vendredi 28 mars 2014

Deep & Dark Download of the Day : Crowhurst / Power Monster - Isolation


Isolation, parce qu'à moins d'être tout seul à la maison ou entouré de sourds, il vous faudra user du casque pour écouter ce nouvel EP du Californien Jay Gambit sans vous attirer les foudres de la petite maisonnée. On ne va pas vous le présenter à chaque fois, Crowhurst fait du bruit, le fait bien et ne s'arrête jamais. Après En Nihil, le voilà donc associé à Power Monster, projet d'une Texane tout aussi tonitruante et forcenée du nom d'Alexandra Pharmakidis.

Autant dire que si ce n'était pour le regard sombre du personnage représenté, on se demanderait bien ce que le détail d'une peinture classique vient faire en cover de ce nouveau monolithe harsh à la limite du futurisme. En face-A, Crowhurst y livre en effet un crescendo d'oscillations radiantes et pullulantes qu'on aurait plus facilement associé à un mash-up de Francis Bacon et de Pierre Soulages. Quant à sa compatriote, elle ne démérite pas en face-B avec son ouragan sursaturé d'échardes statiques et de clous rouillés : c'est dire si ces deux-là se sont trouvés et avec un peu de chance on aura bientôt droit à toute une portée de petits EPs vicieux et déglingués !


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mercredi 26 mars 2014

Deep & Dark Download of the Day : Colony - Music For Empty Rooms


Découvert courant 2012 grâce à cette chronique du compère Inoui sur feu Have Faith in Sound, l'Italien Sebastiano Festa associait alors son électronica downtempo au piano et aux glitchs du Japonais Akito Misaki, signant un petit bijou de mélancolie éthérée à rapprocher d'Erissoma ou encore des travaux les plus light de r.roo. Ingénieur du son dans la foulée pour l'excellente triple compilation Charming Sepulcher du même blog (toujours en libre téléchargement ici), à laquelle il offrait également un morceau nettement plus ténébreux enregistré pour l'occasion et toujours signé du pseudo Colony, celui qui partage son patronyme avec un compositeur de madrigals tout aussi peu connu se passe ainsi très volontiers de chant au contraire de cet homonyme du XVIème.

Un parti pris que certains regretteront peut-être à l'écoute de ce Music For Empty Rooms, sorti en octobre dernier dans une tragique indifférence. D'une part, car les interventions des invités Maria Messina (arabesques vocales mystiques sur You Never Came Back Home) et John Mario (chant cotonneux sur Well Of Memory) font merveille sans une once d'ostentatation (et idem pour le sample blues à la Moby de Building Houses For No One To Live In). De l'autre, parce que 130 minutes de nappes vaporeuses ultra-minimalistes et de piano impressionniste sur fond d'incursions électro parcimonieuses voire carrément absentes, ça peut paraître long, les premiers beats feutrés ne faisant leur apparition qu'au bout d'une grosse demi-heure de disque, en plein milieu du clair-obscur Just Another Blackout.

Qu'importe, à condition d'aimer s'abandonner aux sensations ouatées d'une rêverie matinale (et de savoir occuper son autre lobe frontal judicieusement durant l'écoute), c'est justement cette dilatation du temps qui fait de l'album une pièce maîtresse de l'électronica ambient de ces dernières années. Rien n'est à jeter sur ce disque, de l'hédonisme fantasmé du futuriste A Hundred Years From Now évoquant de loin le zen japonais, aux sombres errances métaphysiques du final Time Destroys Everything, des méditations angoissées d'Empty Houses ou Endless Window Longing au spleen réconfortant de Once There Were People Here ou Well Of Memory, en passant par la délicate oraison post-rock de Then Came The Morning.

On pense à Brian Eno sur Empty Skies ou Badalamenti sur Things Are Less Real Than They Appear, deux maîtres du non-dit sous leurs voiles de drones en apesanteur, dont l'influence pour le second, étroitement associé au cinéma de David Lynch, se retrouve également dans le mystère que scelle sur la pochette ce rideau bleu évocateur de la fameuse Chambre Rouge de Twin Peaks. Car au delà de la solitude, de l'absence et de l'effacement, c'est bien à l'érosion de la réalité par le passage du temps que souhaite échapper Colony sur ce disque, en se façonnant un refuge à l'abri de l'emprise de cette quatrième dimension figée par ses compos en suspension.


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mardi 25 mars 2014

Deep & Dark Download of the Day : Frietboer - Phiertrek EP


Un peu d'abstract hip-hop au programme d'aujourd'hui, c'est bien aussi parfois de changer d'horizon, d'autant que les chapes de beats noisy et de samples viciés proposées par le Hollandais Frietboer sur cet EP autoproduit s'avèrent tout aussi oppressantes et plombées que bien des ciels de traîne habituellement arpentés dans nos pages.

Patron de l'aventureux netlabel Frietboerism dédié au défrichage des sphères hip-hop et breakbeat de l'underground du pays plat, on l'avait découvert en beatmaker de luxe pour le rappeur ricain Brad Hamers qu'il avait su sortir de sa zone de confort éthérée le temps d'un EP, le bien-nommé You Were Murdered As A Kid, unique sortie à ce jour de leur duo Dust On Snow.

Un télescopage d'alt rap poétique et d'abstract lourd et dissonant (à la Company Flow ou Deadverse Massive dans leurs moments les plus claustro) dont on retrouve ici la pesanteur lo-fi aussi minimale que l'artork du bouzin, avec tout au plus quelques arabesques au groove plus ludique sur Phloque ou Bleekhop. Car pour le reste, des drums crunchy doublés de synthés funestes de l'excellent Kerf aux distos saturées sur beats sourds de Smoke It Down, on n'est pas là pour rigoler mais plutôt ramasser quelques bons gros coups de barre de fer au ras du caniveau dans une ruelle mal éclairée. Charmant.


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samedi 22 mars 2014

Blackthread - Separating Day And Night


Date de sortie : 01 octobre 2013 | Label : Fil Noir Records

Sur le thème "I want to drive you through the night, down the hills - Vous mettez cet album dans l'autoradio et vous conduisez toute la nuit. Pour aller où ? Là n'est pas la question..." de la 8ème édition du Grand Jeu sans Frontières des Blogueurs Mangeurs de Disques.

Separating Day And Night s'ouvre sur des ondes dont on aimerait qu'elles ne s'arrêtent jamais. Elles constituent sans doute la partie la plus charnue d'un disque par ailleurs complètement pelé. Un disque dont les armes on ne peut plus minimales provoquent nombre de remous en profondeur. On n'est jamais loin du murmure et pourtant ces paroles intimes déclamées sans passion excessive s'avèrent très vite passionnantes. La musique de BLACKTHREAD doit beaucoup à ce phrasé singulier, didactique et monocorde, à cette façon si particulière de balancer des mots à poil, les habillant tout au plus d'une fine couche de silence. Ils claquent et résonnent longtemps, même bien après qu'ils aient été prononcés, habitant chaque parcelle de vide. Ils sont l'élément central, le pilier autour duquel le reste s'articule. Le reste s'avère d'ailleurs tout aussi sec : quelques nappes enveloppantes, une basse économe, des poussières de clavier et c'est bien tout. Mais là aussi, le silence détache chaque note des autres, la fait voler dans l'air où elle finit par rester en suspension. En suspension, Separating Day And Night l'est tout le temps. Et l'auditeur est suspendu à ses lèvres. Car il n'a beau être habillé de rien et peser le poids d'un courant d'air, le disque est avant tout extrêmement consistant. Dense, captivant de bout en bout, il n'a pas son pareil pour reconfigurer l'espace et le temps qui l'accueillent et une fois que l'on a croisé l'empan de ses ondes énigmatiques, on adopte très vite sa respiration singulière.

Derrière BLACKTHREAD se cache Pierre-Georges Desenfant. Déjà repéré chez One Second Riot où il tenait la basse et le micro, sa nouvelle incarnation solitaire s'en détache fortement mais en garde aussi quelques traits seyants : l'économie, l'envie d'être au plus près de l'os, d'éliminer les fioritures. Point de noise-rock hypnotique ici mais de l'hypnotique simplement. D'une infinie délicatesse (que l'enregistrement de Christophe Chavanon met parfaitement en lumière), souvent déchirant voire bouleversant, on a bien du mal à définir Separating Day And Night. Il montre une certaine orthogonalité héritée de la noise janséniste qu'il a pratiquée auparavant mais aussi beaucoup d'accents drone dus à ce bourdon omniprésent et éthéré qui le rapproche parfois d'une ambient solaire à la Windy & Carl (There's A Nightmare In My Room). Et puis, encore une fois, il y a cette voix et sa diction mi-parlée mi-chantée qui précipite le tout dans des sphères inédites mais néanmoins magnifiques. De Black Hands en ouverture à Back To The Hills, de Old Car à Play It By Ear, on devient très vite captif du clapotis envoûtant d'un disque qui choisit bien plus souvent la nuit que le jour (Life Of Brian est sans doute le plus lumineux du lot). On y entre à pas feutrés par peur d'en casser le fragile équilibre less is more et on le quitte sans faire plus de bruit à moins que ce ne soit lui qui nous quitte car une fois que sa poésie déclamatoire et ses échos enveloppants se sont tus vient le manque. Et l'envie de retourner bien vite en errance à ses côtés.

C'est qu'à force d'effacement, le disque se montre extrêmement intense et accaparant.

Grand.

leoluce

jeudi 20 mars 2014

Deep & Dark Download of the Day : Nobodisoundz - Vibrating Movements Of Sounds / WHt HrZs


Sur le thème "It's just a reflektor - Deux pochettes d'albums qui se ressemblent comme deux gouttes d'eau. Coïncidence?..." de la 8ème édition du Grand Jeu sans Frontières des Blogueurs Mangeurs de Disques.

Deux pochettes qui se ressemblent pour deux EPs qui, forcément, s'assemblent. Lâchés à quelques jours d'intervalle par Philippe Neau, déjà auteur de quatre sorties cette année (dernière en date, cette superbe collaboration avec son homologue toulousain Philippe Lamy où il est question, justement, de gouttes d'eau), leur contenu ne laisse filtrer que peu de lumière à l'image de ces peintures dont le noir profond et texturé reflète les travaux du Mayennais, plasticien passé à la musique sous le pseudo Nobodisoundz en référence à Nobody, l'indien "passeur" du film Dead Man.

Comme ce dernier, le musicien arpente le no man's land qui sépare le tangible de l'intangible, la réalité du rêve. Le point commun de ces EPs, ce qui les différencie également du très dépouillé et désincarné Area Of Interpretation tout en errements narcotiques enregistré dans la foulée par un Philippe Neau décidément très inspiré ces derniers mois, c'est cette envie d'explorer les zones d'ombre du subconscient plutôt que d'en interpréter les bribes dont la conscience parvient à s'emparer dans un demi-sommeil troublé.

Et comme dans le faux western de Jarmusch, c'est en noir et blanc que ça se passe, qu'il s'agisse des collages de textures fantasmagoriques et pulsés d'un Vibrating Movements Of Sounds convoquant les sensations perturbantes de l'enfance confrontée aux premières névroses de l'imaginaire, ou de la dérive tout aussi claustrophobe de WHt HrZs dont le piano funeste nous sert de fil d'Ariane à travers un dédale où désert de poussière statique (Sweet Song), jungle allochtone (Non Song), friches industrielles (All Song Birds), twilight zone de larsens aliénés (So Song Snow) et cauchemar lunaire à la John Carpenter (Soul Song Stuung) se succèdent tels les cercles d'un intrigant - voire parfois franchement inquiétant - purgatoire gothique.


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mardi 18 mars 2014

Fire! Orchestra ‎- Second Exit


Date de sortie : 10 janvier 2014 | Label : Rune Grammofon

Sur le thème "Let's get in on - Le disque qui vous donne envie de jouer des hanches... et pas pour danser..." de la 8ème édition du Grand Jeu sans Frontières des Blogueurs Mangeurs de Disques.

Dans le respect phonétique du thème imposé, voilà un disque qui joue des anches, et pas pour faire danser. A condition de s'imaginer dans l'arrière-salle de quelque club lynchien, c'est tout juste si l'on pourra se trémousser lascivement en face-A, le trio suédois et son orchestre improvisé renouant avec la vénéneuse sensualité de big band enfiévré mais feutré que distillait dans sa première moitié l'Exit! originel. "Fire stay with me" s'exclame d'ailleurs à plus d'une reprise la pythie Mariam Wallentin, déjà maître de cérémonie sur les passages vaudou de l'opus précédent sorti l'an dernier par Fire! avec sa bande organisée d'une bonne trentaine de musiciens, "réduite" à 13 membres sur cette suite enregistrée live au festival de jazz nantais Les Rendez-vous de l'Erdre en septembre 2012, soit quelques mois avant leur début sur album.

Bientôt doublées des babillages de soprano déglinguée de Sofia Jernberg (vocaliste de Paavo et Seval), les incantations de la chanteuse de Wildbirds & Peacedrums semblent alors mener la danse des cuivres et des percus mais ne nous y trompons pas, celui qui joue des anches de son saxo hanté par les esprits en constant corps à corps d'Ornette Coleman et David Lynch c'est bien Mats Gustafsson (The Thing), décidément adepte des trios puisqu'on l'avait déjà croisé ici aux côtés de Paal Nilssen-Love et Mesele Asmamaw ou encore associé à Merzbow et Balázs Pándi. Sans oublier bien sûr les albums de Fire! et notamment celui-ci qui nous permettra d'introduire la guitare du fidèle Oren Ambarchi, discrète mais bien présente par petite touches sépulcrales aux sommets des pics d'intensité cacaphoniques des deux parties, au même titre que le piano déstructuré de Sten Sendell et les bidouillages saturés de Joachim Nordwall (dont l'impressionnant Monstrance de l'an passé en collaboration avec Mika Vainio n'a pas fini de nous tarauder).

Frénétique, le Fire! Orchestra ? Pas si simple. Car à l'issue d'un crescendo jazz-rock complètement dingo que vous parviendrez peut-être à danser si vous avez le diable au corps, l'agilité disloquée d'un fakir et la résistance au vertige d'un derviche tourneur, la face-B tourne sans crier gare au purgatoire jazz-ambient, bégaiements angoissés, percussions erratiques et basse menaçante traînant leur tension atonale dans un silence de plomb. Jusqu'à ce que les cuivres émergent de ce théâtre d'ombres pour le faire basculer dans la farce pour fantômes en fête à coups de fulgurances décadentes, disparaissant à nouveau comme ils étaient venus au détour des micro-secousses d'un no man's land électronique avant de tout donner dans un ultime déferlement cathartique, que viendra finalement dissiper le crépuscule du piano laissé seul à sa fuite morbide et sans issue.

Rabbit

Édité à 500 exemplaires vinyle, l'album est toujours disponible sur le site de Rune Grammofon. La face-A pour vous faire une idée :

dimanche 16 mars 2014

Dirge - Hyperion


 Date de sortie : 14 mars 2014 | Label : Debemur Morti Productions

Sur le thème «"There's no future, no future, no future for you!" Le disque que vous écoutez quand tout semble sans issues, histoire de se rouler dans le désespoir... » de la 8ème édition du Grand Jeu sans Frontières des Blogueurs Mangeurs de Disques.

Puisque tout semble sans issue, autant opter pour un disque qui n'en présente lui-même aucune : peu d'aérations, pas d'ouvertures et encore moins de pause, même lorsque les flots massifs et monochromes qu'il déverse à grands fracas se taisent au profit de passages plus ambient ou synthétiques, ou lorsque le growl puissant et ventripotent laisse la place à des voix claires voire féminines et diaphanes. Même dans ces moments-là, Hyperion reste campé sur ses fondations noires et souterraines. Même dans ces moments-là, il demeure sans issue. Sa résonance particulière, sa mélancolie tenace ont tôt fait d'envelopper l'auditeur, dès l'introduction rampante des huit minutes de Circumpolaris en fait, et ne relâchent leur étreinte qu'à la toute fin. C'est que ce que l'on y entend ne cesse d'interloquer, surtout si l'on est déjà familier de Dirge et des albums précédents où le groupe s'évertuait à dessiner les contours d'un post-metal qui fut à l'origine robotique puis devint de plus en plus atmosphérique pour culminer à des hauteurs insoupçonnées le temps d'Elysian Magnetic Fields, leur opus de 2011. On savait que Dirge pratiquait la mue permanente mais l'on ne s'attendait pas forcément à la teneur de cet Hyperion : à avoir ainsi ralenti la cadence tout en rajoutant des couches supplémentaires de lourdeur, le groupe quitte les eaux encombrées du post-machin pour atteindre celles bien plus inédites d'un sludge minéral aux accents anthracites bien marqués. Tout en longueurs - mais ce n'est rien comparé aux cavalcades interminables d’antan (Wings Of Lead Over Dormant Seas en 2007 par exemple) - les morceaux osent mettre en avant leurs mélodies et leur fragilité, un beau paradoxe quand on sait à quel point ils s'avèrent par ailleurs massifs et inébranlables.

Alors bien sûr,  à chercher ainsi l'atmosphère, à exposer ses fêlures et sa sensibilité, il arrive que l'on oublie toute forme de retenue et parfois, Hyperion revêt des atours boursouflés qui prennent la forme de claviers envahissants (Hyperion Under Glass qui n'en reste pas moins remarquable) ou d'une voix légèrement trop déchirante (Floe). Mais c'est bien peu comparé au reste et à tout ce qui fait de cet album un incontournable : growl et chant clair qui grandissent ensemble, se mêlent ou se renvoient alternativement la balle, riffs basaltiques, denses et gris, basse mastodonte qui n'a jamais sonné si post-punk, batterie bestiale qui peut à l'occasion revêtir une armure de porcelaine, claviers aux textures riches et travaillées, dentelle électronique qui grandit où on ne l'attend pas. Tout cela concoure à l'édification de morceaux sans cesse mouvants, tour à tour épiques et éthérés, tout le temps ciel de traîne et envoûtants. Une nouvelle fois épaulé par Nicolas Dick échappé de Kill The Thrill, mais aussi de Milena Rousseau (Miroda) et Tara Vanflower (Lycia), les cinq parisiens accouche d'un monstre hypersensible, d'un colosse aux pieds encore plus fragiles que l'argile. Le disque est ainsi tout à la fois monumental et près de l'os et surtout, il s'éloigne toujours un peu plus de ses influences supposées (pêle-mêle, Neurosis, Godflesh ou Mastodon) pour explorer des territoires qu'il est bien le seul à fouler aux pieds désormais. Dans ces conditions, aucun titre ne sort du lot, ou plutôt, tous en sortent, ce qui rend Hyperion très homogène, monolithique presque : on ne peut pas l'écouter d'une oreille distraite. On rentre à l'intérieur et une fois que l'on y est, on se laisse transporter par les circonvolutions, les digressions, les changements de textures, alternant entre le rugueux, le hérissé et l'ouate, à l'image des seize minutes exclusivement instrumentales de Remanentie qui voient Dirge coiffer tous ses masques un à un sans jamais se départir de sa remarquable justesse et de sa mélancolie.

Ce n'est pas non plus le disque dépressif d'une bande de pandas tristes et hirsutes et d'autres sensations sont convoquées : la neurasthénie habite certes Hyperion mais l'urgence aussi, ainsi que l'apaisement ou la colère. Tout un éventail qui rend le magma terriblement vivant et le fait vibrer d'une pulsation parallèle à notre rythme cardiaque. Dans ces moments-là, se montrant fragile et imparfait, complètement humain, il va sans dire qu'Hyperion devient bien plus qu'un disque.

Une abstraction, une construction mentale en miroir, un truc aliénant qui pourtant libère complètement. Quelque chose comme une voix intérieure. Un truc qui touche en profondeur.

Magistral.

leoluce


vendredi 14 mars 2014

Otto A. Totland - Pinô


Date de sortie : 31 janvier 2014 | Label : Sonic Pieces

Sur le thème « "Je lui dirai les mots bleus, les mots qu'on dit avec les yeux." Un disque qui se passe de mots, et très bien, merci!... » de la 8ème édition du Grand Jeu sans Frontières des Blogueurs Mangeurs de Disques.

Un disque qui se passe de mots, donc on en écrira peu. Un disque qui se passe de mots, donc sans voix, instrumental. Pour mettre à l’honneur un tel album, autant aller chercher un artiste qui ne s’adonne qu’à un unique instrument, dans son plus simple appareil. Le premier album de Otto A. Totland n’est que piano, bribes qui s’enchaînent et s’enchevêtrent. 

Mais le Norvégien n’est pas n’importe quel pianiste. On le connaît aux côtés du violoncelliste Erik K. Skodvin pour leur projet Deaf Center, dont les quelques disques font figures de fondamentaux (inégalable Pale Ravine). Avec Nest, il collabore également avec Huw Roberts (Serein). Sur le très estimable Sonic Pieces qui l’accueille aujourd’hui, il avait déjà sorti un maxi accompagné de Skodvin, Harmony From The Past, en 2012. 

Du piano donc, et quelques enregistrements d’extérieur, de brefs cris d’oiseaux et surtout ce bruit du toucher, des doigts sur les touches et le son mat du marteau sur les cordes. Sur ce plan là, la production est impeccable et la patte de Nils Frahm au mastering, caractéristique. Alors que les émotions transmises explorent des contrées proches de celles investies par Felt, la comparaison avec les propres travaux du Berlinois semble presque trop évidente. 

18 titres, d’en moyenne deux minutes, Pinô est édifié sur des fragments de phrases musicales, qui se lient en un unique mouvement. De ce morcellement provient probablement cette relative légèreté qui baigne l’album comme une lumière déclinante. Ces passages d’une poignée de notes à l’autre, entre les silences retenus et le dépouillement des mélodies, préservent d’une plongée en eaux trop sombres et en même temps maintiennent une forme émouvante de gravité. Otto A. Totland joue comme un peintre délicat, par petites touches, sur la crête des vagues de la mélancolie. 

Manolito


Deep & Dark Download of the Day : James P Honey - dIv_ØØNYgHN


Lâché l'an dernier chez Divergent Series sous la bannière "Anti-Rap Alternative Folk" chère à son duo A Band Of Buriers, ce dernier album en date de l'Anglais James P Honey est désormais sold out. Une bonne nouvelle quelque part, puisqu'il peut dès lors nous l'offrir au libre téléchargement, que vous ayez ou non conservé le lecteur de cassettes indispensable jusqu'ici à la lecture de l'objet.

Avec Matthew Romain, moitié des sus-nommé fossoyeurs au violon et un certain Thomas Lowrey crédité aux "belles harmonies", on sait déjà avant même de lancer l'écoute qu'on n'aura pas affaire au hip-hop vénéneux de Murmur Breeze ou tout autre projet du crew 667 dont James P Honey tient les rênes en compagnie du non moins aventureux James Reindeer. Pour autant, l'acoustique de ce dernier album en date est loin d'être fleurie et une certaine neurasthénie domine ces deux faces vouées à l'autoflagellation artistique, dont les morceaux majoritairement courts et dépouillés (y compris lorsque flûte déglinguée et percussions lo-fi sont de la partie) oscillent entre désillusion, nihilisme et désespérance (cf. le superbe passage au piano en face-B).

Aussi loin d'être "arrogante et boursoufflée" que "superficielle et dénuée de sens" comme le prétendent les intitulés des deux suites, la musique de James P Honey ne donne pourtant pas plus dans la fausse humilité que dans la crise de confiance incurable. Dédiée aux compères FRKSE et Dug Yuck dont les univers partagent cette même grisaille doublée d'austérité, elle s'adresse plutôt à tous ceux que rongent solitude et mal-être en dépit de bouteilles (musicales) lancées dans l'océan (des sorties) et bien trop souvent restées lettre morte. On ne pourra donc que se réjouir du joli succès de cette sortie-là et lui souhaiter une belle seconde vie en digital.


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mercredi 12 mars 2014

Deep & Dark Download of the Day : God's Sleeping Disorder - Faeries of the Chasm EP


Quelques jours après l'excellent Rota do Vento du combo Monte 6, c'est à un autre projet parallèle du Portugais Babalith que l'on s'intéresse dans le DDDD. Décidément généreux, André Consciência nous offre en effet ces jours-ci le premier EP de God's Sleeping Disorder qui le voit cette fois croiser le fer avec le guitariste black metal Lino Mateus.

A la croisée d'un dark ambient tribal hanté par les bourdonnements lancinants de la guitare du sus-nommé et d'un black metal qu'on aurait dépouillé de toute velléité rageuse, Faeries of the Chasm met en musique un étrange rituel guerrier, tout en montées de tension qui n'éclatent jamais vraiment à la mesure des martèlements martiaux sur A Rumour of Sharp Teeth ou des roulements de tambours militaires de The Khuddam Warlord. Seule référence directe au folklore black, les babillages démoniques du bien-nommé Goblin Migration néanmoins réléguées en arrière-plan comme s'il s'agissait d'une transmission extra-terrestre, autant dire que ces fées de l'abysse à défaut d'enchanter les gardiens du temple metal norvégien nous ont d'emblée mis dans leur poche.


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Richard Devine - Risp


Date de sortie : 4 décembre 2012 | Label : Detroit Underground

Sur le thème "There's too much, too much, too much." Un disque beaucoup trop compliqué, indigeste, ampoulé; il y a un peu trop de tout partout, mais... c'est pour cela que vous l'aimez..." de la 8ème édition du Grand Jeu sans Frontières des Blogueurs Mangeurs de Disques.

Risp, univers ou microcosme, mais en réalité lieu hors du temps et même de l'espace, "là" où le concept même d'abstraction ne parvient plus à s'agripper à un semblant de déjà-vu. À la manière d'un labyrinthe sans fin, voire dénué de début au sein duquel le seul questionnement un tant soit peu pertinent se résume à savoir si l'on suit bel et bien une direction, le disque ne s'appréhende pas comme un objet traditionnel. En réalité, ce labyrinthe n'a pas de limites, car ces dernières sont multiples, même innombrables.

Forme de vie perdue dans une montagne de câblages entortillés et de diodes aux lumières inconstantes, cette dernière production signée du cortex (et d'une armée de machines) de l'Américain Richard Devine interpelle, fascine, tout en provocant un profond malaise et une inévitable sensation de vertige due en majeure partie à toute la complexité des rythmiques. Paru sur l'excellent label Detroit Underground, et embelli de monstrueux visuels tirés de l'esprit de Dmas3, Risp n'est rien d'autre qu'un gigantesque uppercut. La démonstration de force est fatale, et il n'est point trop risqué d'admettre que Richard Devine excelle dans son domaine. Le sound-design. Et cela même en dépit du caractère totalement insondable de ses productions. Il n'est pas non plus osé de dire qu'il s'agit là de son travail le plus abouti. Le résultat traduit mot pour mot tout le processus de création cumulé en amont, largement épaulé par les langages de programmation (entre autre). C'est du moins ce qu'il paraît évident de supposer, le simple fait d'espérer comprendre le pourquoi du comment étant voué à l'échec. À grands coup de random function, Richard Devine laisse parler le hasard pour mieux le maîtriser. Mais peut-on réellement parler de hasard pour un produit finalement dompté par l'idée même d'un hasard pré-programmé? Non. L'Américain connaît et contrôle chacune des cartes qu'il a dans son jeu, et ce même sans voir quelle en est la couleur. Risp est pleinement abrupt, parfois limite gerbant, engraissé aux 0 et aux 1 mais force le respect, même si tout ce joyeux bordel n'est pas obligatoire pour apprécier le génie du bonhomme.

Au milieu du chaos, l'esthétique demeure. L'album puise son charme 5.0 dans tout ce qui peut le rendre hautement détestable. Beaucoup trop complexe, assommant, Risp n'en reste pas moins une colossal tuerie, qui soulève de nombreuses questions quant à la musicalité de l'objet à de bien multiples moments. Mais en fin de compte, nous n'en avons strictement rien à faire. Après plus d'une heure de passage à tabac, on ne se pose plus de questions. Nous n'avons absolument rien compris à ce qui vient de se dérouler, mis à part que la prouesse dépasse l'entendement. Afin de clôturer l'aventure, le cyborg s'est entouré de quelques compères geeks plus ou moins issus du même crew. Vaethx, Valance Drakes et Gordan Loopshaunt notamment. Légèrement moins jusqu'au-boutiste que le maestro, ils ne ridiculisent en rien le tableau qui nous est offert, et poursuivent avec justesse dans les chemins sinueux d'une musique pour laquelle Luigi Ruissolo aurait été forcé de changer de caleçon par admiration. 7 années de production pour sortir le bijou, une de plus pour la digestion me concernant.

_inoui_







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mardi 11 mars 2014

Deep & Dark Download of the Day : 2Kutup & Floating Spirits - Split


Il serait dommage de se fier à la pochette (mochette ?) de ce chouette petit split lâché le mois dernier par le le netlabel Section 27 (qui vient par ailleurs de sortir une bonne grosse compil' de 101 inédits célébrant l'électro underground des quatre coins de l'internet). Loin de l'esthétique bubblegum 90s qu'elle évoque, cette 126ème référence en 5 ans cache en effet l'association de deux musiciens férus d'ambient en clair-obscur, la Turque Pinar Akbay (2Kutup) et l'Américain Nathan Story (Floating Spirits) qui en profite pour délaisser les beats IDM downtempo qu'on lui connait pour épouser les humeurs flottantes et oniriques de la première.

Errements spectraux et angoissés voire un brin sépulcraux pour 2Kutup solo, rêveries plus chillout lorsque Floating Spirits contribue de ses blips délicats parfois proches d'un LPF12 (qu'évoque définitivement Bandages et ses field recordings suintants sur fond de ballet cosmogonique), l'album oscille ente cette face cachée de la lune froide comme un tombeau et son hémisphère baigné d'une lumière qui adoucit nos nuits. Dans un cas comme dans l'autre, c'est sans prétention et souvent réussi.


Télécharger 2Kutup & Floating Spirits - Split

lundi 10 mars 2014

Deep & Dark Download of the Day : Whisper Room - Birch White (2009)


On parlait à l'instant du nouvel album de Whisper Room dans le premier volet de la 8ème édition du Grand Jeu des Blogueurs (auquel l'équipe de DCALC prendra part à nouveau jusqu'au 22 mars inclus à raison d'un thème tous les deux jours), impossible de ne pas en profiter pour revenir, même succinctement, sur son prédécesseur de 2009 désormais disponible en libre téléchargement sur la page Bandcamp du trio canadien emmené par le stakhanoviste Aidan Baker.

Toujours plus connu à l'époque pour les monolithes drone doom de son duo Nadja que pour ses nombreuses et passionnantes tentatives en solo de s'émanciper de l'étiquette metal, Aidan Baker entouré de Jakob Thiesen aux fûts et de Neil Wiernik à la quatre-cordes allait en effet livrer un album essentiel pour la suite de sa discographie, dont l'influence se ressent aujourd'hui jusque chez Nadja comme en témoignait l'an dernier Flipper avec ses jams shoegaze-metal volatiles et pesants à la fois. Ainsi, à l'image de sa pochette, Birch White refuse de vraiment prendre corps, immergeant ses crescendos krautrock et autres errances d'outre-rêve sous une marée d'effets drogués et d'arrangements électroniques, Baker et Thiesen se partageant les improvisations hypnotiques sur cet enregistrement live qu'on jurerait composé par des rats de studio (cf. les percussions de balle de ping-pong de 4, les beats crunchy sur fond de sonars cétacés de 5 ou le sampling halluciné de 6).

Et pourtant l'instrumentation du trio semble parfois lutter pour garder la tête hors de l'eau, comme sur l'épique 7 qui tente de distancer la nébuleuse analogique en accélérant sans cesse le tempo ou encore 2 qui s'emballe sur la fin et prend des allures de bad trip agité. C'est tout le paradoxe de cet album à la fois spontané et hyper travaillé dont les empilements labyrinthiques n'ont pas encore livré tous leurs secrets 5 ans après.


Télécharger Whisper Room - Birch White

Whisper Room - The Cruelest Month


Date de sortie : 7 avril 2014 | Label : ConSouling Sounds

Sur le thème "Oh honey, why don't you come back ? - Le disque du retour" de la 8ème édition du Grand Jeu sans Frontières des Blogueurs Mangeurs de Disques.

Ne vous y trompez pas, à l'échelle d'Aidan Baker ce retour du trio de Toronto 5 ans après Birch White est tout à fait digne de Linda Perhacs et de ses 43 années de hiatus. Avec sa moyenne d'une quinzaine de sorties par an depuis 2002, on ne présente plus le guitariste de Nadja, d'autant moins depuis sa participation à notre compilation Transmissions from the Heart of Darkness qu'il avait gratifiée des nébulosités hypnotiques du bien-nommé Study In Pulsations en ouverture de son 4ème volet In Limbo l'an passé. Un morceau dont les sonorités s'apparentent justement à celles qu'il explorait en 2009 sur le premier album de Whisper Room, projet l'associant au batteur Jakob Thiesen (Students) et au bassiste Neil Wiernik (NAW) sous l'égide de l'ingé son Mark Thibideau chargé de rendre justice aux enregistrements live qui constituent également la trame de son successeur The Cruelest Month.

Capté par ses soins en avril dernier à l'Ambient Ping de Toronto et masterisé par l'omniprésent James Plotkin, ce deuxième opus, à l'image de Birch White, ne présente pour autant aucune trace de sa genèse scénique si ce n'est cette nature semi-improvisée qui voit les jams liquéfiés du trio s'étirer sur des morceaux allant en gros de 7 à 11 minutes. Au regard d'une paire de collaborations inégales parues dans l'intervalle avec le même Thiesen, qu'allait-il rester sur The Cruelest Month du pouvoir de fascination de Birch White, pierre angulaire des humeurs éthérées qu'affectionne aujourd'hui le Canadien entre deux murs de son plus massifs et sursaturés avec Nadja ? C'était forcément la question que l'on se posait à l'approche de cette sortie et si la cavalcade en échos du premier extrait lâché sur Bandcamp par le trio et son label ConSouling Sounds n'impressionnait pas plus que de raison, ses terminaisons légèrement abruptes tout comme son titre numéraire indiquant l'index de départ du morceau (TCM05 33:01:78) laissaient entendre qu'il faudrait écouter l'album dans son entier pour vraiment s'en faire une idée.

Au contraire de celles qui constituaient l'opus précédent, ou de façon plus explicite car parfaitement intriquées par un jeu de transitions feutrées, les six pièces de The Cruelest Month sont en effet autant de mouvements d'une même progression musicale devant cette fois tout autant au post-rock qu'au krautrock, à l'ambient et au psychédélisme tribal qui prédominaient jusqu'alors chez Whisper Room. Un post-rock bien sûr étonnamment coulant, sans arrêtes électriques ni affleurements noisy, presque aquatique dans la façon dont se répondent les percussions et guitares en miroir sur TCM02 11:45:45. Ainsi, de prime abord, l'album peut avoir l'air de ronronner un brin, sans réelles aspérités ni pics d'intensité et pourtant les crescendos sont bel et bien présents sous les textures mouvantes des nappes d'instruments triturés, discrets dans les frappes de plus en plus appuyées de Thiesen et la multiplication des loops de guitare graciles sur TCM04 23:51:89 ou un TCM06 39:54:95 final aux distos rétro-futuristes joliment saillantes, mais plus évidents dans l’accélération du tempo et la densification des effets sur TCM01 00:00:00, TCM03 17:06:04 et le sus-mentionné TCM05 33:01:78.

En dépit de constructions parfois redondantes et d'une dimension plus light, l'album finira ainsi par nous embarquer grâce à cette belle fluidité des sonorités, des architectures et de leurs enchaînements. Pas de quoi nous faire oublier les climax de tension pulsée et autres troublantes digressions oniriques d'un Birch White qui n'a décidément pas pris une ride, ni concurrencer les parfaites poussées de fièvre tribal ambient du nouveau B/B/S/, meilleure sortie d'Aidan Baker en ce début d'année, mais sûrement pas non plus de quoi regretter l'extrême prolificité d'un musicien dont la discographie ne cesse de nous captiver.

Rabbit

samedi 8 mars 2014

Deep & Dark Download of the Day : FWF - Incipit Contradictio


FWF pour Fabien W. Furter, Nancéen ayant modelé son rapport à la musique sur les bancs du conservatoire (d'abord Rochefort puis Nancy où il explore le violoncelle) dont il s'affranchit radicalement, en rejetant les ornières stylistiques (ses "diktats esthétiques") en fondant Wheelfall, groupe stoner aux accointances doom bien marquées ayant témoigné de sa vision de l'Interzone en 2012. Puis nouvelle rupture qui nous emmène en 2014 et dans les méandres d'Incipit Contradictio, premier E.P. forcément court (quatre titres) mais vraiment prenant, frayant dans les marécages incertains d'une ambient industrielle aux multiples accents mais à la couleur homogène. Ici, c'est le noir qui prédomine. Et même plus. Il ne prédomine pas, il règne. Il s'insinue. Il recouvre tout. D'ailleurs, la seule écoute de Cast This Skin, premier morceau tarabiscoté qui empile les idées et les sons jusqu'à atteindre une vénéneuse densité, devrait suffire à flinguer les quelques rayons de soleil qui transpercent l'hiver moribond. Un vent mauvais, un carillon inquiet, des percussions tribales, des nappes synthétiques maousses, une multitude de sons qui rampent sous l'ossature et la belle journée va bien vite se recoucher. Et lorsque de lourds riffs viennent appuyer le tout, le clavier sur lequel on pianote traverse la table, écrase nos pieds et s'enfonce bien vite dans les fondations sous l'effet de la gravité.

Lie Agreed Upon, plus court, garde toutefois cette même humeur renfrognée et tisse en quelques notes de piano solennelles une belle toile arachnéenne. La musique de FWF devient alors plus aérée mais garde son aura glacée et se montre toujours plus vénéneuse. Only Interpretations est sans doute le morceau le plus disloqué du lot, le plus industriel aussi et s'amuse à perdre le rythme à l'orée de la pulsation. Cette fois-ci, Incipit Contradictio revêt l'armure mécanique d'un Author & Punisher enregistrant la lente agonie de ses machines bien plus que leurs cris primaires. Enfin, expérimental, s'ouvrant très justement sur quelques secondes de silence, trafiquant ses field recordings pour les faire sonner synthétiques (à moins que ce ne soit l'inverse) et dessinant un patchwork de dissonances constituant un tout cohérent, Silence vient clore joliment l'ensemble. C'est extrêmement maîtrisé, tout le temps accaparant et ça donne l'envie d'entendre sans attendre la suite. Un premier long format est d'ailleurs prévu dans l'année et, à l'écoute de cet intrigant E.P., il ne fait aucun doute que l'on devrait alors reparler de FWF.

Pour finir, je ne saurais trop vous conseiller de jeter une oreille sur sa tellurique relecture du Fisheye des tarés de Shining. Pas tout à fait une relecture d'ailleurs, plutôt une amorce. Un peu comme si FWF était à l'origine du morceau ou s'il avait voulu s’approprier le fameux  "plagiat par anticipation" théorisé par Pierre Bayard puisqu'il devient clair à son écoute que Shining lui a tout piqué.

Brillant.


vendredi 7 mars 2014

Deep & Dark Download of the Day : En Nihil and Crowhurst - s/t


Ça a parfois du bon de retrouver un groupe exactement là où on l'attendait. Non pas que Crowhurst soit un adepte des recettes toutes faites, ce serait même plutôt l'exact opposé. Mais il faut bien admettre que les sorties de Jay Gambit depuis le début d'année (déjà une bonne demi-douzaine, Aidan Baker n'a plus qu'à bien se tenir) ne nous avaient qu'à moitié convaincu à force de trop vouloir déjouer nos attentes de bruitisme à saigner des tympans (des jams dégénérés de Crowhurst and Montage au dark ambient radiant du bien-nommé The Darkest Point Of The Sun avec Tanner Garza) ou au contraire de trop flirter avec les expériences limites (un S N U F F au titre introductif quasi insoutenable, qui interroge sur notre perception en usant d'extraits, heureusement par la suite triturés à l'extrême, de bandes-sons de véritables snuff movies).

En Nihil and Crowhurst, c'est donc une collaboration comme le Californien les affectionne, à rapprocher de celle de l'an dernier avec l'excellent Black Leather Jesus, groupe du sus-mentionné Garza. Car En Nihil and Crowhurst, c'est aussi et surtout une bonne grosse tranche de harsh noise atmosphérique et insidieux comme Jay Gambit les aime et les maîtrise désormais jusqu'au bout du larsen, avec son crescendo de tension stridente et futuriste en face A puis son monolithe sismique tout aussi malaisant en face-B : une... recette (?) abrasive et viciée qui a fait ses preuve chez Crowhurst et qui nous en met une fois de plus plein les tympans pour pas un rond.


Deep & Dark Download of the Day : Monte 6 - Rota do Vento EP


Parallèlement à son retour chez Sombre Soniks avec Inferno, mise en musique très personnelle de L'Enfer de Dante dont il nous parlait dans cette interview et qui substitue à la mystique méso-américaine de l'excellent Xibalba Mannequins une vision plus littéraire voire poétique du châtiment divin, André Consciência erre dans un désert de limaille et d'antimatière avec son compère Aeternum X sur ce nouvel EP de leur quintette  Monte 6, dont le spatial ambient de Viagem a Nibiru ou Ialdabaoh a laissé place ici dans la continuité du très bon Almendres de novembre dernier à un no man's land plus abstrait mâtiné d'acoustique baroque.

On retrouve néanmoins entre deux mélopées nomades sur fond de bourrasques sableuses (Globo sem fim, O moínho mãe), ces drones opaques et claustrophobiques (Rota do vento, Chuva, Uma centopeia magnética) qui caractérisent le dark ambient ésotérique des Portugais, chaînon manquant entre les précurseurs goth ou prog folk et les musiques expérimentales d'aujourd'hui :


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mercredi 5 mars 2014

Deep & Dark Download of the Day : João Alegria - 1984


Allez savoir si ce nouvel opus - ou plutôt morceau-fleuve - de l'ex folkeux portugais désormais voué à l'abîme dark ambient évoque la déliquescence sociale du roman de George Orwell ou sa propre année 1984 (qui dans ce cas n'a pas dû être bien gaie), ce qui est certain c'est que ces 45 minutes tout en grouillis bruitistes, tension feutrée et silences pesants marquent dans la continuité de l'imprononçable <<<<<<<<<<<<<<<>>>>>>>>>>>>>>> une nouvelle étape de liquéfaction du langage musical dans la discographie de plus en plus austère et radicale de João Alegria Pécurto.

Plus d'arpèges de guitares hantés, ni de percussions opressantes comme ce fut souvent le cas sur ses dernières sorties en format court, le pensionnaire de notre compilation In Limbo se contente désormais de textures abstraites et basse fidélité dans son exploration de nos névroses les plus secrètes, parlant à notre subconscient davantage qu'à nos tympans et il faudra de fait s'abandonner pleinement à cette nouvelle sortie pour en goûter la portée troublante autant qu'hallucinée.


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mardi 4 mars 2014

Deep & Dark Download of the Day : Everyday Dust - Somnium EP


Internet ne nous dit quasiment rien sur la personne qui se cache derrière Everyday Dust mais tout laisse à penser que l’on a affaire à son premier EP. Le label sur lequel il sort Somnium semble plus exposé : Sparkwood Records est une jeune maison norvégienne qui se dédie à l’ambient, au drone et plus épisodiquement à des choses plus électroniques. 

Plonger dans ces quatre morceaux est une façon pas désagréable de s’intéresser à ces gens-là. Ambient caverneux, pulsations métronomiques, field-recordings et grain sablonneux, la recette est connue mais fonctionne joliment. Les détails sonores fleurent bon l’analogique (Somnium), l’esprit des sous-bois est dûment honoré (Creatures) et malgré l’apparition de choeurs un peu trop évanescents (Mantra), Everyday Dust nous gratifie de beaux moments de ténèbres baignés de spectres et de spleen.


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lundi 3 mars 2014

Deep & Dark Download of the Day : Impurfekt - Nostalgia EP


Sans casser des briques, ce nouvel EP du ricain Aaron Russell, offert au téléchargement par le netlabel CRL Studios de son compère Lucidstatic (dont un nouvel album vient également de voir le jour) a le bon goût de rêvasser au temps d'avant sans tomber dans l'emphase émotionnelle qui gangrène de plus en plus de sorties IDM de l'autre coté de l'Atlantique.

Du breakbeat élégiaque de Words That Stay à l'introspection synthétique de Sail Away en passant par le piano dépouillé et désaccordé par les ans d'Astray ou les surgissements mémoriels brumeux et downtempo d'un Boards Of Canada sur Lingering Thoughts, Nostalgia enivre sagement mais sans faute de goût, cuminant d'entrée sur le bien-nommé I Don't Want To Remember qui tente de freiner les aiguilles de l'horloge du souvenir tandis que se télescopent choeurs d'église et mélodies orientales dans une sorte de liturgie coupée du temps et de l'espace.


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