lundi 28 avril 2014

Deep & Dark Download of the Day : Thot - The City That Disappears


Décidément insaisissable, Grégoire Fray nous avait surpris l'an dernier en s'aventurant aux confins du drone avec le morceau A Delicate Path, aux influences électroniques nettement moins explosives que ce à quoi son projet Thot nous avait habitués. Composé pour notre compilation Escaping dans la foulée du plus ambient The Fall Of The Water Towers que le Bruxellois nous présentait en interview comme un EP de transition vers de futurs horizons émotionnels et sonores, on s'imaginait un peu naïvement sur la voie du prochain long format du groupe.

C'était évidemment sans compter sur le sens du contrepied d'un musicien rompu aux crossovers labyrinthiques et si l'on entend en effet sur Keepers les réminiscences évidentes de ces pulsations presque introspectives et sur Dédale les artefacts prégnants d'un intérêt grandissant pour les textures sismiques du drone, The City That Disappears fascine surtout par sa capacité à digérer toutes ces sonorités au sein de morceaux majoritairement épileptiques, déferlements d'émotions contradictoires où se télescopent beats métronomiques et piano fébrile (Blank Street), guitares abrasives et ambient techno (Traces), refrains hymniques et tsunamis électro-rock (Rhythm.Hope.Answers, Citizen Pain) au gré des vocalises à fleur de peau de Grégoire Fray et de ses élans de romantisme névrotique.

Un album où la froideur désincarnée des architectures digitales est sans cesse confrontée à la rébellion de l'humain (HTRZ), ode post-indus résolumment moderne à l'attraction/répulsion des cités de béton sur nos âmes tourmentées en quête de connexion.


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vendredi 25 avril 2014

Deep & Dark Download of the Day : Oizak - Espace Marchand EP & Furtive EP


Avant de s'attaquer de front au vertige harmonique du drone avec l'excellent Cause Primaire, c'est sous le pseudo de Oizak que Cyrod fit en début d'année ses premières sorties hors du champ gravitationnel terrestre. Exit le shoegaze discordant, le post-punk déliquescent, la synth-pop décalée et autres errements électriques aux confins de la noise, du krautrock et de ce rock expérimental DIY que seuls les enfants des années 80 pratiquent encore aujourd'hui avec le sérieux qu'il mérite, ce diptyque d'EPs fait la part belle aux synthés vintage et nous emmène loin, entre bad trip cosmique et souvenirs désabusés des séries B SF dont les effets spéciaux en carton pâte abreuvaient nos fantasmes d'enfants.

Toutefois, même devenu Oizak, Cyrod reste Cyrod et un certain goût pour le sombre (Drone to the Water), le décadent (Tom Vague Souffle), l'ironique (Armer l'Algèbre) et le distordu domine ces deux séries d'intrumentaux qui par leurs seuls titres évoquent à demi-mots et sans le moindre éclat de voix un futur plutôt glauque. Conquérant mais abêti, l'humain dada du XXIème siècle hésite entre odyssée de l'espace à la Kubrick (Plastique Orange et son jam quasi motorik), quête mystique un peu folle (Terraformation) et abandon aux psychotropes (Première Impression), tandis que l'absurde (Ils Danseront Sous L'Ongle) et la morosité (Tranche Sèche, Sadbox) semblent vouloir étendre leur mainmise au-delà des limites de notre galaxie.

Quant à nous, c'est certain, on vient de croiser deux ovnis.



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lundi 21 avril 2014

Deep & Dark Download of the Day : Jel - Greenball 4 EP


Hasard ou coïncidence, on faisait référence à Jel pas plus tard que la semaine dernière à propos d'Edison et voilà que le beatmaker historique d'Anticon nous harponne avec une nouvelle sortie autoproduite de sa série Greenball (dont les deux premiers volets désormais cultes se téléchargent également d'un clic, ici et ).

Comme aux grandes heures de ces compils d'instrus hip-hop qui auraient dû faire du Californien, dans un monde parfait, le dauphin voire l'égal d'un DJ Shadow au panthéon des aventuriers de l'abstract, ce cinquième volet (en comptant le 3.5 de 2012) compile des productions pour certains des projets que Jeff Logan de son vrai nom mène du côté du label à la fourmi - en l'occurrence surtout Themselves, duo d'anthologie avec son vieux compère Doseone qui l'accompagne également au micro chez Subtle et 13&God - agrémentées de collaborations live avec Odd Nosdam, autre rescapé de la nébuleuse Anticon du tournant des 00s, et d'une poignée d'inédits.

Fidèle à la patte qu'on a pu goûter au fil des années chez Deep Puddle Dynamics, Sole, Sage Francis, Atmosphere, Kaigen et autres fleurons de l'alt-rap, Jel distille à coups de beats improvisés avec la virtuosité qu'on lui connaît sur son fameux SP-1200 ces petits grooves dark redoutablement efficaces et savamment déréglés dont il a le secret, toujours teintés des saturations entêtantes et samples bluesy découpés au scalpel que l'on retrouvait dernièrement sur ses productions pour Seregenti, au côté d'Odd Nosdam justement, ou sur le plus dense mais tout aussi fameux Late Pass de l'an dernier. A déguster sans modération.


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vendredi 18 avril 2014

Saåad - Deep/Float


Date de sortie : 17 avril 2014 | Label : Hands In The Dark 

On avait quitté Saåad en janvier 2013, après la claque allongée par Orbs & Channels.
C’est à peine plus d’un an après que Hands In The Dark sort leur quatrième album et premier LP, Deep/Float. Entre les deux, Romain Barbot et Greg Buffier n’ont pas négligé leurs guitares ni leurs couches de son. Les fondations de Deep/Float proviennent de captations de leur prestation au festival Echos en juin 2013, dans un coin des Alpes du Sud dont l’acoustique naturelle se conjugue particulièrement bien aux improvisations qui prennent le drone pour fondement. De ces extractions, les deux Toulousains ont fait une substance à la fois brute et hautement travaillée, qui s’étire et s’allonge sur une quarantaine de minutes. De ce lieu, Gregoire Orio (As Human Pattern), troisième membre du groupe, a tiré un clip aussi spectral que la musique qu’il accompagne.

Si on part du principe que le temps est un cercle plat, alors Deep/Float doit s’écouter en boucle. Pas (seulement) pour sa qualité, mais pour vivre les nuances et les ricochets qui le jalonnent de façon répétée, circulaire. C’est le format même de l’album qui se trouve bouleversé, pour peu qu’on envisage l’écoute de cette manière. Début d’une rotation perpétuelle, le mouvement s’enclenche par la basse retentissante et sourde de Valley Of Quartz. Les ondes se réverbèrent sur des parois invisibles, les fantômes affleurent et mugissent au loin, tandis que la mélodie perce, flamboyante, malgré la charge de ténèbres qui ne disparaît jamais. C’est peut-être en cela que Saåad brille, par sa capacité à injecter de la fluidité, des volutes et surtout de la lumière, même ténue et trouble, au matériau composite qu’est sa musique, flottant entre drone et dark ambient. Ce souffle-là, de l’ordre de l’étincelle, incarne tout le ressort de l’émotion, ce grâce à quoi ces morceaux touchent et résonnent.

À l’exception peut-être de Giant Mouth, plus linéaire, la suite prend la forme d’un chemin immatériel mais constellé d’embuches. L’incertain règne, les fréquences hésitent, on avance à tâtons et le doute fait la beauté du voyage.  Les accrocs hiératiques de I Will Disappoint You prennent cette direction. En progressant, le morceau s’étiole, se disperse, se consume. Le fait que l’album prenne pour thème la sexualité - amusez-vous à lire les premières lettres de chaque morceau - n’est probablement pas étranger à cette impression de temps suspendu, de friction, de sel et d’inconnu. L’amour à même la roche, voilà qui pourrait être la proposition de Saåad. Quand vient la fin – avant le recommencement – on a quitté la route accidentée, le fleuve se brise en une cascade bouillonnante. Un truc pur à t’en faire cligner des yeux, qui rejaillit de partout et te laisse l’échine courbée. After Love représente sans le moindre doute la pierre angulaire de Deep/Float. C’est la raison pour laquelle l’écoute cyclique s’impose, elle doit être construite autour de lui.

Deep/Float est sorti hier. Les plus chanceux auront goûté au live dans la foulée. Pour les autres, il reste le vinyle, à jouer sans que la rotation ne s’arrête.

Manolito



mercredi 16 avril 2014

Deep & Dark Download of the Day : Edison - No Three Men Make A Tiger


Pourvoyeur d'instrus à la fois cool et tendues, sombres et mélancoliques, pesantes et ludiques pour le crew Papervehicle ou le rappeur Evak, Edison connecte à lui tout seul l'ambition d'émancipation du collectif 667 (et donc du label Decorative Stamp qui produit tout ce beau monde outre-Manche) et le background hip-hop commun à chacune de leurs sorties. A ce titre, le Californien évoque avec bonheur les grandes heures d'Anticon, lorsque l'alt rap du label à la fourmi n'était déjà plus du hip-hop au sens strict mais pas tout à fait autre chose.

Et si Edison est un peu le Jel du Six Six Seven, alors ce No Three Men Make A Tiger pourrait être son Soft Money, album né de la frustration au quotidien, d'un dégoût du système et de toutes ces hypocrisies auxquelles on se conforme par facilité ou par dépit, mais qui les embrasse et les pervertit de l'intérieur au lieu de les dynamiter avec le goût du bruit et de la déstructuration dont on sait capables ses compères de label James Reindeer, Babel Fishh ou FRKSE. N'ayons pas peur des mots, No Three Men Make A Tiger est presque un album "pop", certes vrillé en toile de fond des mille discordances discrètes et lancinantes d'une production nébuleuse autant qu'élégante mais apaisé par le spleen mélodieux et baroque du mélodica, du piano, de la guitare sèche, des glitchs électro cristallins et autres percus délicates.

Un abstract hip-hop névrosé qui laisse de l'espace à la clarté du groove et s'offre une piste aux vocalises presque trip-hop (quoique assez vénéneux sous l'impulsion des distos oniriques autant que du chant de Shannon Harney), un morceau rap jubilatoire et révolté comme un bon vieux Sole avec au micro un Babel Fishh étonnamment cadré et quelques accès de lyrisme colorés de riffs électriques ou de scintillements synthétiques. Un chef-d'oeuvre d'équilibrisme en somme, qui distille son mal-être sans vraiment le montrer et impressionne par sa luxuriance et son impeccable fluidité.


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samedi 12 avril 2014

Noxagt - Brutage / Collection 1



Date de sortie : 15 mars 2014 | Label : Drid Machine Records

Brut, brute, bruit, bruitage, brutal... Brutage. Les déclinaisons sont multiples, les nuances infinies mais le mot n'existe pas. Enfin, si, maintenant, il existe et sa définition toute entière est contenue dans ce disque. Il pourrait également définir la musique de Noxagt mais le groupe a connu plusieurs âges et sans doute Brutage ne convient-il parfaitement qu'à sa dernière incarnation. C'est bien ce que montre Collection 1 dont on parlera plus loin : un line-up différent, le même paradigme pourtant (en gros, une rythmique basse-batterie au cordeau qui s'oppose aux digressions d'un troisième instrument) mais un autre chemin. Souvent celui du troisième instrument justement (violon ou guitare) qui incurve légèrement le chaos des deux autres. Pourtant, ce n'est pas lui qui fait l'essentiel de la musique de Noxagt. L'essentiel, c'est sa rythmique. Indéboulonnable, elle n'a pas changé depuis quatre albums maintenant. C'est elle qui hypnotise. C'est elle aussi qui met mal à l'aise. C'est elle que l'on suit invariablement. Et dans Brutage, c'est avant tout elle que l'on entend. Une courte introduction et le trio balance les dix minutes et quelques de You Were Followed By A Man From The Station To Your House et le moins que l'on puisse dire, c'est que cet homme en question dont on ne sait rien ne nous veut pas que du bien. Après cinq minutes, le titre nous enferme dans les filets d'une répétition aliénante, une répétition qui était pourtant là dès le départ mais à tel point disloquée qu'on ne l'avait pas forcément remarquée. Et puis ça joue fort. Et plus on monte le volume, plus c'est implacable. Jan Christian Lauritzen massacre ses fûts en tenant chaque baguette des deux mains, son instrument en prend plein la gueule mais reste malgré tout dans les clous. La basse quant à elle explose en ondes dévastatrices qui décollent littéralement l'espace. C'est que Kjetil D. Brandsdal ne manifeste pas non plus une tendresse démesurée pour ses cordes et n'a pas son pareil pour les faire sonner comme un rhinocéros enragé. Les deux ensemble évoquent le doux bruit d'un marteau-pilon ou d'un trente-huit tonnes c'est selon. Et  quand l'invité s'en mêle, c'est encore plus massif. Tout comme le violon fuselé de Nils Erga qui inondait les arabesques massives de Turning It Down Since 2001 (2003) et The Iron Point (2004) avait fini par laisser la place à la guitare abrasive d'Anders Hana (transfuge des tarés d'Ultralyd) sur l'éponyme de 2006, cette dernière se trouve elle-même remplacée cette fois-ci par celle de John Hegre (déjà croisé, entre autres, chez Jazzkamer ou aux côtés de Lasse Marhaug). Elle accompagne idéalement le raffut rythmique, le survole ou l'habite mais elle reste indubitablement à part. Basse et batterie sont tellement indissociables, chevillées l'une à l'autre, qu'au bout d'un moment on finit par ne plus trop savoir qui fait quoi. En revanche, on identifie toujours parfaitement la guitare.

C'est encore plus prégnant sur Someone Calls You Every Night But Says Nothing, morceau bulldozer à l'incroyable densité qui superpose des couches industrielles à un solide agrégat noise. La basse tente de s'extirper de la masse sonore mais retombe bien vite dedans et la guitare achève d'unifier le tout en traçant quelques zébrures maousses qui donnent à Noxagt un côté metal jusqu'alors insoupçonné. Sur A Colleague Came To Your House And Punched You. Your Room Became Very Messy (ces titres !), elle révèle cette fois-ci tout le potentiel psychédélique du trio. Basse en avant, salement distordue, le morceau se pare de drones déglingués qui altèrent la répétition. C'est tout à la fois droit et de guingois, bizarre et jubilatoire. Enfin, A Drunken Person Kicked You At The Station And You Had To Go To The Hospital explore le versant dark ambient de Noxagt et fait naître sous l'épiderme nombre de sensations assez bien résumées par son titre. Lézard invertébré assez dégueulasse, le morceau se passe de rythmique pour se concentrer sur les textures et finit par faire tout aussi mal que les autres en substituant le harcèlement psychologique à l'agression physique jusqu'ici convoquée. Brutage s'en va ainsi comme il était venu, paré d'un voile énigmatique que sa musique a à peine éclairci. Beaucoup de répétitions mais aussi, on le voit bien, beaucoup de variations. Des éclats singuliers qui révèlent, par opposition, toute la noirceur monolithique de l'ensemble. Alors c'est vrai que les mélodies sont laissées de côté. C'est vrai aussi que le trio sonne un poil moins alambiqué que sur les albums précédents mais il gagne en jusqu'au boutisme forcené le peu qu'il perd en complexité et son pouvoir de sidération s'en trouve préservé. Avec Brutage, les Norvégiens montrent qu'ils vieillissent bien et font attendre impatiemment la suite. Toutefois pour celles et ceux qui n'aiment pas attendre, Drid Machine Records a eu la très bonne idée de sortir Collection 1 conjointement à Brutage. C'est la période Nils Erga qui y est convoquée. Compilant, pêle-mêle, extraits de concert (de bonne qualité), morceaux inédits datant du tout premier enregistrement du groupe, Saemon Box (2001, malheureusement jamais publié) et Peel Sessions, Collection 1 montre à quel point le groupe a su cultiver sa singularité dès ses débuts. La rythmique était déjà bien en place, déjà implacable et le violon s'y agrippait merveilleusement.

Tous les morceaux sont évidemment excellents mais deux d'entre eux sont bien plus que ça. Ils frisent l'exceptionnel. Titanic d'abord, issu d'une Peel Session sur laquelle on aimerait bien mettre intégralement la main. Rythmique véloce qui ne cesse de grandir, alto au diapason qui hante les interstices, une boule se crée à la sortie des enceintes et vibre dans l'air, explose puis implose, puis explose à nouveau. La mélodie s'installe dans la boîte crânienne pour ne plus la quitter et l'on suit ses méandres complexes jusqu'à la dislocation totale du paquebot qui finit par sombrer. Abdel-Wahab ensuite, issu de Saemon Box, parfaitement hypnotique et accaparant, montrant que lorsque Noxagt s'ouvre à d'autres folklores, il reste avant tout lui-même en ne l'étant pourtant plus tout à fait. Les autres morceaux, bien qu'un poil moins intenses, s'avèrent du même bois et l'on pourrait également passer quelques lignes à les détailler (on ne le fera pas pourtant, mais de Love Transfusion à Gravy & Blood, rares sont les moments où l'on reste de marbre). L'ensemble ne dure qu'une demi-heure mais file à la vitesse de l'éclair et l'on se perd volontiers dans le flot impétueux d'une musique pure et sauvage qui joue avec nos émotions comme avec nos nerfs. Bref, loin de n'être qu'un pays qui a mis en exergue le mal être de quelques pandas tristes, il est également temps de reconnaître la Norvège comme le pourvoyeur de ce qui se fait de plus intraitable et inhospitalier de ce côté-ci de l'Europe. On loue le pays pour sa réussite politique et financière mais c'est à se demander s'il n'y a pas quelque chose de vicié derrière ses belles façades ripolinées. Ultralyd, Noxagt, MoHa!, Lasse Marhaug et quelques autres, se mêlant et se démêlant, tous sidérants et tous extrêmes. On n'accouche pas d'une telle scène par hasard. Ou tout y est-il à tel point bien rangé que l'incontrôlable se doit d'apparaître ? À certains moments, Noxagt a quelque chose de terroriste et l'entropie dont il ne se départ jamais montre un élan que l'on jurerait vital.

En tout cas, vitale, il va de soi que sa musique l'est.

 leoluce




mercredi 9 avril 2014

Deep & Dark Download of the Day : Chris Weeks - Silo EP


Soyons clairs, si vous ne devez écouter qu'une sortie de l'Anglais ce printemps il faudra que ce soit Conductor, requiem pour l'ère de l'électricité joué par un orchestre de machines moribondes qui marquera assurément notre année drone. Lâché dans la foulée en libre téléchargement, ce nouvel EP est forcément moins ambitieux, moins escarpé aussi mais s'avère tout aussi saisissant de magnétisme harmonique, des nappes oscillantes du troublant Wool aux majestueuses rêveries d'A Flicker Of Light toujours sur le fil de la sursaturation, en passant par le crescendo démiurgique de Shift ou le dark ambient sismique de Dust.

Inspiré par la série de romans du même nom publiée uniquement en e-books par l'Américain Hugh Howey, Silo fait le lien entre deux obsessions récurrentes de l'auteur de Contemplation Moon, la SF dystopique incarnée ici par un thriller sur fond de lutte des classes dans un futur post-apocalyptique, et la persistance organique de l'art dématérialisé. A l'image des dérèglements numériques du bien-nommé A Sudden Instance Of Malfunctioning or Irregularity In An Electronic System sorti le mois dernier par son side project Kingbastard, Chris Weeks semble ainsi célébrer le pouvoir d'évocation intact d'une oeuvre désormais dotée d'une vie propre et qui néanmoins, à l'image de ses précédentes sorties sur le label Odd John, ne verra vraisemblablement jamais le jour en format physique.

Un sacré pied de nez aux ayatollahs du matos haute fidélité, peu d'albums ayant su faire preuve ces dernières années d'une profondeur de champ comparable à celle des home recordings totalement autoproduits du Britannique - lequel conseille comme il se doit l'écoute au casque, garantie d'une qualité d'immersion que n'égalera jamais la meilleure des installations acoustiques.


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dimanche 6 avril 2014

Sluggart - Slumberless


Date de sortie : 30 mars 2014 | Label : Xtraplex Records

Nous ne le dirons jamais assez, mais la maison Xtraplex est réellement incroyable. Ayant fêté en février dernier ses deux années d'existence, parsemées depuis ses préambules de sorties toujours plus enivrantes les unes que les autres au style désormais si reconnaissable et singulier, elle vient de franchir une étape prépondérante, celle des prémices de la production d'objets physiques. Ayant vécue plus de la moitié de sa vie dans la pure gratuité, la demeure belge s'est donnée les moyens de matérialiser ces 24 mois d'efforts et ainsi entamer la production de cartes SD, cassettes et autres compact discs (dans un premier temps). Lentement mais sûrement Xtraplex impose sa "patte", nullement propulsée par un quelconque souhait de renouveau stylistique ou de réelle percée médiatique. Ces "ganglions créatifs" tels qu'ils se définissent eux-mêmes, gardent le même et unique cap qui est le leur, ne cherchant aucunement à réinventer la roue, au profit d'une recherche approfondie sur l'ambiance, et le ressenti pur qu'elle procure. Au pays des ganglions géniculés, la mélodie est reine. Et pour enfin en venir à notre sujet principal, Slumberless est sans nul doute l'un voire le meilleur disque du label. Une immense joie donc de le voir prendre vie sous forme physique. Ajoutez à cela un superbe artbook incluant certaines des illustrations de Sluggart en personne si vous souhaitez vous offrir le pack complet (même si je crois que le bouquin est d'ores et déjà sold-out).

Je n'aime pas citer d'autres artistes pour appuyer mes argumentaires, en particulier pour la maison gantoise, mais il est intéressant de noter que la production à laquelle nous avons affaire se rapproche de celles de l'écurie Ultimae (Sync24 ou Carbon Based Lifeforms notamment), en particulier sur le morceau Drunken Follies. Un tantinet plus sombre qu'à l'accoutumée (par rapport au label entier ainsi qu'à sa première production sortie en février 2012), ce dernier effort accouché par Sluggart est une perle de rêverie en clair-obscur aux humeurs changeantes, zigzaguant entre trip sous substances inconnues, brumeuse noirceur et j'en passe. En réalité, difficile de savoir de quel côté du mur nous sommes. Le ressenti par rapport à l'objet a été plus qu'ardu à mettre sur papier. Comme un rêve des plus bizarres que nous tentons de narrer à l'éveil, Slumberless marque son empreinte à chaque temps fort de l'histoire, laisse derrière lui certains détails pointilleux, mais nappe notre cortex d'un sentiment quant à lui terriblement précis. Ce rêve-là est hors du temps, beau mais dramatique à la fois, soumis aux aléas manichéens. Pleinement humain et victime d'une existence sans attache familière, éduqué à la seule force de la survie en solitaire dans un monde hagard et terrifié, vide de bonheur, laissant quelques brefs balbutiements de cordes vocales s'émanciper au gré des vents dans ce vaste lieu apocalyptique et infiniment brumeux, dans l'espoir d'une réponse, en vain (Pavement). Slumberless relate la survie d'un être dont on ne sait rien, destiné à respirer et à vagabonder dans la solitude la plus absolue.

Sam Nielandt de son vrai nom garde ce même goût marqué pour les accords bizarroïdes,  mais son travail se voit affublé d'un niveau d'abstraction un cran au-dessus. Bien moins immédiat dans son rythme, plus en retenue et en profondeur, c'est en définitive un travail bien plus abouti, même si son précédent essai était déjà de haute volée. Pleinement attachant dans toute sa splendide noirceur et sa mélancolie suave, percutant dans toute la tristesse et le désespoir qu'il matérialise à la perfection (Hollow Heart), il est de ces albums capables de stimuler des émotions nouvelles, sorte de fusion de sentiments usuels dont la combinaison opère comme une forme de magie noire, aux frontières d'une catalepsie lorgnant sur la pénombre, aux très succinctes traces de clarté optimiste mais à la beauté sans pareille.

-inoui-



mercredi 2 avril 2014

Deep & Dark Download of the Day : Raining Leaf / Wizards Tell Lies - Fallen EP


Coutumier des épopées de l'ombre tenant en un seul titre, l'Anglais Wizards Tell Lies (interviewé dans nos pages en 2012 suite à sa participation à notre compil' Escaping) remet le couvert, associé cette fois à son compatriote Raining Leaf louvoyant comme lui aux confins du dark ambient, du post-rock et de l'expérimentation noisy.

Du haut de ses 26 minutes, Fallen est forcément hors-norme mais c'est surtout tout ce qu'il s'y passe qui impressionne, travelling avant sur un paysage de désolation que l'on parcourt tel un fantôme renvoyé un siècle en arrière : une tranchée, avant l'apocalypse puis sous les mortiers en sourdine et lorsque enfin, pavée de corps inertes, elle n'est plus qu'un désert de chair morte et que l'angoisse se mue en élégie tandis que la réalité du présent et ses pulsions de vie reprennent peu à peu leurs droits.


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mardi 1 avril 2014

Deep & Dark Download of the Day : Blue Dressed Man - Autumn Wood EP


Du Luxembourgeois Jacques H. qui officie depuis 15 ans sous le pseudo de Blue Dressed Man, on ne connaissait que l'EP Hopeful Loneliness sorti en 2012 sur le label Etched Traumas et toujours disponible en libre téléchargement. Discret, le bonhomme faisait preuve de la même retenue dans sa musique, délicat melting-pot de synthés fantasmagoriques, de drones vaporeux, de pulsations électroniques et d'instrumentation plus organique (cordes baroques et percussions, notamment) aux humeurs volontiers bucoliques.

De la même manière, Autumn Wood esquisse un espace urbain déserté avec lequel la nature aurait appris à fusionner. Un futurisme craquelé vit ses derniers instants magnifiés par les arpeggiators crépusculaires et les percus mystiques de Deep Wood, sous les distos lynchiennes de Behind Trees la sève pulse en numérique, on ressent l'appel du loup solitaire par-delà les néons vacillants des boulevards de Forest Floor et derrière les beats IDM de Uneven Walk ou d'un Knotty Branches réminiscent du BoC d'il y a 15 ans, c'est la vie du sous-bois qui s'affaire et la mélancolie de l'automne déclinant qui nous lacère l'âme.


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