samedi 31 mai 2014

Deep & Dark Download of the Day : Lifecutter - Aux Eardrum EP


Moitié des passionnants et déjà très bruyants Ontervjabbit, le Slovène Domen Učakar (Icarus Down, Neon Spektra) donne dans une techno pour machines-outils avec son nouveau projet solo Lifecutter. Bien campé dans son terreau indus et arrosé aux abstractions viciées de feu Pan Sonic, Aux Eardrum confronte d'abord atmosphères à couper au couteau et beats ultra-minimalistes avec une radicalité qui n'a rien à envier aux meilleures sorties du label Kvitnu, mètre-étalon depuis quelques années dans ce genre de rhythmic noise oppressante et mathématique.

C'est dark, sans compassion mais surtout étonnamment organique par-delà la scansion binaire des machines, l'impression de pénétrer le cortex d'une chaîne de montage jusqu'à finalement découvrir qu'une âme vagabonde sous le va-et-vient des pistons, évoquant sur un Traxya à l'assise rythmique presque dub-techno cette mélancolie futuriste qui exsudait déjà des rares éclaircies de 414. Sur les nappes analogiques gambadent des moutons électriques et à l'image d'Autechre, Lifecutter devient soudain le réceptacle de nos rêveries d'androïdes aux souvenirs factices, fragment d'humanité de synthèse dans une matrice de circuits imprimés et d'agglomérats métalliques.


jeudi 29 mai 2014

Deep & Dark Download of the Day : Leyland Kirby - We Drink To Forget The Coming Storm


Sur la pochette, au côté d'un œillet aux couleurs passées symbolisant les dernières heures du romantisme, un répondeur désespérément silencieux dont le graphisme signé Ivan Seal évoque la solitude des toiles d'Edward Hopper : à n'en pas douter Leyland Kirby exilé à Cracovie avait le whisky pour seul compagnon au jour de son quarantième anniversaire, le 9 mai dernier, date choisie pour dévoiler cette série de quarante instrumentaux fidèles à son goût pour les méditations en clair-obscur.

A la croisée des récollections anachroniques de son projet The Caretaker et des rêveries à la fois candides et crépusculaires qui culminaient en 2009 sur son triple-album fleuve Sadly, The Future Is No Longer What It Was marqué par l'influence du compositeur lynchien Angelo Badalamenti, le Britannique entretient la fragile lueur qui le sépare des abîmes passés et à venir. Ambivalence d'un piano dépressif tantôt spleenétique ou troublé auquel répondent les nappes de cordes bontempi et autres chœurs synthétisés, We Drink To Forget The Coming Storm ne cache pas l'artificialité de ses berceuses aux variations ultra-minimalistes, conçues pour être rassurantes mais régulièrement gagnées par les ombres voire par une certaines anxiété.

En bon disciple de Brian Eno, Leyland Kirby - qui vient également de sortir un nouveau V/Vm - revient aux sources d'une ambient d'accompagnement, dont la mélancolie peut facilement se muer en neurasthénie si vous faites l'erreur de lui prêter trop d'attention : c'est ainsi l'esprit occupé que l'humeur de ce nouvel opus au son volontairement feutré vous gagnera le mieux, investissant l'espace minute après minute jusqu'à s'y dissoudre pleinement au bout de ses trois heures de douce déprime qui hanteront longtemps votre subconscient.



Télécharger Leyland Kirby - We Drink To Forget The Coming Storm (disponible à prix libre pour 40 jours et 40 nuits seulement à compter de sa sortie)

vendredi 23 mai 2014

Saison De Rouille - Déroutes Sans Fin


Date de sortie : 03 juin 2014 | Autoproduction

Déroutes Sans Fin, voilà qui résume parfaitement ce deuxième opus de Saison De Rouille. L'intensité malade de ce disque de guingois contenue toute entière dans cette première phrase. Des guitares barbelées et de traviole, une boîte à rythme agonisante, une humeur générale qui oscille entre le maussade et l'amertume, une curieuse voix grave coincée entre beuglement et déclamation expulsant en français des textes sombres et glacés. Une musique très personnelle donc. Plus d'une fois, la vive impression d'entendre quelque chose qui ne nous est pas destiné. Comme si le groupe se débattait avec lui-même, tentant de maintenir ses idées noires dans le strict cadre des plaintes qu'il semble vouloir lancer loin de lui.  Que ces dernières puissent atteindre quelques paires d'oreilles, ce n'est pas vraiment l'important. L'important, c'est que ça sorte, que ça parte et que ça ne revienne jamais. Coincé entre metal industriel à la Godflesh (pléonasme) et blues poisseux, occulte, près de l'os mais amplifié à la Ramesses qui prend ici une sacrée ampleur - bien plus que sur Caduta Del Gravi, leur "premier cycle introductif" - on comprend très vite que Déroutes Sans Fin ne fera pas dans la facilité. Chant en avant qui en rebutera plus d'un, mixage envoyant valdinguer bien loin toutes velléités de fioritures ou d'embellissement, ce qui ne manquera pas d'agacer tous les autres, on ne peut pas vraiment dire que Saison De Rouille multiplie les atouts. Il est pourtant indéniable que quelque chose se passe. Et même s'il est parfois difficile de s'envoyer un tel bloc inhospitalier d'une traite, on se surprend à y revenir souvent. C'est qu'il y a dans cette collection de titres un petit quelque chose qui accroche bien plus que l'oreille et qui parle directement aux tripes en faisant parfois l'impasse sur le cortex. Un petit quelque chose bien difficile à décrire mais pourtant bel et bien présent. Peu importe que les morceaux n'aient pas de cadre ou en débordent trop souvent, qu'ils s'arrêtent parfois brutalement comme si le disque avait des ratés, qu'ils cultivent l'ellipse et la digression n'offrant que trop peu de motifs réguliers sur lesquels s'accrocher, peu importe que les paroles campent leur lot d'histoires mornes sur fond de bagnoles calcinées, peu importe enfin que tout y soit si parfaitement imparfait.

C'est qu'en plus d'une esthétique toute personnelle, Déroutes Sans Fin résulte d'une démarche qui ne l'est pas moins. Pour bien expulser ce que l'on a en soi, sans doute faut-il réduire les intermédiaires. Et d'intermédiaires, ici, justement, il n'y en a point. Le groupe et rien que lui. Les morceaux, l'artwork, le mixage, le financement participatif (bien que quelques labels soient, in fine, convoqués - Kaosthetik Konspiration, Ocinatas IndustriesNecrocosmSeventh Crow et Désordre Nouveau - mais il s'agit de "collaboration plus que de coproduction"), il n'y a bien que le mastering qui a été confié à une tierce personne. Tout le reste est du fait de Saison De Rouille. Non seulement à poil dans sa musique mais à poil dans ce qui l'entoure. C'est peut-être bien ça qui touche le plus, qu'une entité à tel point rugueuse et renfrognée puisse également se dévoiler complètement, sans fard et sans pudeur. C'est qu'il émerge de Déroutes Sans Fin une forme de courage, sans doute ce fameux truc impalpable qui pousse à renouveler l'écoute. Un peu voyeur, on finit par se fondre en lui et par laisser tous les accidents révéler toute leur pertinence. Oui, c'est sale, glauque et mal foutu, on est même parfois un peu gêné par la voix et les paroles qu'elle déclame sans passion excessive comme un robot qui vit ses derniers tours de circuit. C'est une gêne qui ne vient toutefois pas d'un quelconque embarras face à Saison De Rouille mais plutôt de notre attirance pour un truc pareil, ces "Je retrouve mes esprits, mais aussi toute ma douleur enfouie" ou "La folie me guette, je hurle à chaque virage" disséminés ici et là, au détour d'un riff disloqué ou d'une cavalcade fatiguée. Saison De Rouille ne rigole pas et a tôt fait de communiquer son univers décharné. Si bien que très vite, nous non plus, on ne rigole plus. Dans ces conditions, difficile d'extirper un titre plutôt qu'un autre. Déroutes Sans Fin s'envisageant plutôt comme un tout monolithique, crade et sans la moindre once de luminosité. Tout est posé dès le triptyque inaugural des Lande I, II et III, sorte de road-movie patraque pour mort-vivant : les râles virils et agonisants, les riffs oxydés et flous qui s'élèvent difficilement au-dessus d'un parterre de rythmes roides et répétitifs, de discrètes nappes de clavier bien dark appuyant le tout, il n'en faut pas plus pour que l'amalgame noisy-blues métallique et abstrait du trio (Karl S., Sébastyén D. et Laurent B.) prenne corps entre nos oreilles et derrière nos yeux.

Le reste s'emboîte logiquement, du sombre Romances (avec Christian Kolf de Valborg en renfort) au bluesy et bien nommé Moteurs Épuisés qui s'interrompt brusquement pour laisser la place au monologue introductif du bruyant et jusqu'au-boutiste Sortie,  venant clore parfaitement Déroutes Sans Fin, tous ses ingrédients s'y trouvant exacerbés. Pas facile facile, on le voit bien - beaucoup d'éléments venant heurter notre confort et nos goûts - mais finalement très prenant. Le disque vraiment personnel d'un groupe qui ne doit rien à personne et pratiquant une musique qui ne ressemble qu'à elle-même. Un disque à tel point entier qu'il n'accepte pas la demi-mesure : que vous détestiez ou adoriez il vous faudra bien choisir un camp. J'ai choisi le mien, faites-en de même. Et quand vous l'aurez fait, sachez que des réservations via le lien bandcamp ci-dessous sont encore possibles, Déroutes Sans Fin étant disponible en quantités limitées.

Ferrugineux et déroutant, encore une fois, tout était dit dans la première phrase.

leoluce

mercredi 21 mai 2014

Paskine - Nimrod


Date de sortie : 7 avril 2014 | Label : Voxxov Records

Depuis août 2012, Paskine a bien changé. A l’époque, on s’enthousiasmait pour sa première sortie UNTTLD, sur Abstrakt Reflections. Son caractère prometteur n’a pas menti, car presque deux ans plus tard le jeune français présente son véritable premier album, Nimrod - se rebeller, en hébreu - sorti sur le label Voxxov Records. Le moins qu’on puisse dire est que ça valait le coup d’attendre. Et que l'artwork, réalisé par lui-même, est à tomber par terre. 

Paskine affirme d’emblée, dès les premières minutes, qu’il ne sera pas question de flatter l’oreille paresseuse ni d’entretenir l’auditeur dans le sens du poil. On peut supposer qu’une volonté d’abstraction poussée fut à l’œuvre dans l’élaboration de l’album. A l’instar du voyageur qui prend le Nord pour horizon, voyant s’effacer peu à peu l’urbain et la civilisation, l’artiste a gommé toute empreinte rassurante. Plus de rythmique ni d’arpèges en ces lieux, les bouffées acres de gaz en combustion ont colonisé l’azur. Mais les aspérités n’en sont pas pour autant sacrifiées. Les textures profitent pleinement de cet espace, tel un biotope immatériel et fourmillant, libérant un panel de respirations rauques, de cliquetis de matière hybride, de grêlons qui tombent en pluie et de cordes d’origine non identifiée. 

Au cœur de ce magma tempétueux et délicat, la mélodie n’a pas déserté. Paskine use de procédés particulièrement subtils pour la faire éclore, croitre et porter aux nues les airs entêtants, quasi-opiacés, qui naissent aux creux des cryptes. Toujours au cœur de son travail, l’idée de répétition trouve ici un terrain d’expression à sa mesure. C’est par itération que se fait l’enchainement des harmonies et, de cette récurrence, nait un effet intense et légèrement obsédant. Des titres comme White Elephant ou le brillant Phantom Limbs illustrent ce principe. Mais malgré l’excellence et la cohésion de l’ensemble, on revient beaucoup au dernier titre, Disclosure, qui sonne comme le prolongement muri de Quanoun Time – titre phare de UNTTLD – au point de représenter, une fois associés, un intime diptyque. Preuve que les reflux et les boucles qui labourent les sens représentent une constante chez lui. Disclosure plonge ainsi dans des états fiévreusement extatiques, sécrétant l’impression étrange d’un déjà-vu fantôme, comme si les tremblements somptueux de la mélodie venaient réveiller une émotion interne et voilée, qui se révèlerait à son impact, sorte de souvenir d’un instant qui n’a pas existé.

Ce qui est bien fondé, cependant, c’est l’urgence impérieuse que l’artiste dont parlent ces lignes soit reconnu à sa valeur légitime et rejoigne le petit groupe des musiciens français s’accoquinant avec la musique expérimentale, comme Saåad ou Witxes, à qui la nébuleuse nationale de la critique musicale accorde un intérêt  justifié. 

Manolito

samedi 10 mai 2014

Deep & Dark Download of the Day : Tsone - Red Shift


Quelques mois à peine après la sortie de Exiles  chroniqué "à l'époque" dans nos pages, Anthony Obr, notre droneux originaire de Phoenix - Arizona est de retour avec 10 nouveaux titres, comme à son habitude partagés par le biais de l'auto-production, et en libre téléchargement. Ce dernier semble renouer cette fois-ci avec de plus anciennes productions, plus texturées notamment, à l'inverse de son précédent essai - possiblement présenté comme une parenthèse dans sa discographie - dont nous avions également vanté les nombreux atouts en décembre dernier.

En réalité, Red Shift  n'est pas si différent que ça. Plus lointain, paradoxalement bien plus immédiat. Les morceaux sont relativement courts (4 minutes en moyenne), mais hormis le panel de textures électrisées parcourant le travail, ce "redshift" - faisant visiblement référence à un phénomène astronomique - vient  à n'en pas douter se loger dans la continuité des précédents travaux du bonhomme.

Larsens, cordes abrasives, mais pourtant d'une douceur évidente. Athony Obr a le don de rendre sa grâce à la bête, faisant disparaître ses imperfections au gré d'un phénomène de masse qui semble distiller les couches sonores avec sainteté. Outre quelques exceptions plus virulentes (Pick your pisonWorking backward from the beginning), Red Shift est un trip brumeux, aveugle, avant tout solaire. Reconnaissable parmi beaucoup, le style perdure, et fonctionne à tous les coups.

Excellent !


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mercredi 7 mai 2014

Deep & Dark Download of the Day : Melodium - Compilation 15 Years

 

Quel que soit le goût qu'on puisse avoir pour les best of en général (le mien est assez peu prononcé à quelques exceptions près), on ne peut qu'être impressionné par l'évidence avec laquelle s'impose cette compilation signée Melodium, brassant comme son nom l'indique une quinzaine d'années de musique à raison d'un titre pour chacun des albums publiés par Laurent Girard sur des labels partageant ses sensibilités DIY tels que Disasters By Choice, Audio Dregs, Autres Directions in Music ou Abandon Building.

Sur cette période, la musique de l'Angevin n'a pas manqué d'horizons à explorer, plus ou moins acoustiques ou synthétiques, candides ou anxieux, nostalgiques ou aventureux, folktronica, glitchy ou post-classiques en passant par quelques incursions vocales sur le récent The Island. Mais ses instrus lo-fi n'ont jamais vraiment fait d'infidélité à cette affinité pour les mélodies oniriques, arrangements désuets et autres rythmiques de bric et de broc mêlant percussions, beats et field recordings, tronc commun assurant l'impeccable liant de cette rétrospective qui choisit de parcourir chronologiquement une discographie sans fausse note.

On appréciera les présences des déjà classiques Ipal & Imal, Lit Parapluie, Sarah ou Lacrymae, figurant parmi les plus belles réussites du musicien. Pour le reste, un tracklisting si bien troussé ne peut qu'engager à remonter le temps, sans omettre de jeter une oreille à la doublette d'EPs Lixiviat (second volet en libre téléchargement ici), laissée pour compte tout comme le généreux Petit Jama, ainsi qu'à Grisangle, comptine fantomatique que Laurent nous offrait l'an passé dans le cadre de la compilation de ce blog, Transmissions from the Heart of Darkness, part II: A Ghost in the Belly of the Machine.


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