en va tester les limites pour s'échouer invariablement au même endroit. Sur le trottoir, tout prêt de la plaque d'égout.

On l'a bien cherché.

leoluce




samedi 24 janvier 2015

TOC - Haircut


Date de sortie : 10 décembre 2014 | Labels : Circum-Disc, Tandori Records, Besides Records, Do It Youssef !

Deux titres séparés par un espace, celui du changement de face, deux choses bien distinctes mais aussi deux constructions aux nombreux traits communs : le souffle, le réseau, les ramifications, les vecteurs flous et la dynamique. Guitare, batterie et Fender Rhodes s'enchevêtrent, s'arc-boutent ou prennent appui sur les deux autres pour dessiner un monde fantasmatique, végétal et abstrait. De prime abord, on est plutôt cueilli par l'aspect tribal des compositions, la pulsation balancée aux pieds des idoles, une cérémonie païenne où l'on s'immisce sans trop oser. Mais TOC a un je-ne-sais-quoi d'organique qui emprisonne les synapses dans des cercles concentriques dont ils ne peuvent plus s'extirper. Un souffle tout à la fois libre et exaspéré se dégage des deux morceaux, ça improvise mais c'est aussi déterminé et quand on croit qu'un instrument se perd dans les méandres du sans queue ni tête, un élément vient tout de suite contrecarrer l'échappée : un poum-tchack asséné avec force conviction, un riff tout d'un coup roide alors que les autres étaient plutôt fuyants, une stridence appuyée au milieu de nappes floues par ailleurs. Ce n'est pas tout et son contraire, c'est plutôt labyrinthique tout en sachant où ça veut aller. Half Updo est ainsi tout entier tendu vers son épilogue paroxystique alors qu'il commence sans faire de bruit. Un long développement rempli de carrefours et de chausse-trappes dont on comprend à la toute fin seulement vers quoi, dès le départ, il nous emmenait. On s'y perd avec jubilation mais sûrement pas le groupe qui sait très bien ce qu'il fait. Jérémy Ternoy fournit la chair (Rhodes, Rhodes Bass), Peter Orins le squelette (batterie) et Ivann Cruz, les muscles (guitare) et il y a déjà de quoi explorer longtemps en se focalisant sur un instrument au détriment des deux autres. Le Rhodes virevolte, trace des arabesques aquatiques et abstraites, peuple les interstices tout en laissant passer l'air, bien présent mais pas hermétique. La guitare envoie ses giclées acides, joue fort et dessine des zébrures définitives qui impressionnent la cornée. On voit littéralement un itinéraire se construire derrière les yeux. La batterie, tribale, balance ses coups sans retenue aucune mais avec beaucoup de tact. Métamorphe et malléable, elle peut sonner comme une enclume et marcher à pas de loup l'instant d'après. 

Mais évidemment, c'est quand on envisage les trois ensemble que TOC révèle sa majesté (d'où l'acronyme). La guitare se superpose au clavier, la batterie laboure les soubassements et le spectre tout entier se voit rempli de musique. C'est pourtant très aéré mais ça n'en reste pas moins dense. C'est complètement free mais jamais abscons. Ça donne l'impression d'un dessein construit à l'avance alors que ça n'apparaît que dans l'instant et lorsqu'on détaille le moment, on voit bien à quel point il s'inclut dans un ensemble bien plus grand. Ainsi, Updo, l'autre titre, débute en mode renfrogné, les bulles de Rhodes agrippées aux cordes exaspérées de la guitare, la batterie gifle l'espace puis, par intermittence, le piano se tait et on est déjà ailleurs. Les cordes expérimentent la stridence, les peaux se reconfigurent au même titre que le clavier et ce sont des fulgurances hypnotiques qui habitent désormais le titre. Et tout d'un coup, tous les instruments se montent les uns sur les autres. Jusqu'ici, Updo filait droit devant, maintenant il vise le plafond. Une nappe, une frappe, un riff et ça recommence jusqu'à finir épuisé. Le morceau ne tient plus qu'à un fil alors qu'on n'en est qu'à la moitié. Autant d'épisodes disparates qui construisent une pièce cohérente, tenant fièrement debout du haut de ses vingt minutes. On y entend de l'improvisation et de la répétition, une espèce de psychédélisme solaire qui frôle parfois le progressif, des poussières de Zappa mêlées à des agrégats noise quand ils ne sont pas plus foncièrement metal, du Rhys Chatham sans la trompette à moins qu'il ne s'agisse de Branca, du Tortoise et du Fire! aussi et puis surtout du jazz. Et comme le tout s'arrête bien trop vite, on file voir avant. You Can Dance (If You Want) cela s'appelle. Qui permet de situer le Haircut présent. En gros la même chose mais découpée en plusieurs morceaux un peu plus disparates. C'est en ça que l'on voit que tous ces petits moments qui se succèdent sont néanmoins inclus dans un tout homogène : Obsessive Compulsive Disorder et Downward Trend Of Increase se suivaient par exemple sans se ressembler en 2012 alors qu'aujourd'hui Updo porte des réminiscences de ces deux-là tout en restant lui-même, à savoir un long reptile hypno-aquatique assez fascinant qui nous emmène tout droit vers la transe. Subtil et racé, capable de maintenir la tension de longues minutes durant, Haircut mais peut-être plus encore TOC impressionne.

Bref, le trio lillois - obsessionnel et compulsif peut-être mais surtout magistral - livre ici un disque que l'on rêve de découvrir en vrai. Un poil plus introspectif que par le passé mais toujours féroce et bigarré, on tient-là une belle tranche de jazz mutant et hypnotique magnifiquement emballé sous une belle pochette (oeuvre de Jérôme Minard) terreuse et radiculaire illustrant parfaitement le propos. L'enchevêtrement, la tourbe, les feuilles mortes, l'écosystème souterrain grouillant de vie, ce n'est certainement pas parce que tout y est enfoui que rien ne s'y passe.

Et toc !
leoluce

dimanche 18 janvier 2015

Dépôts de bilan à la cave - 2014 (bilan commun)

Après nos bilans personnels, voici venu le bilan commun... Il nous plaît à tous et peut nous frustrer aussi tout comme il vous plaira et vous frustrera sûrement. Peu importe, il met en avant la formidable créativité de feu 2014. À l'image de son entame, 2015 sera probablement chaotique mais sera tout aussi probablement du même acabit. Vite vite, la suite !

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1. Lawrence English - Wilderness Of Mirrors | Room40 



2. Matthew Collings - Silence Is A Rhythm Too | Denovali


3. Evan Caminiti - Coiling | Dust Editions


4. Black To Comm - Black To Comm | Type 


5. Saåad - Deep/Float | Hands In The Dark 
 - bandcamp -




6. Christopher Bissonnette - Essays In Idleness | Kranky




7. Siavash Amini - What Wind Whispered To The Trees | Future Sequence 



8. Aaron Martin - Comet's Coma | Eilean Rec. 
 - bandcamp -




9. Carla Bozulich - Boy | Constellation Records




10. The Body - I Shall Die Here | RVNG Intl.




11. Geins't Naït + Laurent Petitgand - Je vous dis | Ici D'Ailleurs 



12. Paskine - Nimrod | VoxxoV 
 - bandcamp -




13. thisquietarmy & Syndrome - The Lonely Mountain | Consouling Sounds
- bandcamp




14. Mamaleek - He Never Spoke A Mumblin' Word | The Flenser




15. 36 Dream Tempest | 3six Recordings 
 - bandcamp -




16. Death Blues - Ensemble | Rhythmplex 



17. Wreck & Reference - Want | The Flenser 



18. Ensemble Economique - Melt Into Nothing | Denovali




19. Objekt - Flatland | PAN




20. Mondkopf - Hadès | In Paradisum 
 - bandcamp -




21. ÆVANGELIST - Writhes In The Murk | Debemur Morti Productions 
 - bandcamp -




22. jamesreindeer - مدينة الياسمين الياسمين - The City Of Jasmine | Autoproduction
 - bandcamp -




23. Vladislav Delay - Visa | Autoproduction



24. Pharmakon - Bestial Burden | Sacred Bones




25. Sluggart - Slumberless | Xtraplex













mercredi 14 janvier 2015

Dépôts de bilans à la cave - 2014 vu par Rabbit

50 sorties pour résumer 2014, cette crème de la crème toute personnelle qui n’intéressera que la poignée de curieux un brin maso lisant régulièrement ces pages... Est-ce finalement peu au regard de ma compulsivité dans ces franges majoritairement obscures et angoissées qui ne m'auront vu écarter qu'une poignée d'albums trop mélodiques ou lumineux pour figurer ici ? Beaucoup, qui sait, une fois ramené aux rares élus qui retrouveront le chemin de mes platines plus d'une fois ou deux ces dix prochaines années ? Voire peut-être bien trop, avec trop peu de repères pour avoir l'effet escompté d'inciter à la découverte ? Mais sur quels repères compter lorsque l'on apprécie justement d'arpenter ces friches peu accueillantes que les gros médias ne cessent de fuir par paresse, et comment savoir lesquels de ces disques resteront à jamais des chocs inviolés de première écoute et lesquels, sans être meilleurs pour autant, trouveront une place plus assidue à mon chevet ? Qu'importe donc, autant faire simple : mes 50 favoris à l'instant T, faites-en ce que vous voudrez.

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1. Chris Weeks & The Sadmachine Orchestra - Conductor (Odd John)




2. Death Blues - Ensemble (Rhythmplex)



3. Erik K Skodvin - Flame (Sonic Pieces)




4. Angel - Terra Null. (Editions Mego)




5. Black Swan - Tone Poetry (Autoproduction)




6. Cliff Dweller - The Dream In Captivity (Patient Sounds)




7. Lawrence English - Wilderness Of Mirrors (Room40)




8. Black To Comm - Black To Comm (Type)




9. Delta-Sleep-Inducing Peptide - Oscillopsia (Pharmafabrik)




10. The Body (w/ The Haxan Cloak) - I Shall Die Here (RVNG Intl.)



11. Belfi / Grubbs / Pilia - Dust & Mirrors (Blue Chopsticks)




12. Evan Caminiti - Coiling (Dust Editions)




13. Gimu - The Whole World Is Tired Today (Cosmic Winnetou)



14. Carla Bozulich - Boy (Constellation)




15. Cezary Gapik - Fission (Nute Records)




16. thisquietarmy & Syndrome - The Lonely Mountain (ConSouling Sounds)




17. John Pain - Darkness Floats (I Had An Accident/Sun Dialect Recordings)




18. Chicago Underground Duo - Locus (Northern Spy)




19. Nereus - Exegesis (CRL Studios)




20. Matthew Collings - Silence Is A Rhythm Too (Denovali)



21. Pharmakon - Bestial Burden (Sacred Bones)




22. John E Cab - Do What They Say (I Had An Accident)




23. Daniel Buess - Pitch (Pharmafabrik)




24. Vladislav Delay - Visa (Ripatti)




25. Ævangelist - Writhes In The Murk (Debemur Morti Productions)




26. Lawrence English + Stephen Vitiello - Fable (Dragon’s Eye Recordings)



27. Objekt - Flatland (Pan)



28. Christopher Bissonnette - Essays In Idleness (Kranky)




29. Leonardo Rosado - Adrift (Oak Editions)



30. Illuha - Akari (12k)




31. Seez Mics - Cruel Fuel (I Had An Accident/Crushkill Recordings)



32. David Shea - Rituals (Room40)



33. tētēma - Geocidal (Ipecac)



34. Anjou - Anjou (Kranky)




35. Monade - Puni (Xtraplex)



36. Tindersticks - Ypres (City Slang)



37. Erik Honoré - Heliographs (Hubro)




38. jamesreindeer - مدينة الياسمين - The City Of Jasmine (Autoproduction)




39. Charlatan - Local Agent (Umor Rex)




40. Klara Lewis - Ett (Editions Mego)


+ 10 EPs :


1. Monty Adkins - Residual Forms (Crónica)



2. The One Burned Ma - Gris Amer (Autoproduction)



3. Son Of A Bricklayer - Out Of The Fire (I Had An Accident)



4. John Pain & Egadz - Sinking Swimmer (Luana Records)



5. Cummi Flu - Gulabi Gang (Polychrome Sounds)



6. Chris Weeks - Silo (Autoproduction)




7. Monsieur Saï - Première Volte Digitale (Autoproduction)




8. Engine7 - The End Of Faith (Section 27)



9. Morbidly-O-Beats - Growing Like Fungus (Hello.L.A.)




10. Terra Tenebrosa - VITRIOL: Purging The Tunnels (Tri-Lamb Recordings)