vendredi 28 février 2014

Deep & Dark Download of the Day : Sıkıntı - ilahi çürümüş yangını


Au gré de ses jams à deux vitesses mêlant no wave plombée, stoner doom insidieux, noise mâtinée d'électronique et jazz névrotique, l'album dont il est question aujourd'hui reflète le parcours éclaté de ses auteurs. Parmi eux, un certain Jacopo Andreini, connu pour officier aux fûts et au saxo du trio L'Enfance Rouge entre autres projets empruntant au free jazz comme au rock d'avant-garde, citons feu Bz Bz Ueu, Jealousy Party ou Squarcicatrici, sans parler de ses collaborations avec Arrington De Dionyso ou encore Bruno Dorella au sein de Ronin et d'OvO.

Un Italien touche-à-tout, donc, qui baptise ses morceaux en Turc sur un label d'origine tunisienne désormais basé à Kaboul (Afoforo Music Club)... voilà qui a de quoi faire tourner les têtes et c'est aussi un peu le cas de cet album de Sıkıntı dont le contenu n'est jamais touché par l'ennui qu'évoque en Turc le nom de ce trio aussi à l'aise en atmosphères psyché pesamment feutrées, parfois à la limite du doomjazz (Kesinlikle belirsiz, Huysuz), que dans ses incursions anarcho-post-punk plus folklo et incandescentes en accord avec les préceptes du collectif nomade Afoforo sus-mentionné (Oğlumun ölümü, çölde kaçış), sorte de petit cousin méditerranéen des Montréalais de Constellation.


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jeudi 27 février 2014

Deep & Dark Download of the Day : Blutspan - Homestar EP


Rêvant aux étoiles mortes dont la lumière nous parvient avec quelques centaines de milliers d'années de retard (rappelez-vous son premier EP, le bien-nommé The Answer Is Floating Between Dead Stars), Jorge G. Alarcon continue sur la lancée sci-fi du prometteur Nemerth Awaits, déjà à la croisée de l'errance onirique et de la dynamique cinématographique, avec cette seconde sortie pour l'écurie Abstrakt Reflections. Deux ans après A_World_Still_[Y]ours, les sonorités se sont affinées et la musique du Chilien gagne ici en contrastes et en profondeur de champ, variant les humeurs pour aller du spleen contemplatif (Lights et ses pulsations cosmogoniques proches de LPF12) au gothique stellaire (Jupiter) et usant de glitchs savamment distillés pour mettre en valeurs ses nappes élégiaques aux allures de chorale des astres (Under The Star Of Scorpii) ou autres transmissions lointaines sur lits de beats cybernétiques délicieusement tachycardiques (Homestar).

Blutspan n'est certes pas le premier beatmaker à épouser le chaos clair-obscur du cosmos, mais s'il n'est pas aisé de marcher dans les pas d'un Access To Arasaka, les affinités du Chilien pour une IDM à fort potentiel d'évocation visuelle lui permet de tirer son épingle du jeu, laissant aux remixeurs le son d'en explorer la facette plus abstraite et déstructurée. On passera néanmoins sur la version d'ATMPK - n'étant pas r.roo qui veut, l'ersatz de piano sonne ici inutilement emo comme c'est de plus en plus souvent le cas dans l'IDM d'inspiration néo-classique - heureusement reléguée en fin d'EP, pour se concentrer sur les deux autres, transe hypnotique pour LOTHUS révélé sur l'EP précédent et microchirurgie frénétique pour un c0ma décidément jamais décevant dans l'exercice.


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mercredi 26 février 2014

Deep & Dark Download of the Day : Shape2 - Spieldose


Complètement dans l'abstraction et l'improvisation pour cette dernière sortie autoproduite en date, une veine qu'il réserve le plus souvent aux sorties lâchées sous son véritable patronyme, Nicolas Godin s'est servi d'un étrange appareil analogique fabriqué par un certain Derek Holzer, la Spring Soundbox, pour générer les non moins étranges micro-tempêtes de bruit statique émaillées de stridences perçantes et autres cliquetis électriques qui constituent l'essentiel de ce Spieldose.

Versant noisy du magnétique Test 3 tout en fréquences oscillatoires que le Toulousain avait composé pour notre compilation In Limbo parue l'an dernier et toujours librement téléchargeable ici, ce court album s'avère tout aussi austère dans ses sonorités mais nettement plus organique et contrasté dans la manière dont elles éclatent en surgissements inattendus, pics de saturation d'une machinerie au bord de l'implosion et larsens saisissants venant briser l'hégémonie des crépitements quasi rythmiques lorsque l'on s'y attend le moins pour finalement s'éteindre dans des silences pesants puis reparaître un peu plus loin, encore plus véhéments. Acouphènes garantis !


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Veuve S.S. - O​.​P​.​L​.​T. & O​.​S​.​C. 7" E. P.


 Date de sortie : 14 février 2014 | Label : Echo Canyon Records (entre autres)

Sombre et malsain, renfrogné et mal peigné. Une entame massive et martelée puis hachée menue, cette même dynamique maintenue sur les cinq premiers titres. Une voix dégueulée, arrachée par-dessus tandis que les soubassements ferraillent vraiment dur. Veuve S.S., c'est avant tout du punk aux accents crust et aux titres avenants : Creuse !, Shlass, Le Vieux Monde, ce genre. Un brin nihiliste, souvent désespéré, bien noir et tout le temps glauque. Mais Veuve S.S., c'est aussi du hardcore, ça file à la vitesse de l'éclair et ça tabasse méchamment la moindre parcelle de silence : très dense, on a du mal à déterminer les phrases bien que leur portée ne fasse aucun doute. Pour l'aéré, le guilleret et l'optimisme, c'est ailleurs que ça se passe. Ici, on aime entendre Veuve S.S. cracher ses tripes et expulser ses miasmes le temps de Poumon/Cancer le bien nommé, en renfort de ces deux mots répétés à l'envie. Après ces cinq titres courts, urgents et disloqués (les ralentissements font aussi mal que l'attaque frontale), le groupe balance les huit minutes de ⌁ et c'est là que l'on se dit que l'on tient vraiment quelque chose. 

Pourquoi terminer cet E.P. par une longue plage de bruit blanc ? Remplissage ? Tentative un peu vaine de sonner singulier ? Pas du tout, on en est loin. Quand on joue à ce point serré et cabossé, on ne s'embête pas à allonger les minutes. En outre, on voit bien que Veuve S.S. a pris un soin particulier à faire d'O​.​P​.​L​.​T. & O​.​S​.​C. quelque chose de bien achalandé. Il y a une vraie personnalité là-derrière et les morceaux s'imbriquent parfaitement dans le tout. On les voit mal saccager tout ça en un seul titre. Non, permet sans nulle doute de mettre en exergue le reste, il permet aussi de rentrer à l'intérieur de soi : non content de faire mal physiquement, il faut aussi qu'ils envahissent la boîte crânienne. Bref, Veuve S.S. est une vraie saleté extrêmement virulente. Ils avaient déjà fait le coup en débutant Viscères E.P. par un sillon fermé (un peu comme les lock groove en clôture des faces d'un vinyle, pourquoi pas après tout en balancer un au début ?) qui poussait l'auditeur à placer le bras au début de la plage suivante s'il voulait écouter la suite. Autrement dit, ce long morceau semble bien faire partie de leur ADN : Veuve S.S., c'est ça aussi. Ce n'est pas quelque chose de bas du front qui maintient les potards invariablement dans le rouge, c'est aussi varié et recherché.

Pour le reste, on ne sait pas grand chose du groupe si ce n'est qu'ils sont lyonnais, qu'ils sont quatre, qu'ils sont tous impliqués ailleurs (Overmars, 12XU, Moms On Meth, Morse, ...)  et que l'on espère voir un jour leur beau bordel remplir un long format bien que celui de l'E.P. leur siée parfaitement.

Pan, t'es mort.
leoluce


mardi 25 février 2014

Deep & Dark Download of the Day : Neighbours Hunters - s/t


Né de la fusion de deux proches méditerranéens, Neighbours Hunters, à savoir Rudy Avatici et Chris XFnX, est un jeune projet français qui semble-t-il, et sans surprise, trouve un plus bel écho hors de nos frontières. Ce premier éponyme, résultat de quelques querelles analogiques et autres lapidations à coups de machines, joue la carte du nihilisme brutal et nous propose ici une recette des plus caloriques, néanmoins relativement jouissive dans ses pics de nervosité, et pertinente dans son approche industrielle jusqu'au-boutiste.

Au menu donc, techno aride pavoisée aux échardes, rhythmic noise sur son coulis d'électro-lames-de-rasoirs. Très efficace, malgré quelques écarts que l'on oublie finalement assez aisément. De quoi susciter d'excellents retours de la part des danseurs d'outre-tombe avares de déflorage de tympan en bonne et due forme. Un disque délabré, décomplexé, déshumanisé. Usant car sans répit, mais qui ne peut laisser entrevoir que du bon pour la suite (qui visiblement est en cours de production). Gardons ce nom en tête, en espérant que cette démarche, certes loin d'être innovante, puisse petit à petit se frayer un chemin et évoluer de la plus belle des manières. Pour résumer donc, à surveiller de près, on en redemande.

lundi 24 février 2014

Deep & Dark Download of the Day : Le Crapaud et La Morue - EP 2 - Parole


Sur ce second volet d'une série qui, fidèle à ses tendances dada, en compte déjà trois (les collages hétéroclites tirant sur l'abstraction lo-fi d'un EP 0, Pilote en liberté, avaient donné le ton avant que le Programme ne débute pour de bon), nos deux créatures des marais continuent de sillonner le rock expérimental d'hier et d'aujourd'hui, de la no wave à la noise en passant par le post-punk, et d'en soutirer la schizophrénique moelle servant de trame à leurs jams lunatiques ouverts à toute éventualité mélodique ou rythmique.

D'errances liquides et distordues émaillées de samples cinématographiques en cacophonies baroques télescopant noise maladive et groove désincarné, la Parole que l'on attendait demeure ainsi au second plan et l'EP sonne paradoxalement comme une ode au silence qui sous-tend le brouhaha des villes. Autant dire que la Prophétie Éventuelle qui donne son titre à cette suite de formats courts mais denses ne se livrera qu'à ceux qui prendront le temps de prêter l'oreille à l'humain sous les tourbillons de grésil électrique et les dénivelés urbains.


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dimanche 23 février 2014

Thee Silver Mt. Zion Memorial Orchestra - Fuck Off Get Free We Pour Light On Everything


Date de sortie : 21 janvier 2014 | Label : Constellation Records

De l’autre côté de l’Atlantique, 2014 s’est ouverte avec un nouvel album – le septième – de Thee Silver Mt. Zion Memorial Orchestra qui, instantanément, est parvenu jusqu’à nous. L’occasion pour certains d’exécuter quelques cabrioles d’allégresse et pour d’autres de porter un intérêt circonspect à la nouvelle. Si les deux premiers albums du détachement en provenance de Godspeed You ! Black Emperor (Efrim Menuck, Sophie Trudeau et Thierry Amar à l’origine, aujourd’hui accompagnés de Jessica Moss et David Payant) ont tendance à mettre beaucoup de monde d’accord quant à leur caractère de chefs-d’œuvre enténébrés et touchés par la grâce – Born Into Trouble As The Sparks Fly Upward tout particulièrement –, les quatre disques qui ont suivi ont étiolé considérablement leur public. Les temps et la musique ont changé et le chant de Menuck, naturellement plaintif, a pris une place inédite dans les productions du groupe. Malgré cela, des albums comme Horses In The Sky ou Kollaps Tradixionales contiennent d’authentiques joyaux. Aujourd’hui, passé la cabriole, c’est au tour de Fuck Off Get Free We Pour Light On Everything.

La première rasade présage l’ivresse. Les 10 minutes de Fuck Off Get Free (For The Island Of Montreal) libèrent les tourbillons, l’urgence, les pirouettes de violons et les paroles portées en étendard. Our ! Dreams ! Are ! All ! Off ! Us ! Until the end ! Malgré l’entrain, la progression ne cache pas son versant lancinant, ce jusqu’à l’auguste 6,45 minute, qui signe le renversement. Le vrombissement des guitares instaure une gravité nouvelle, les voix féminines surplombent le champ de bataille et augurent une toute proche reprise des hostilités.

La suite ne perdra pas cette tension entre complaintes déchirantes et invitations à se perdre en farandoles fiévreuses. Nuancé par quelques redescentes à l’allure de berceuses, le ton est à la saturation et aux turbulences garage. Si du punk coule dans les veines de Silver Mt. Zion, il réside irrévocablement dans cette fébrilité, dans ces secousses et dans les appels à l’insurrection contre ceux qui maintiennent leurs boots contre nos cous (Take Away These Early Grave Blues). Si une barricade n’a que deux côtés, Silver Mt. Zion a depuis longtemps choisi le sien. Pas question d’évoquer leur musique sans s’arrêter sur sa teneur éminemment politique. On peut imaginer que les mouvements de manifestations et de révoltes qui secouent des dizaines de villes et de pays depuis quelques années (Canada, Turquie, Brésil, Venezuela, Thaïlande, Ukraine), leurs causes et leurs répressions ne sont pas pour rien dans la rage et le dégoût du monde qui percent de leurs paroles. All our cities gonna burn, All our bridges gonna snap, All our pennie gonna rot, Lightning roll accross our tracks, All our children gonna die. 

Au delà de la force du sens des mots, la douleur dans la voix d’Efrim Menuck a rarement culminé de façon aussi juste que sur What We Love Was Not Enough. Hymne à la gloire de ceux qui n’ont rien à perdre sinon leur tête et qui rêvent de piétiner les cendres de toutes les oppressions, le morceau est de ces fragments de génie qu'eux seuls savent composer. La batterie rythme la mutinerie, les cordes caressent les cimes, les voix vous ravagent les tripes. Tout le disque n’a pas cette trempe-là mais pendant ces 11 minutes, les limites du sublime furent dépassées, le goût des larmes est salvateur. Kiss it quick and rise again.  


Manolito

vendredi 21 février 2014

Deep & Dark Download of the Day : Studio Noir - Sunset Boulevard


Échappé des excellents The Fucked Up Beat dont les boucles jazzy, post-classiques ou rétro-futuristes évoquant les temps de dépression ou de paranoïa nucléaire n'ont malheureusement pas résisté à l'insuccès, causant la séparation du duo l'an dernier, Eddie Palmer renoue en solo avec son culte du ample hantologique sur cette ode aux destins tragiques de 16 femmes, la plupart actrices de ce qu'on appela l'Âge d'Or d'Hollywood.

A leurs révérences mystérieuses, morbides ou parfois étrangement anodines au regard de l'aura qu'elles auront toutes connue de leur vivant, font échos les ritournelles datées que le New-Yorkais vole aux standards d'antan, ces petits airs jazzy que charriait sans doute à l'époque le Sunset Boulevard et qui se parent chez Studio Noir d'un voile trouble voire même fantomatique, dernier halo blafard de ces existences constellées d'étoiles et de fêlures que la mémoire collective aura certainement bientôt oubliées.


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Koenraad Ecker - Ill Fares The Land


Date de sortie : 17 février 2014 | Label : Digitalis Recordings

Une bizarrerie aux lueurs estompées par la brume, au coeur désagrégé par le posthume. Une manière tout à fait singulière de décrire l'aù-delà. Un ailleurs parfaitement hostile mais foisonnant, et libéré du prévisible. Un attrait tout particulier pour la non-linéarité, qui se défait de tout schéma de composition classique. Les morceaux suivent une logique, au demeurant standard, en réalité bien plus tordue qu'il n'y paraît, nous malmenant à leur guise, sans aucun pouvoir de résistance. Mais cette logique, finalement, nous échappe. Nous passons bien souvent du coq à l'âne (le titanesque titre introductif - Oran - étant à coup sûr le plus parlant des exemples), mais sans équivoque la narration reste pertinente, car cohérente. L'utilisation des basses fréquences est plus que bien amenée. Les rythmiques, loin d'être le soutien porteur de l'édifice, s'invitent dans la danse avec justesse, à des instants propices mais souvent inattendus.

Ill Fares The Land est un album difficile à classer, quelque part entre ce qui semble être de l'improvisation analogique au service d'un métrage aux teintes noirâtres et un schéma mathématique extrêmement précis, dénué d'une quelconque forme de légende et de ce fait, duquel il est simplement hasardeux de tirer des conclusions. Koenraad Ecker joue avec nos nerfs, il est tout bonnement impensable d'appréhender ce disque le cul sur sa chaise en attendant que ça vienne. Le trip se vit, bel et bien, à notre insu. Qu'il soit agréable ou non. Le plus souvent d'ailleurs, il ne l'est pas. Une fois imprégné de cet univers, le retour n'est plus envisageable, chaque morceau marquant nos carcasses enchaînées au fer rouge. Cette empreinte, une blessure bien réelle, que chaque plage de textures vient faire suppurer encore et encore, ne lui laissant aucunement le soin de se rétablir.

Il reste assez incroyable de constater à quel point cet album tient en haleine. Rares sont les moments d'égarement, de lassitude. Inexistantes sont les fausses notes. C'est de cette constatation précise que découle la solution du dilemme mentionné plus haut. Ill Fares The Land relève de la géométrie pure. Tout est ciselé et composé de manière à tendre vers cette forme d'exactitude. Pour le coup, c'est plus que réussi, le cercle est parfaitement dessiné. Finalement, pour une oeuvre aussi "rebutante" et au premier abord improvisée que celle-ci, la minutie des arrangements est à saluer. La pertinence du rythme imposé est à applaudir des deux mains.

Un album qui réserve son lot de surprises, qui n'hésite pas à tacler dès que l'occasion se présente (écoute moi Stuffed Man, tu verras bien). Mais rien ne sert de gâcher le plaisir (dégoût) qui vous attend en épiloguant davantage sur ce monstre. Chaque réécoute laisse derrière elle un sentiment persistant. Quelle claque. L'écoute au casque est incroyable. Vivement recommandé, un des disques de ce début d'année 2014.

_inoui_

jeudi 20 février 2014

Deep & Dark Download of the Day : The One Burned Ma - Gris Amer EP


S'éloignant un peu plus à chaque sortie du rock expérimental cradingue et forcené (qui prévalait encore sur le non moins fameux Froid dans le Dos) pour tendre vers quelque chose d'à la fois plus abstrait, bruitiste et travaillé, The One Burned Ma passe un pallier avec ce (généreux) format court à la croisée du harsh noise et du dark ambient. Si l'excellent Ellipse témoignait dès l'entame d'une certaine accointance avec les errances magnétiques et déstructurées des grandes heures de feu Gastr Del Sol, passeur idéal entre rock minimal et ambient de tête chercheuse dont le Parisien enfouissait l'héritage sous les pulsations d'une batterie tribale avant de laisser libre cours à son goût pour les tempêtes de stridences saturées et autres pluies battantes d'échardes analogiques, c'est plutôt le duo Merzbow/Balázs Pándi que convoque dans sa première partie l'EP Gris Amer, dont la progression d'atmosphère se passe de mots mais pas de névroses.

Toutefois, réduire le disque à ses pics de violence cathartique où s'affrontent déferlantes de grouillis abrasifs et batterie free (Force Commune), martiale (le larsenisant Signes imaginant la rencontre entre Battles et Aaron Dilloway) ou tatonnante (Double Fond) serait loin de lui faire justice. C'est en effet dans sa seconde moitié, exactement au bout du vortex de bruit blanc d'un morceau-titre en parfait équilibre entre le crescendo des trois précédents et le décrescrendo des trois suivants, que Gris Amer révèle tout le talent du musicien pour l'esquisse de dédales soniques plus insidieux (La Part d'Ombre et ses palpitations électro hypnotiques aux échos déstabilisants) et finalement tout aussi menaçants (le doom larvé du parfait Les Heures Sombrent). Autant dire que le résultat augure du meilleur pour le désormais attendu Au Sens Large du Terme, 5ème long format autoproduit prévu pour le 22 mars prochain.


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mercredi 19 février 2014

Deep & Dark Download of the Day : Sádon - Water EP & Fire EP


Après 350 jours de bons et loyaux services sur notre page facebook jusqu'à sa mise en sommeil l'an dernier, le "Deep & Dark Download of the Day" (DDDD pour les intimes) renaît dans les pages de ce blog. Le concept comme son nom l'indique : une rubrique quotidienne (hors week-end, il faut bien souffler de temps en temps) en format court, voire très court, consacrée à ces sorties qui savent associer qualité et générosité en s'offrant d'un simple clic au téléchargement. Toujours, bien entendu, dans le cadre de nos préoccupations majoritairement sombres, expérimentales, immersives, et dans la mesure du possible, dans celui de l'actualité que viendront tout de même épauler de temps à autres quelques trésors cachés ressortis des tiroirs, en cas de baisse de régime côté nouveautés (ce qui, d'expérience, ne devrait pas arriver trop souvent). En espérant vous faire découvrir de nombreuses pépites en libre partage, et démonter s'il était besoin que les labels, d'autant moins en 2014, n'ont pas l'apanage du talent, privilégiant parfois eux-mêmes la diffusion désintéressée en comptant sur les passionnés pour en apprécier la juste valeur.



Éclaireur du cru 2014 de BLWBCK, Sádon a mis les bouchées doubles avec ces odes aux éléments, regroupées sur une même cassette toujours disponible en édition limitée pour ceux qui souhaiteraient contribuer à soutenir l'excellent label toulousain (ce que l'on ne saurait trop vous conseiller car il s'agit une nouvelle fois d'un bel objet).

Un an après l'EP Earth (sold out mais téléchargeable également à prix libre) dont le spleen texturé inaugurait cette série entre acoustique pelée et souffle de désolation, les Russes Donat Mavleev et Sanya Vorobey s'attaquent donc au feu et à l'eau. D'un côté, les crescendos de drones incandescents (Desolation) et autres plaintes ésotériques enfouies sous les braises du regret (Nameless Soul) tournoient au-dessus de nos têtes tels des essaims de flammèches aux appétits insatisfaits, et ne s'interrompent que pour laisser parler l'acoustique écorchée d'une folk song hantée par un chant revenu de tout (Condor) avant de nous perdre dans le brouillard de Saint-Pétersbourg :


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De l'autre, un cran au-dessus, l'humeur est plus éthérée et d'autant plus troublante, des remous pianotés de l'enivrant Water Starter aux reflux harmoniques du cotonneux Quit Heaven, en passant par les vapeurs de reverb dream-folk de Born In The Barrel qui vient se fondre dans le dédale obscurantiste d'un Sleep aux fascinantes errances voilées, sommet de ce double EP aux allures d'album en bonne et due forme :


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dimanche 16 février 2014

Monno - Cheval Ouvert


Date de sortie : 16 décembre 2013 | Label : Idiosyncratics Records

Guernica sous perfusion d'on ne sait trop quoi, la pochette traduit bien le titre qui résume bien le disque : un cheval fragmenté, disloqué, tripes apparentes et grosses seringues. Cheval Ouvert peut-être mais musique bien fermée. Quatre longs morceaux aux chiffres romains qui se suivent sans se ressembler. Enfin si, ça tabasse. Bien plus que sur Ghosts, le précédent Monno qui voyait le groupe s'essayer au doom avec beaucoup de réussite, en donnant une vision toute personnelle, fantasmagorique et franchement glaçante. On ne saurait dire à quoi il s'essaye cette fois-ci. De la première à la dernière seconde, ce sont des pavés massifs que l'on se prend en pleine poire. Pas de début, pas de fin et entre ces deux absences, une déferlante de sons compressés, triturés, mêlés dans un maelstrom stupéfiant. En permanence excessifs, les morceaux électrisent l'épiderme et hypnotisent les sens ou tout du moins, les engourdissent. Comme d'habitude, on tente de trouver le saxophone au cœur de la masse sonore et de prime abord, on n'y arrive pas. Déformé, grondant, hésitant entre saturations et infra-basses, amalgamé à une multitude de boucles électroniques jusqu'au-boutistes et déglinguées, il faut un temps d'acclimatation conséquent pour comprendre qu'il est la pièce centrale sur laquelle se greffe tout le reste : basse monstrueuse et batterie préhistorique et surtout, absence totale de guitare quand tout fait croire le contraire. Antoine Chessex (saxophone ténor fortement électrifié), Gilles Aubry (électronique et chant), Derek Shirley (basse abyssale et énervée) et Marc Fantini (batterie protéiforme) forment toujours ce carré dense et abstrait montrant un visage qui n'est pas le sien. Frustre en apparence, Monno est toujours aussi délicat et réfléchi. On ne peut plus monolithiques et simples, leurs morceaux restent variés et compliqués. Un sens du camouflage, un goût pour l'esquive et le contre-pied qui atteignent probablement là une nouvelle épiphanie.

On arpente ainsi I sans faire trop attention : au début, on n'en retient que l'aura glacée qui maintient ses morsures dix minutes durant. Et puis, on s'intéresse aux soubassements et on commence à distinguer le carillon électronique omniprésent à la répétition inquiétante, les circonvolutions maléfiques de la basse et cette batterie qui montre une félinité venant du jazz. Comme le ressac, les vagues se fracassent puis repartent, lourdes, chargées, denses, elles écrasent tout sur leur passage. Les râles agonisants du saxophone deviennent évidents à deux minutes de l'épilogue mais disparaissent aussitôt. Pour une entame, Monno ne pouvait faire plus lourd et plus bas. Mais on se trompe, II, encore plus monolithique, exsude une tension extrême. Et cette fois-ci, ce sont les fioritures qui portent le morceau. Au-dessus, elles tracent des arabesques qui tranchent avec le vortex noir qui ferraille en-dessous. Et alors que l'on a bien du mal à détailler quoi que ce soit, ce sont bien les détails qui paradoxalement nous happent. Les nappes empilées, le même carillon morbide et aliénant qui apparaît par intermittence, les ondes diverses qui vrillent le morceau. Tout cela est bien entendu impressionnant. Il faut bien III pour recouvrer son souffle. Marchant dans les traces de Ghosts, Monno revêt a nouveau ses frusques doom et expérimente la lenteur et la lourdeur avant de tout dynamiter après six minutes, convoquant à nouveau le fracas des deux premiers morceaux. Mais par intermittence. Fragmenté, disloqué, III est certainement la parenthèse la plus expérimentale du lot. Tout seul puis ensemble puis tout seul à nouveau, chacun apporte son greffon pour dessiner une silhouette décharnée qui n'en reste pas moins inquiétante.

Les quinze minutes de IV synthétisent tout cela et permettent à Cheval Ouvert une clôture proprement paroxystique :  encore plus vrillé, encore plus abstrait, encore plus lourd, encore plus fou. La saxophone éructe des ondes extrêmement basses, l'électronique arpente les aigus, la batterie montre l'étendue de ses armes et la basse fracasse ses quatre cordes contre le tout pour le faire tenir droit. Disque muet ayant beaucoup de choses à dire, ce cinquième opus montre tous les atours d'une somme piochant de-ci de-là dans la discographie hors normes de Monno : on y retrouve ainsi des accents noise cataclysmiques et tribaux empruntés à Error, d'autres plus lourds et poisseux hérités de Ghosts ainsi que des choses plus inédites qui augurent d'une belle suite. Traçant un chemin qu'il est bien le seul à arpenter, jetant toujours quelques coups d’œil furtifs à Godflesh, Sunn O))), Ice ou God pour aussitôt fixer l'horizon, Monno poursuit sa route singulière et abstraite. Cheval Ouvert demande un certain effort et ne tolère pas les écoutes distraites : à fort volume et tout seul de manière à ne pas en perdre une miette car sa façade monochrome en apparence n'est qu'une immense mosaïque où se déclinent une multitude de nuances et de textures. Six années, il fallait bien cela pour reprendre les choses là où elles étaient et trouver la force de les faire évoluer. Cette fois-ci, il ne s'agit pas d'un pas de géant mais simplement d'un mouvement sur le côté et un peu vers l'avant. Un mouvement que l'on pourrait croire immobile mais qui n'en reste pas moins un mouvement. Quoi de plus normal pour un groupe attiré par l'illusion, passant son temps à tromper son monde : on dirait de la noise, c'est du métal. On pense que c'est du métal, c'est plutôt de la musique industrielle. On la pense synthétique, elle est organique. En détaillant l'organique, l'électronique saute au visage. Impétueux et abstrait, tout ce que l'on sait au final, c'est qu'il faudra du temps pour démêler Cheval Ouvert.

Le précédent avait un peu déçu de prime abord pour dévoiler ensuite toute sa pertinence et il y a fort à parier que celui-ci fasse de même. Il pourrait passer pour vain, inutile ou pire encore, démonstratif. Pourtant, pour peu que l'on accepte de gratter sa surface rugueuse, le disque dévoile un intérieur complexe, empilant les strates. Il y a de quoi explorer longtemps et découvrir une multitude d'angles et de chemins qui étaient jusque-là restés invisibles. Vain, il ne l'est aucunement, inutile encore moins et démonstratif, surtout pas. Il ne s'agit pas ici de mettre en avant une technique, il s'agit de laisser s'exprimer des choses qui ne demandent qu'à sortir (et l'on ne s'étonne pas de trouver alors l'omniprésent James Plotkin au mastering).

Et si Monno semble bien être le seul à savoir où il va, il va de soi qu'on ne demande qu'à le suivre.

Une nouvelle fois impressionnant.

leoluce