lundi 29 septembre 2014

Deep & Dark Download of the Day : Hosmoz - Fading Mechanisms


Aussi singulière et alambiquée soit l'IDM du Bruxellois Hosmoz, on est presque en terrain connu venant de l'écurie Bedroom Research qui a fait de ce genre de grooves extraterrestres aux beats anguleux de cerveau-machine schizophrène sa marque de fabrique.

Moins viscéral et décadent que Trollhead, moins minutieux et rêveur que Poborsk, moins épileptique que Qebrus, moins architectural et compact que C_C, Fading Mechanisms n'est pas pour autant un disque du "moins", encore moins un album de trop dans un genre saturé en sorties téléchargeables librement. Avec ses rouleaux compresseurs rythmiques géométriques et fractionnés, ses synthés acides malaisants et autres distorsions martiennes à contre-temps, le Belge marche certes dans les pas d'Autechre, avec en sus cette dimension sci-fi cinématographique qui caractérise pas mal d'héritiers des Anglais. Mais une petite voix finit par dissoner de cette radicalité sous influence et la pochette foisonnante de rouages oculaires donne le ton, avec son purgatoire rouge-sang et vert métallisé de BD pour adultes dont un cyber-humain aux trois-quarts putréfié tente de s'échapper : mettant à profit son talent pour un beatmaking aussi dense qu'aéré, Hosmoz trace d'une ligne claire les contours de ses épopées pulsées aux allures de survival en milieu post-industriel, préférant finalement nous guider d'une case, d'une scène à l'autre dans son découpage narratif au plutôt que de nous perdre dans un quelconque labyrinthe mental.

Pas étonnant qu'un des sommets du disque s'intitule Underground My Ass - que les cousins techno-indus Fausten alourdiront plus loin d'une pesanteur malsaine sur un remix aux rythmiques bizarrement décalées qui ne convainc qu'à moitié (quoique davantage que le Psarani sous acide de Daed, décalque convenu d'AFX, ou le Remajak downtempo de TRDLX singeant sans grande inspiration les échappées stellaires déstructurées d'AtA) - et l'ultime morceau de l'album, Game Over : jamais Fading Mechanisms ne perd de vue cette distance récréative qui tient violence et noirceur éloignées aussi sûrement et discrètement qu'un écran de télé ou qu'une lampe de chevet.


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This Will Destroy You - Another Language


Date de sortie : 16 septembre 2014 | Label : Suicide Squeeze Records

Il est compliqué, en écrivant sur des musiques sombres, de ne pas revenir sans cesse aux antagonismes entre le noir et le moins noir, le gris, le presque lumineux. Plus concrètement, ce phénomène récurrent se situe dans la nature de la mélancolie, prise au sens large, dans le sentiment que procure quelque chose d’à la fois triste et beau. De la même façon qu’un peu de blanc donne matière, dimension et volume au noir, ce qu’il y a d’ardent et de presque heureux dans ces musiques en fait rayonner la tristesse. Cet album de This Will Destroy You se trouve plongé dans ce duel d’émotions et travaille en parallèle le contraste sur le plan formel. Après Tunnel Blanket sorti en 2010, Another Language est le quatrième album, en presque 10 ans d’existence, du groupe texan. Moins aride que son prédécesseur, le disque n’en est pas moins orageux. 

Plus que progressif, leur post-rock exploite deux niveaux : très fort ou très doux. Il ne s’agit pas de faire se pointer un mur de son en fin de morceau, en forme de simple climax, mais de développer les moments explosifs comme des éléments narratifs consistants. Les nuances ne sont évidemment pas en reste et, au cœur de ces montagnes russes, les mélodies caracolent à des degrés d’intensité variables. Construits comme des édifices étourdissants, les morceaux vous projettent à leur sommet, vous laissant seul en haut d’une tour face à un orage magnétique pendant que le ciel dessine des arabesques, pour ensuite vous faire redescendre au niveau des sous-bois, toujours seul, mais environné de souffles tendres et de notes mates, étouffées par l’humus. Quelques respirations ponctuent ces moments en dents de scie, à l’image du très automnal Mother Opiate traversé de nappes venteuses et d’une mélopée somnolente et du God’s Teeth de clôture, tout en sonorités analogiques et en guitares planantes. 

En écrivant ces lignes, force est de constater qu’il n’y a pas un titre de cet album qui ne soit pas de qualité. Du côté de ceux qui font la part belle au schéma calme/perturbation, le début du disque (New Topia, Dustism) forme un duo addictif, majestueux, moucheté d’éruptions qui donneraient presque des envies de cheveux longs pour headbanger proprement. Les accointances avec un certain métal se respirent donc à l’occasion. Ce n’est pas pour rien que le groupe parle de « doomgaze » pour qualifier son art - tout en citant Boards Of Canada, Autechre et Stars Of The Lid en influences. Mais passés les détails harmoniques déliés, les nappes lourdes de déluge en perspective et les riffs increvables, le cœur du propos se niche dans l’impression extatique que délivre la conjugaison de mélodies perlées et de détonations continuelles. Ce n’est pas du drone mais tant pis – le drone serait la musique d’extase (et non de transe) par excellence, selon la chercheuse Catherine Guesde. Il faut écouter Invitation pour comprendre, sentir et éprouver l’ivresse contemplative, résonnant au delà de nos pores. En toute logique, c’est dans une profonde mélancolie que ce sentiment de plénitude, beau parce qu’émaillé, plonge ses racines et se nourrit.   

Manolito

dimanche 28 septembre 2014

Deep & Dark Download of the Day : Massaith - II


On n'avait rien de particulier contre Tokee, artisan doué de l'IDM 2.0 croisé chez Raumklang pas plus tard que cet été ou encore CRL Studios (en trio - excusez du peu - avec Lucidstatic et Access To Arasaka) après avoir fait les belles heures de Dope Records, label basé à Tel Aviv de son compère et graphiste attitré Fariz Suleiman. Ingé son pour le cinéma, la musique et la télévision, Anatoly Grinberg avait même tout du bon faiseur, un certain sens de l'atmosphère que son amour du beau son bien léché menace tout de même de faire basculer, depuis le récent Struktura, du côté émo et propret de la force. Néanmoins, à l'image d'un Mnemonic devenu Architrav, c'est à une toute autre hauteur qu'évolue le Russo-Israëlien sous le mystérieux avatar de Massaith, projet qui lui permet d'exorciser quelques souvenirs de ses années de service militaire en tant que conducteur de camion ("massaith", donc, en Hébreu) sans se soucier de tirer l'auditeur de sa zone de confort. Pour cause, offert au téléchargement, II de toute évidence n'a pas pour ambition de divertir la masse des amateurs d'électronique planante au sentimentalisme exacerbé.

Tout commence ainsi par la course folle d'un camion lâché dans les dunes, sirènes hurlantes, au rythme d'une batterie martiale et des zébrures droneques d'un oscillateur saturé. En 23 minutes la scène ne cesse de rejouer, mutante, étouffée, déformée au gré des bricolages semi-aléatoires de la machinerie synaptique dont elle est devenu le jouet cathartique. Élève de l'ingé son de Zappa, Antoly Grinberg sait bien que du chaos et même de la laideur peut naître une poésie tout à fait singulière. C'est le cas sur In The Middle, second morceau-fleuve de l'album, le plus court : 20 minutes fantasmatiques et d'emblée éprouvantes avec leurs échantillonnages de voix féminines dont on ne saurait dire si elles expriment douleur, effort ou jouissance. On est pas loin du snuff movie porcin à la Matthew Herbert, les collages industriels agglomérant leurs beats concrets faits de bric et de broc entre deux passages plus feutrés où se télescopent sirènes de police, nappes de synthés troublantes et ronronnements félins. Ce monde de l'entre-deux, où les field recordings et le désordre environnant rencontrent l'abstraction et la néguentropie du processing mental, laissera place sur Interior à une étrange drum & bass assourdie toute en stridences analogiques et pulsations grouillantes, final d'une demi-heure bon poids flirtant avec le dark ambient et et les impros électroniques bruitistes et foisonnantes d'un Keith Fullerton Whitman.

En deux mots comme en cent : un formidable OVNI sonique en quête d'identité, à réserver aux auditeurs que les expériences limites n'effraient pas.


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samedi 27 septembre 2014

Jessica 93/Mistress Bomb H - Salle de shoot


Date de sortie : 03 octobre 2014 | Labels : Kerviniou Recordz, Bruit de Fond

Salle de shoot, un titre très bucolique pour une musique primesautière qui recouvre de son velours solaire la moindre parcelle d'espace. Un velours étrange. Souterrain. Soleil noir et vague à l'âme. L'espace repeint aux couleurs du disque : gris, salpêtre, seringues et grosses fissures. La confrontation des empilements de Jessica aux canevas pelés de la bombe H annonce un objet pas vraiment drôle mais extrêmement prenant. On savait déjà - depuis le séminal (et indispensable) Who Cares - que Jessica 93 savait mettre sur pieds des monstres glauques, patchworks instables collant entre eux des bouts de shoegaze, de post-punk et de proto-grunge avec de l'adhésif industriel qui, fatalement, adhérait fortement à la boite crânienne. On savait un peu moins (honte sur nous) que Mistress Bomb H maîtrisait, elle aussi, son sujet : un tapis électronique très sombre et très sec filant un coton mauvais, charriant un souffle désespéré sur lequel se déploie une voix déclamatoire au fort pouvoir de conviction. Une musique organo (la voix)-synthétique (le reste) simple mais très loin d'être simpliste (à ce titre, l'écoute de son 9 Pictures de 2011 est très fortement conseillée). Ce que l'on ne savait pas du tout, c'est que la réunion des deux sur un bout de plastique noir pouvait amener à une telle implosion. Même s'ils ne se rencontrent jamais, chacun tire parti de l'autre : toujours plus hypnotique, toujours plus pelé. Il en résulte un 12" vif et très cohérent. À l'unisson, Hélène Le Corre (la bombe H) et Geoffroy Laporte (la Jessica), s'ils ne partagent pas les mêmes armes, partagent en tout cas la même vision, celle d'une transposition de la vie, crue et réaliste. Tendus, les deux titres de Jessica 93 et les trois de Mistress Bomb H (grosso modo, douze minutes d'intervention chacun) s'emboîtent parfaitement, se complètent, s'appuient l'un sur l'autre et déploient toute leur envergure. On peut ainsi commencer par n'importe quelle face, on aboutit toujours au même endroit : les caves et les bas-fonds d'une quelconque agglomération densément peuplée, sa morne banlieue et ses terrains vagues. Quelque chose comme la traduction humaine d'un enfer déshumanisé.



Pourtant, à bien y regarder, Jessica 93 fait du Jessica 93 et Mistress Bomb H ne fait pas autre chose que ce qu'elle fait habituellement. N'entendez pas par là qu'ils font du surplace mais tous deux continuent à consciencieusement explorer leur pré carré. Endless et Black Dog sont ainsi prototypiques des empilements singuliers qui faisaient (et font encore) le sel de Who Cares, Deflation, Tax et Cap, quant à eux, n'auraient pas dépareillé sur 9 Pictures sans que l'on s'ennuie pour autant le moins du monde. Leur musique est encore pertinente. Mais là où Salle de shoot fait très fort, c'est que la présence de l'un magnifie celle de l'autre. L'aridité de Mistress Bomb H met parfaitement en exergue la luxuriance glauque de Jessica 93 et inversement, le foisonnement des deux titres de ce dernier souligne toute la sécheresse tendue de la première. Après tout, c'est bien à cela que sert un split. Ainsi, Endless, boite à rythmes roide et basse arachnéenne en avant, s'amuse à égarer ses guitares fuyantes dans l'éther qu'exsude la voix si particulière de Geoffroy/Jessica. Black Dog poursuit le même dessein mais s'abandonne peut-être un poil plus. Hypnotique, le titre nous enveloppe et finit par nous perdre dans ses circonvolutions éthérées avec, pour seul point de repère, le martèlement des beats en plastique qui semblent marcher au pas. Encore une fois, Jessica 93 fait mouche. C'est peu dire qu'après ça, les synthétiseurs-Terminator de Mistress Bomb H prennent par surprise. Et encore bien plus, sa voix. C'est elle que l'on suit, c'est elle qui nous mène par le bout du nez. On ne sait pas trop si elle se charge de morgue ou d'argumentation mais le moins que l'on puisse dire, c'est qu'elle accapare. En-dessous, ça ferraille joliment : les microprocesseurs font feu de tout bois, suivent une trajectoire rectiligne qui s'avère bien vite complètement folle, une trajectoire qui s'oppose à la déclamation de la voix. Pourtant, point d'empilement ici, juste des bruits synthétiques décharnés assez sombres qui s'entrechoquent dans des gerbes de splatch, de pschhh et de bzzz. Une architecture mouvante que l'on pourrait croire sans queue ni tête si elle ne se montrait pas si ciselée et qui culmine certainement le temps de Cap : bruits incongrus en avant, Mistress Bomb H fait sa Miss Kittin qui aurait laissé au grenier ses oripeaux electroclash pour quelque chose de bien plus profond et consistant.

Salle de shoot tient du manifeste et incarne une certaine vision de l'underground. En cinq morceaux seulement, cette rencontre plante ses clous rouillés dans la jugulaire de notre beau pays et s'y agrippe de toutes ses forces dans un mouvement qui montre tous les atours de l'étranglement. Grâce lui soit rendue. L'impression tenace d'entendre quelque chose qui relève à la fois de l'insurrection et de la résignation. Qui plus est, les cercles concentriques imitant un clapotis abstrait sur fond de superpositions languides de l'artwork (élaboré par EK Dojo) trompent sur la marchandise tout en la traduisant complètement. Non seulement, un bel EP mais encore bien plus, un bel objet.

Glacial et très attachant, Salle de shoot est une totale réussite.

leoluce



vendredi 26 septembre 2014

Deep & Dark Download of the Day : Famine - Interiors. Vol II


Avec le Canadien Famine, les petits en-cas donnent souvent lieu aux plus beaux festins. On l'avait noté l'an dernier avec Anachronisms, autoproduction d'IDM orgiaque et organique, c'est d'autant plus flagrant sur cette compilation de méditations d'outre-rêve à l'artwork numérique hideux comme pas permis, bijou atmosphérique dont les marées ambient et autres masses de nuages texturés se meuvent au rythme de la Lune en toute humilité.

Suite des introspections ésotériques et ténébreuses d'un premier volet dark ambient qui vit le jour en 2012 chez executive.netlabel, déjà très réussi mais légèrement plombé par une entame noisy en mal d'homogénéité, Interiors. Vol II voit le transfuge de Tympanik Audio flirter avec l'épure mouvante d'un Brian Eno période Ambient series ou des compositions les plus oniriques de Steve Roach. Un minimalisme aux longs courants montants et descendants dont les troublantes fluctuations harmoniques (Unlit, Further) donnent l'impression d'être toujours en soi et en même temps toujours ailleurs, en terrain familier et pourtant intrigant comme un rêve éveillé, sérénité et anxiété mêlées lorsque les basses fréquences lynchiennes, annonciatrices d'un ciel lourd de présages, s’accommodent de percussions éparses à la mystique crépusculaire comme sur le triptyque Cabal, Geotic, Fellow Craft en immersion vers nos replis les plus obscurs.


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jeudi 25 septembre 2014

Deep & Dark Download of the Day : Rec008 - Abate


On trouve chez Rec008 ce qui manque cruellement à nombre de sorties post-rock d'aujourd'hui, copiés/collés des mètres-étalons du trémolo emo que furent Explosions in the Sky ou Mono, niveleurs par le bas plus ou moins malgré eux : une bonne dose d'immersion et de mélancolie sans esbroufe ni ostentation, une constance dans le sentiment laissant les reverbs suspendues aux claquements profonds d'une batterie métronomique qui doit tout autant à Massive Attack qu'au Mogwai rigoureux des débuts. C'est cette même rigueur, en faisant fi de tout cliché dramaturgique, qui permet aux Russes particulièrement prolifiques depuis le début de l'année d'exprimer au lieu de démontrer à coups de crescendos lyriques enquillés jusqu'à la nausée.

C'est d'ailleurs en flirtant avec le drone ambient que Rec008 se tient à l'écart des recettes éculées du genre, et d'emblée avec Fragment 6 tout comme plus tard sur Gentle Hands ce sont les textures élégiaques qui en imposent aux mélodies, charriant leurs vagues de spleen brumeux et de maux lancinants. Une prégnance des atmosphères qui a le bon goût de perdurer lorsque le rouleau-compresseur rythmique entre en action, guitares éthérées en surplomb et synthés crépusculaires en bas du spectre de fréquences générant un espace où l'auditeur est amené à projeter ses doutes et ses angoisses, néant intermédiaire statique mais bien vivant à l'image de cette nature morte en pleine floraison cosmique sur la pochette.


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mercredi 24 septembre 2014

Deep & Dark Download of the Day : Lorn - The Maze To Nowhere / Part 2 EP


Qui dit Part 1 dit forcément Part 2, voici dont la suite du work in progress entamé par Lorn le mois dernier avec l'excellent The Maze To Nowhere. Un peu moins conséquent en durée, ce deuxième volet aborde des rivages plus contemplatifs, misant sur une progression du clair-obscur à la pénombre avec une entame de motifs mélodiques éthérés dont les synthés analogiques convergent ensuite sur Acid Rain en ode downtempo pour le futurisme obsolète des années 80, un chant sensuel et désabusé émergeant tant bien que mal des brumes de cet imaginaire voué aux limbes de l'Histoire.

Quant à Entangled, après avoir flirté avec le spleen hantologique des rêveries distordues de Boards Of Canada au gré de ses beats aux syncopations épurées, il s'englue peu à peu dans l'opacité des méandres évoqués par l'intitulé de la série, ce labyrinthe de nos vies erratiques ouvert sur le néant quel que soit le chemin emprunté.


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mardi 23 septembre 2014

Deep & Dark Download of the Day : Mytrip / Human Larvae - Split


Cette lugubre association entre le dark-droneux bulgare Mytrip et son homologue harsh allemand Human Larvae débute sur les bourrasques cauchemardesques et viciées du second, une petite vingtaine de minutes vouées à contenir les élans voraces de quelque chimère rugissante de haine et de désespérance mêlées, griffant inlassablement les parois bétonnées de sa prison pour mieux plonger ses geôliers dans l'effroi à force de stridences frénétiques et d'éruptions incontrôlées... jusqu'à ce qu'un encéphalogramme plat ne vienne témoigner sur un acouphène lancinant des derniers instants de la Bête prise d'assaut par l'entier bataillon sur un coup de folie. Malheureusement pour eux, ils ne verront pas venir de nulle part le tout dernier sursaut...


Autant dire que quand Mytrip reprend la main pour enterrer au fin fond d'une crypte oubliée les restes encore fumants de la créature en question, c'est avec un paradoxal soulagement que l'on s'enfonce dans les ténèbres armé d'une simple bougie dont la flamme vacille par manque d'oxygène à brûler... à moins que son porteur ne frissonne déjà de la tâche qui l'attend ? Quoi qu'il en soit, l'apaisement sera de courte durée et la claustrophobie du lieu finira bien vite par prendre le dessus, donnant vie aux démons de l'imagination qui se chargeront d'envoyer le fossoyeur rejoindre son fardeau de l'autre côté du miroir. Noir, c'est noir.


Télécharger Mytrip / Human Larvae - Split : Part 1 / Part 2

lundi 22 septembre 2014

Deep & Dark Download of the Day : Krasius - Selected Waffle Works


A l'heure où Aphex Twin se fend, après 13 ans de silence radio, d'une resucée 90s hardcore et singulière comme un remake 3D de Robocop sur un Syro bateau comme pas permis et tout juste écoutable si vous êtes vraiment nostalgique et pas trop regardant, il était temps de vous toucher un mot de ce petit bijou d'IDM d'un beatmaker belge pour lequel Warp n'est pas encore tout à fait synonyme de recette coulée dans le formol. Il faut dire qu'au delà du clin d’œil évident du titre à ce qui restera comme la série de travaux la plus emblématique de l'onirisme aussi ludique que malaisant cultivé en éprouvette par Richard D. James à l'époque où ses textures et atmosphères semblaient vraiment venir d'ailleurs, Selected Waffle Works ne manque pas de citer Autechre, derniers avec Leila des grands explorateurs de la séminale écurie britannique, sur un Autirche dont la déformation orthographique illustre parfaitement la façon qu'a Théo Marin de faire siens les grooves martiens, beats fractionnées et autres rumbas amniotiques de ces temps bénis du label et de l'électro exigeante en général.

Car si les distos acides sont reines et les rythmiques caoutchouteuses à souhait sur ce premier opus du Bruxellois, Krasius loin de tomber dans le piège de l'hommage dépersonnalisé n'en développe pas moins un univers bien à lui, où l'abstraction sensorielle côtoie l'immersion cinématographique (cf. Mantis, Wafflelicker ou le final Vistik avec leurs épopées stellaires post-Tympanik Audio). Et à l'image des gaufres ovniesques envahissant la terre sur une pochette SF évoquant dans un noir et blanc contrasté le cinéma bis des 60s dont l'album, du haut des ses presque 70 minutes, retrouve la générosité d'artisan désintéressé, le Bruxellois ne se prend pas au sérieux plus que de raison et la dimension ténébreuse du disque et constamment contrebalancée - sans s'en trouver désamorcée - par un esprit récréatif qui n'enlève rien à la sincérité des émotions qu'il distille, à commencer par cette étrange mélancolie sous-jacente des nappes ambient.

 C'est cet équilibre précieux entre hédonisme, spleen et anxiété qui fait de Brainsius le digne héritier des échappées acides dystopiques d'Analord, de Porcine Bordelaise, Eliokan ou Untitled Pony  les rejetons des machines en mutation de Tri Repetae, et d'Ikki un bijou baroque et déréglé, imposant l'album sur la durée comme l'un des rares incontournables IDM de l'année.


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vendredi 12 septembre 2014

Ævangelist - Writhes In The Murk


Date de sortie : 12 septembre 2014 | Label : Debemur Morti Productions

Un arcane. Rien de moins, rien de plus. Une enclave hermétique dédiée au noir et rien qu'à lui. La couleur générale, les sensations provoquées, les images et émotions convoquées, tout part de là et tout y ramène irrémédiablement. À tel point que l'on pourrait y voir une sorte de concept, une pose ou, en tout cas, quelque chose qui fasse douter de la sincérité de Writhes In The Murk et par extension, d'Ævangelist. On se dit qu'il faut avoir un sacré sens de l'humour pour élaborer un tel bloc inhospitalier empruntant un peu à tout ce qu'il se fait de plus glauque, malsain et agressif et que le duo cherche avant tout à effrayer le bourgeois. Que c'est du grand-guignol, du carton-pâte, que c'est pour de rire. On cherche alors les plus imperceptibles indices qui permettront de révéler que cette collection de morceaux relève du mélodrame outré. De prime abord, on n'en trouve pas. Et même, plus on scrute les entrailles de Writhes In The Murk, plus il fait sens, ce qui fait qu'à la toute fin, on n'a toujours pas trouvé. En revanche, on aura exploré des pièces sacrément bien construites, amalgamant toujours dans le même élan Black et Death - c'est la marque de fabrique d'Ævangelist depuis De Masticatione Mortuorum In Tumulis, leur premier long format fortement expérimental de 2012 - et cette fois-ci encore plus d'agrégats dark ambient qui assombrissent une mixture pas vraiment drôle. Ces moments apaisés ne constituent aucunement une respiration, une ouverture où pourraient se glisser d'infimes rais de lumière. C'est même plutôt l'inverse. Disséminés avec parcimonie, ils épaississent l'obscurité et sont à l'origine de beaux moments de malaise quand tout ce qui les entoure se montre déjà bien suffisamment noir. C'est un peu comme rajouter des touches de gris sur une composition morne et délavée. Enfin, morne, ce n'est peut-être pas le bon mot. Le disque tabasse, accumule les strates ce qui le rend massif et véloce. Extrêmement glauque, il est jusqu'au-boutiste à la fois dans son exécution et ses intentions, ce qui le rend bien difficile à circonscrire en quelques mots.

Dans la parfaite continuité d'Omen Ex Simulacra, il va sans dire qu'Ævangelist s'enfonce toujours un peu plus loin et dès Hosanna, belle amorce, la messe est dite. Une introduction fuyante et plombée, des riffs exsudant une tenace odeur de souffre, du blast beat qui dégueule, des superpositions ventripotentes, des growls solennels mêlés à des textures atmosphériques patraques, du chant clair par-dessus, peut-être bien la seule chose de claire à bien y regarder. Pour le reste, c'est un vortex qui précipite les neurones dans les tréfonds, un maelström dont on a bien du mal à définir les contours tant tout y est complètement mélangé. Tous ces éléments semblent passer devant à tour de rôle mais très vite, on n'y comprend plus rien. Ou plutôt, on renonce à comprendre quoi que ce soit. On débranche alors le cortex et on est fin prêt pour la curée. Des ralentissements intempestifs et pas clairs de The Only Grave aux structures alambiquées de Præternigma, de l'ambient bien dark de Disquiet au curieux saxophone d'Ælixir, les deux Ævangelist façonnent des ambiances mortifères bien plus que des morceaux, visent clairement le malaise et l'anxiété. Et Ascaris (chant, violoncelle et saxophone) et Matron Thorn (une grande partie du reste) maîtrisent de plus en plus leur sujet. Writhes In The Murk semble d'ailleurs amorcer une vague inflexion et voit Ævangelist se rapprocher un peu plus de la borne Black que par le passé : les guitares morbides et désossées, le chant clair et fantomatique, les intonations majoritairement désespérées l'éloignent légèrement du Death et rappellent de loin un Blut Aus Nord dans son versant exaspéré. L'amoncellement, le credo de la superposition, les expérimentations en tout genre, les textures malsaines, les nappes méphistophéliques, le souffre que l'on inhale à grandes goulées, les guitares tour à tour écorchées, massives et nues, les percussions tribales et denses, le chant dégueulasse, tout cela percute l'épiderme et, lorsque ça ne veut pas rentrer, parvient tout de même à s'insinuer par le biais d'intonations plus du tout orthogonales qui relèvent bien plus de l'éther que du trente-huit tonnes. Et Writhes In The Murk de venir mourir sur le long morceau éponyme amalgamant tout ce que le groupe a si bien développé le temps des pièces précédentes, parfait épilogue qui laisse enfin les synapses revenir au premier plan.

Ce nouvel opus, comme les précédents finalement, constitue une expérience sonore - et plus généralement sensorielle - masochiste et singulière, une expérience que l'on vit d'une traite et lorsqu'elle s'achève, on voit bien comment Ævangelist a repeint les parois invisibles de la vie quotidienne. Pendant quelques instants, alors que l'on est encore coincé dans la pochette, il fait noir et froid, des murmures indéterminés flottent dans la pièce, des fumerolles blanchâtres et visqueuses saturent l'espace et petit à petit, quand tout cela s'évapore, on se rend compte par quoi l'on vient de passer. Exténuant et implacable, Writhes In The Murk se montre tout simplement monumental.

leoluce