jeudi 31 octobre 2013

2013 au tamis : Jacob - The Ominous


Date de sortie : 23 mars 2013 | Label : Utech

Le temps, pire ennemi du chroniqueur qui oblige à laisser dans l'ombre des dizaines de grands disques dont l'aura continue pourtant d'irriguer nos synapses à l'approche des bilans. Dans un format plus concis que celui des chroniques habituelles du blog, cette série de rattrapages reviendra ainsi régulièrement sur ces laissés-pour-compte qu'un certain recul nous permet désormais de commenter sereinement.

Enfin sereinement c'est vite dit, pas grand chose de serein sous le soleil noir de Séville d'où nous viennent David Cordero (Úrsula) et Marco Serrato (Orthodox), maîtres d’œuvre de ce cauchemar éveillé qui aurait fait merveille en bande-son des films d'épouvante malveillants de Jaume Balagueró. Le cinéma d'horreur d'ailleurs, de préférence avec un soupçon d'anticipation, nos deux gaillards connaissent et ça s'entend dans la progression narrative de cette BO cauchemardée aux atmosphères livides et enfumées, brouillard vicié que viennent lézarder drones sci-fi, idiophones ballotés par les vents mauvais, orages crépitants, crissements démoniques et contrebasse darkjazz dégénérée.

Oubliez les citrouilles, la fête c'est pas vraiment le genre de la maison Utech et quand il s'agit d'au-delà les deux Espagnols partagent avec le label des RM74, Pan Gu et autres Burning Tree une fascination qui ne soufre aucune ironie. Un magnétisme qui fait justement tout le prix de The Ominous, astre d'antimatière que l'on ne peut s'empêcher de fixer alors même que ses radiations nous consument l'âme à petit feu pour mieux la jeter en pâture aux tortionnaires d'un purgatoire déliquescent (cf. The Whore et ses cris de damnés dont l'écho n'en finit plus de nous hanter).
Rabbit

mercredi 30 octobre 2013

2013 au tamis : Stitched Vision - Headland

 

Date de sortie : 21 septembre 2013 | Label : BLWBCK

Le temps, pire ennemi du chroniqueur qui oblige à laisser dans l'ombre des dizaines de grands disques dont l'aura continue pourtant d'irriguer nos synapses à l'approche des bilans. Dans un format plus concis que celui des chroniques habituelles du blog, cette série de rattrapages reviendra ainsi régulièrement sur ces laissés-pour-compte qu'un certain recul nous permet désormais de commenter sereinement.

Certes, à peine plus d'un mois nous sépare de la sortie du disque qui retient tout notre attention aujourd'hui, mais dieu sait qu'en un mois il s'en passe de belles du côté des musiques expérimentales et en particulier du drone dont l'actualité nous gâte tout particulièrement cet automne, de Noveller à Chris Weeks en passant par EUS, Olan Mill, Cezary Gapik ou Thisquietarmy... sans même parler de Tim Hecker, cet arbre colossal qui cache trop souvent la forêt et dont Heartland est justement taillé pour nous faire oublier la semi-déception de l'emphatique Virgins. C'est dire s'il eut été dommage que toutes les conditions soient réunies pour tenir éloigné de nos lecteurs cassettes ce deuxième LP du méconnu Jason Campbell, à l'image des précédentes sorties de l'Australien quasi impossibles à écouter en ligne à l'exception notable de l'EP Open Palms offert au téléchargement - et pour cause, cette première sortie extérieure à son propre label Eternal Solitude sera également la dernière du projet.

Heureusement, c'était sans compter sur Romain Barbot, patron et tête chercheuse de l'écurie BLWBCK à l'honneur dans nos pages il y a quelques mois pour l'imposant Orbs & Channels de son projet Saåad, paru quant à lui chez Hands In The Dark. Désormais au bénéfice d'une très belle réputation dans les sphères expérimentales, le label toulousain ne manque pas une occasion d'en user pour offrir un coup de projecteur bien mérité à ces visionnaires de l'ombre de l'ambient DIY confrontés à l'indifférence de leurs contemporains. Depuis cet Open Palms qui mêlait déjà fort brillamment il y a trois ans crescendos abrasifs de drones à couper au couteau, pulsations vintage des arpeggiators (dont les polyphonies irradient ici le fascinant Crossing Over) et nappes de synthés oniriques aux mélodies en clair-obscur dans une sorte de trance cosmique à la croisée d'un Konntinent et du sus-nommé Tim Hecker, peu de changement chez l'Australien si ce n'est l'ambition dont font preuve les 5 instrumentaux de cet Heartland, volutes analogiques irisant le néant de la ionosphère dans un entre-deux de lyrisme épuré et de contemplation typique des plus belles heures de la kosmische musik. De quoi nous faire regretter cette fin prématurée en espérant tout de même que le bonhomme revienne un jour ou l'autre sur le devant de la scène drone avec un peu plus de succès.

A télécharger librement et plus si affinité puisqu'il reste encore une poignée d'exemplaires de l'objet, au demeurant superbe, à s'arracher ici.

Rabbit

samedi 26 octobre 2013

2013 au tamis : Mikrokolektyw - Absent Minded


Date de sortie : 26 février 2013 | Label : Delmark

Le temps, pire ennemi du chroniqueur qui oblige à laisser dans l'ombre des dizaines de grands disques dont l'aura continue pourtant d'irriguer nos synapses à l'approche des bilans. Dans un format plus concis que celui des chroniques habituelles du blog, cette série de rattrapages reviendra ainsi régulièrement sur ces laissés-pour-compte qu'un certain recul nous permet désormais de commenter sereinement.

Garant depuis 60 ans de l'excellence de cette scène jazz de Chicago dont l'influence sur les aventuriers de tout poil n'a cessé de grandir au fil des décennies pour aboutir au post-rock libertaire et mutant de Tortoise, Delmark a su conserver jusqu'à aujourd'hui un équilibre idéal entre tradition et affranchissement, du blues à l'improvisation en passant par le jazz ethnique, les performances baroques du Art Ensemble Of Chicago ou les déambulations cosmiques de Sun Ra. En bref, Delmark, plus vieux label indé d'outre-Atlantique, c'est trop free pour les puristes et trop typé pour les férus d'expérimentation contemporaine, du moins en apparence et ce sont justement ces faux-semblants que Mikrokolektyw, après les fabuleux disques du Jeff Parker Trio (vous savez, Jeff Parker, le guitariste de... Tortoise) et Rob Mazurek Pulsar Quartet l'an passé tente comme bien d'autres avant lui de faire voler en éclats sur ce disque gargantuesque et néanmoins porté sur la microscopie.

Premier groupe d'avant-garde jazz européen signé par le label dans son histoire à la sortie de Revisit il y a trois ans de ça, le duo polonais livre en effet ici l'album parfait pour ouvrir l'horizon des amateurs d'électro-acoustique déjà ralliés de fil en aiguille à l'ambient-jazz de Dictaphone ou du label Rune Grammofon. Flirtant avec l'acousmatique vintage des pionniers 70s, une certaine inspiration tribale (Crazy Idea Of Jakub S., Little Warrior) mais surtout les saillies climatiques cacochymes et déstructurées des formations cultes du sus-nommé Rob Mazurek, en particulier le Chicago Underground Duo (qui n'a jamais sorti de disque chez Delmark contrairement à ses incarnation Trio ou Orchestra mais peu importe), Absent Minded est de ces disques pour lesquels les conventions ne sont rien d'autre qu'un substrat malléable à l'envie, errant d'impros hallucinées (Dream About Mind Master, Superconductor) en grooves hypnotiques (Sonar Toy, Trouble Spot) et autres échappées rythmiques (Thistle Soup, Fossil Stairway) où la trompette d'Artur Majewski semble vagabonder sans but, dépossédée de sa mémoire par les cascades perchées des fûts de Kuba Suchar.

Rabbit

vendredi 25 octobre 2013

Chaos Echoes - Duo Experience / Spectral Affinities


 Date de sortie : 28 septembre 2013 | Autoproduction

On avait déjà évoqué Chaos Echoes dans ces pages à la faveur de leur premier EP/LP (difficile de savoir s'il s'agit de l'un ou l'autre), le formidable Tone Of Things To Come. Un amalgame death/black complètement noir et très expérimental dans sa façon de faire valser les stéréotypes et d’adjoindre à son squelette heavy une multitude d’accents venus d’ailleurs. On sentait bien, à son écoute, que l’on tenait-là un groupe singulier, à part, extrêmement technique mais utilisant cette dernière à des fins toutes personnelles et donc jamais démonstratives. À ce moment-là, Chaos Echoes, c’était quatre membres, deux frères et deux amis. Aujourd’hui, pour cet enregistrement, le groupe est à moitié amputé et ne garde que les deux frères Uibo. Respectivement (et pour faire court étant donné qu'ils ne se cantonnent pas qu'à leur instrument) guitariste (Kalevi) et batteur (Ilmar), d’où le Duo du titre. Dans un registre bien éloigné du black/death de Tone Of Thing To Come. Ça, c’est pour l'Experience. Et le résultat est tout aussi phénoménal que leur EP inaugural. Spectral Affinities est un travail préparatoire aux performances données au Kill-Town Deathfest à Copenhague en 2012. Et il ne s’agit que d’une démo. Ce qui démontre le niveau car beaucoup seraient près à se damner pour sonner comme cela. Cinq titres, de trois à dix minutes, pas de voix, que des instruments, de l’improvisation mais pas que. Introspectif – un rythme général à peine plus élevé que l’immobilité – des larsens, une batterie flexible et carrée, des cymbales qui entaillent profondément l’espace, des drones inquiets et des grondements sourds. De l’abstrait mais que l’on s’approprie sans peine. Le disque capture dès les premières secondes et ne relâche son étreinte qu’à la toute fin. Bref, en d’autres termes, une belle claque.

D’autant plus belle qu’on ne s’y attendait pas. Enfin, un peu quand même au regard des performances solitaires de Kalevi Uibo même si ce Duo Experience/Spectral Affinities représente encore une facette différente de son talent. La grande différence étant qu’ici, il avance accompagné et que l’apport d’Ilmar est loin d’être négligeable. Là aussi, du talent et le travail sur le rythme est impressionnant. À l’image du très percussif final de The Elders bien que l’on n’y entende paradoxalement aucune percussion. C’est bien un duo, chacun épaulant l’autre, aucun ne tirant la couverture à lui et allant ensemble là où leur inspiration souhaite les mener. On aura bien du mal à catégoriser, à étiqueter comme on avait déjà eu bien du mal pour Tone Of Things To Come : Spectral Affinities est une expérience sonore parfaitement résumée par son titre. Une musique spectrale mais pas ectoplasmique, un réel fond, une vraie profondeur pour lesquelles ont ressent évidemment quelques affinités. Une sorte de psychédélisme contemporain, froid et sec, un drone écorché et sans gras où ne subsisteraient que les nerfs, une ambient quelque peu ésotérique pour laquelle on n’a peut-être pas tous les codes – il faudrait être dans leur cerveau pour cela – mais dont on saisit les intentions. Explorer, se faire plaisir aussi et aller là où les instruments les portent. Pas si éloigné en cela du free jazz dans cette volonté d’exploser les stéréotypes, de dépasser les limites même si, probablement, il s’agit ici de celles du métal. Et puis, doté d’un éventail de techniques allant des musiques anciennes aux expérimentations contemporaines, du jazz au death metal, le duo touche-à-tout peut bien choisir d’aller où il veut, il ira toujours quelque part et rarement nulle part.

Dans ces conditions, la résolution d’équations maousses ne pose strictement aucun problème : un disque de métal sans métal, une musique heavy montrant beaucoup de légèreté et de finesse, une déconstruction bien construite et réellement pensée, une improvisation enfin loin d’être absconse et ne laissant personne sur le bord du chemin. Il ne s’agit pas ici de se regarder jouer. Il ne s’agit pas non plus d’accorder une trop grande place à l’auditeur. Il est bien là, quelque part, en ligne de mire, mais Duo Experience semble avant tout puiser son moteur dans l’expérimentation. Que le résultat puisse être audible, voilà la véritable gageure. Et audible, indubitablement, Spectral Affinities l’est. On comprend alors à quel point il fallait sortir ce CD-R (dont la très chouette pochette est une nouvelle fois l’œuvre du bassiste Stéphane Thanneur), même à 50 exemplaires (il est d’ailleurs déjà épuisé). Une sorte d’avant-metal occulte mais pas non plus impénétrable, intellectuel mais pas hermétique, cinq morceaux majoritairement passionnants dans lesquels il ne faut pas avoir peur de se perdre, la transe n’étant jamais loin. En tout cas, voilà qui place cette entité à géométrie variable au centre du grand échiquier et d’ailleurs, à l’heure où j’écris ces lignes, une nouvelle cassette vient de paraître. Une série d’improvisations à quatre cette fois-ci, antérieure à Tone Of Things To Come et qui permet, une fois de plus, de poser le regard sur un groupe qui se cherche et qui, souvent, trouve.

Pour résumer : vivement la suite.

leoluce

jeudi 24 octobre 2013

Orla Wren - Book Of The Folded Forest


Date de sortie : 15 août 2013 | Label : Home Normal

Photographe itinérant et compositeur, l’anglais Orla Wren s'est vu accueilli à bras ouverts par Home Normal, maison dédiée à l’ambient et aux musiques électro-acoustiques gérée par Ian Hawgood. Après deux albums et un élégant EP en collaboration avec Offthesky et Isnaj Dui 85% sorti en septembre – celui qui se dénomme également Tui a réalisé Book Of The Folded Forest, une œuvre qui se décline en 13 morceaux et sept vidéos, et qui s’accompagne d’artworks réalisés par Urban9, à mi-chemin entre une douceur sépia et une atmosphère de Ruban Blanc.  

Avec plus d’une heure de folktronica langoureuse, le pari de maintenir l’engourdissement de l’auditeur à distance n’était pas sans enjeux. Mais que l’on ne s’y trompe pas, Book Of The Folded Forest est fait d’un bois mature et dense, qui enjambe sans mal l’écueil de la doucereuse linéarité qui peut être liée à ces genres musicaux. Orla Wren a su joliment s’entourer : Katie English, Jessica Constable, Frederic D. Oberland, Keiron Phelan et d’autres ont collaboré à l’album. Nuls autres que Aaron Martin et Danny Norbury l’accompagnent au violoncelle. 

Si à un disque peut correspondre l’atmosphère d’un lieu, il n’est de grande révélation à situer celui-ci au cœur d’un bois humide, entre les tourbillons légers de feuilles mortes, dans l’ambiguïté entre une franche beauté végétale traversée de poésie enfantine et l’esprit poisseux et glauque de la nuit tombant trop vite. Ce même tiraillement entre innocence et angoisse s’applique aux photographies jaunies d’enfants d’un autre siècle qui accompagnent le disque, celle de deux petites filles vêtues de manière identique n’étant pas sans rappeler les jumelles lugubres de Kubrick. Si cette ambivalence s’imprime en filigrane le long des treize titres, la musique connaît tout de même un tropisme vers une fauve délicatesse, une langueur plus mélancolique que macabre. Le violoncelle et la guitare acoustique dessinent le lit de volées aléatoires de pépiements, de tapements de bois, de froissement de feuillage et d’équivalents sonores de pas sur un sol d’hiver. Les mélodies engourdies vacillent comme des flammes de bougies, semblent chercher leur chemin pour enfin s’épanouir sur place, chaleureuses et fantomatiques. 

Le chant de Paddy Mann (Grand Salvo), intervenant sur le premier et le dernier morceau, y est pour beaucoup dans la chaleur et la beauté du disque. Il accompagne également à la guitare sèche le renversant The Words Under The Wood, mais c’est surtout son chant, déployant ce qu’il faut de douleur et de retenue, qui caresse les nerfs et fait tressaillir le cœur. La vidéo qui y est associée, signée Lumacell, parvient à amplifier les émotions ressenties, tout en illustrant la tension entre enfance et noirceur intrinsèque à l’œuvre. Sur les sept films réalisés, tous visibles sur le site de l’artiste, on saluera en particulier ceux de Elise Baldwin et de Skinofthetree

Un disque d’automne voué à durer bien plus qu’une seule saison.
Manolito

mercredi 23 octobre 2013

2013 au tamis : Famine - Anachronisms


 Date de sortie : 15 mars 2013 | Label : DTrash Records

Le temps, pire ennemi du chroniqueur qui oblige à laisser dans l'ombre des dizaines de grands disques dont l'aura continue pourtant d'irriguer nos synapses à l'approche des bilans. Dans un format plus concis que celui des chroniques habituelles du blog, cette série de rattrapages reviendra ainsi régulièrement sur ces laissés-pour-compte qu'un certain recul nous permet désormais de commenter sereinement.

Touche à tout comme il y en a finalement peu dans l'IDM où beatmaking et instruments conventionnels font rarement bon ménage, Chxst Famine avait sorti en 2010 l'un des albums les plus singuliers de l'entier catalogue Tympanik, ovniesque Nature’s Twin Tendencies nourri à l'EDM gothique des années 80, au breakcore ou à l'ambient new age comme au death metal le plus emphatique et embarrassant de kitsch assumé. Passé sous le radar depuis, on avait pourtant retrouvé tout le talent du Canadien sur un Milk, Or Ten Sephiroth dont le dark ambient suintant entrecroisait drones mystiques et field recordings cryptiques sur fond de ciel étoilé avant de basculer dans un metal indus affreusement emo pour un final déjà complètement... anachronique.

Pourtant, et pour faire cour puisque c'est le but ici, la facette électronique de Famine c'est un peu l'anti Ocœur : aucun débordement de sensibilité, pas de mélodies saillantes ni de production léchée, rien de ce qui fait que tout un pan de l'IDM est en train de sombrer dans l'émotion facile et la superficialité (heureusement les autres pans résistent bien et ils sont nombreux). Entre musique tribale venue d'un futur où les machines rêvent de moutons en polystyrène expansé et se bouffent entre elles dans une orgie arrosée à la soude caustique, techno indus perdue dans l'espace et groove déliquescent plein d'angles alambiqués et de grouillements informes, Anachronisms est ainsi à l'image des autres disques de son auteur, génialement imparfait et passionnant de bout en bout, jusqu'à son final Filmstrip mi-ambient baroque et rampante, mi-IDM cybernétique et décadente.

mardi 22 octobre 2013

Dans les rayonnages de la cave : notre discothèque idéale, 3/5

Lentement, progressivement, nous approchons de la centaine de disques. Cent albums qui nous ont violentés, accompagnés ou émus à jamais, avec en commun une certaine idée de la noirceur. Les règles demeurent les mêmes : vingt nouveaux résumés, par ordre alphabétique, avec un disque par projet. Joyeuse introspection.
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- Ginormous - At Night Under Artificial Light (2008)

Rarement un disque a si bien porté son nom. L’impression d’être paumé dans un dédale urbain et fantasmatique, aveuglé de néon, et tressautant le long des brisures du beat comme sur les wagons défoncés d’un vieux luna park, voilà ce que transmet le deuxième album de Brian Konietzko. Son IDM, criblée de flashs et de crevasses à la frontière du hip-hop, transpire une joie noire, malsaine, délirante et confine proprement au génie. L’ensemble distille la même poésie qu’un petit matin sans sommeil, levé de soleil, six heures du mat’ sur une ville tiède. Un des meilleurs albums de la terre. Point. (M)


- Godflesh - Streetcleaner (1989)

Difficile de n'en garder qu'un quand Songs Of Love And Hate, Pure et même Hymns par exemple trouvaient parfaitement leur place ici. Mais bon, il faut choisir, ce sera donc le premier. Guitare plombée, basse maousse et boîte à rythme martiale se confrontent le temps de morceaux tour à tour véloces et lents, parfois éparpillés, tout le temps perturbants. Monolithique, outré, jusqu'au-boutiste, on tient-là une pierre angulaire qui changera irrémédiablement le visage des musiques amplifiées et extrêmes. Inégalé, si ce n'est de temps en temps par lui-même, Godflesh (et par extension, Justin K. Broadrick) apposait alors sa marque massive sur les décennies à venir. Chef-d’œuvre. (L)


- Greymachine - Disconnected (2009)

Quatuor adepte d'un bruitisme cauchemardesque et dégénéré, Greymachine est surtout une hydre à deux têtes, créature enfantée par l'unique rapprochement entre deux figures essentielles des musiques extrêmes : d'un côté l'omniprésent Justin Broadrick, épaulé par ses fidèles compères Diarmuid Dalton (Godflesh, Council Estate Electronics, Jesu) et Dave Cochrane (God, Ice), de l'autre Aaron Turner (Isis, Old Man Gloom, Mamiffer) qui eut mérité bien plus d'une mention dans ce bilan pour son inestimable apport au versant le plus ambitieux et plombé du metal de ces 20 dernières années à la tête du défunt Hydra Head. Résultat : un magma doom/noise obsédant et sans concession, évoquant la psyché ravagée d'une personnalité psychotique et déconnectée de toute émotion. (R)


- Gridlock - Formless (2003)

Album fondateur d’une IDM à tendance industrielle qu’ont pu illustrer des labels comme Hymen, Tympanik ou Hands Productions, Formless représente aussi le meilleur de Gridlock, soit Mike Cadoo et Mike Wells, avant qu’ils ne se séparent en 2005. 10 ans et pas une ride, ce disque continue de sonner comme un recueil de rythmiques au scalpel, de lourdeur titanesque, de métal affuté et de souffle venu des limbes. (M)


 - The Gun Club - The Las Vegas Story (1984)

Ultime album de la trilogie inaugurale, The Las Vegas Story est encore un chef-d’œuvre et sera le dernier. Plus sombre que Fire Of Love, plus sale que Miami, c'est le manifeste urbain d'un groupe bien plus attiré par les marécages jusqu'ici. Jeffrey Lee Pierce confronte le blues qui le ronge aux murs de béton et aux néons dégueulasses de cette ville en carton-pâte et il en résulte un album urgent, post-punk et désespéré. Pour ma part, et bien qu'il n'y ait absolument aucun titre en dessous des autres, c'est peut-être la reprise de Pharoah Sanders qui me touche le plus : à la limite de la justesse, Pierce pose ses tripes sur la table et expose son âme le temps d'un Master Plan impudique, bancal, gênant et parfait. Œuvre majeure, The Las Vegas Story irradie encore quelques trente années plus tard et garde un pouvoir de fascination intact. (L)


- Tim Hecker - Harmony In Ultraviolet (2006)

Classique parmi les classiques lorsqu'on en vient au drone moderne et ses cartographies de l'âme, Harmony In Ultraviolet est un modèle de narration abstraite, aboutissement dans l'art de Tim Hecker de laisser de l'espace au rêve sous les tsunamis de bruit blanc. Dans l'éther crépitant du Canadien, les mélodies affleurent pour boire la tasse l'instant d'après sous les turbulences texturées et autres infra-basses vibrionnantes, passerelle entre la pureté du divin et les remous de nos existences délabrées. (R)


- Hecq - Night Falls (2008)

Si l'on apprécie comme il se doit l’œuvre de Ben Lukas Boysen pour son approche atypique de l'IDM et plus récemment du dubstep à coups de beats concassés et d'orages stellaires, les récentes BO livrées sous son nom nous ont rappelé à ce que l'Allemand fait finalement de plus magnétique, ces élégies crépusculaires doublées de textures sismiques qui doivent autant au sound design et au drone qu'à la musique de cinéma ou au classique contemporain, atteignant sur ce Night Falls aux chœurs surnaturels des sommets de grâce désespérée. (R)


- Tobias Hellkvist & Dead Letters Spell Out Dead Words - White/Grey/Black (2008)

Deux compositeurs suédois pour un unique morceau de 25 minutes. Tobias Hellkvist et Thomas Ekelund aka Dead Letters Spell Out Dead Words sont réunis par la sous-division numérique du label It’s A Trap, spécialisé dans la musique scandinave. White/Grey/Black correspond à un tiers de drones en montée, un tiers en redescente, et le tiers du milieu en constitue le cœur palpitant. A une escalade irrespirable environnée de sirènes lugubres et majestueuses succède une explosion brumeuse, faite d’éraflures post-rock. White/Grey/Black ou comment se désamarrer du monde en moins d’une demi-heure. A écouter dans le noir. (M)


- Hol Baumann - Human (2008)

Downtempo, psybient, électronica opiacée, le Lyonnais n’a pas volé sa place au sein du label Ultimae. Jouant sur la répétition d’arabesques rythmiques et sur des influences de musiques traditionnelles indiennes, Human concrétise l’hypnose, manipulant les attentes et les contrecoups avec brio. La deuxième moitié du disque en particulier, joue sur l’urgence et l’ardeur et allume l’addiction. (M)




- Hood - Rustic Houses Forlorn Valleys (1998)

Dans la catégorie des albums qui chamboulent sur le (très) long terme, je voudrais du Hood. A partir de là, les avis peuvent diverger, et tendre souvent vers la pépite électronica-post-pop que représente Cold House. A ce dernier nous préfèrerons Rustic Houses Folorn Valleys, sorti trois ans avant et qui signa pour le groupe de Leeds leur ton désenchanté et leur beauté funeste. Post-rock délicat et ravagé, plus maussade qu’une prairie sous l’orage, cet album brut et bref conjugue des émotions cataclysmiques et donne des envies de crier fort, de sauter à pieds joints et de faire la révolution. (M)


- Imaginary Forces - Filth Columnist (2010)

Avant de s'engager dans la ruelle tout aussi glauque d'une techno minimale vrillée d'interférences bruitistes, l'Anglais Anthoney J. Hart filait un bon coup de pompe cloutée dans les cadavres encore chauds de la drum'n'bass, du breakcore et de la rhythmic noise avec ce premier album sorti chez Ohm Resistance. Totalement free et névrosé, profondément malaisant sous ses rythmiques schizophréniques et dévastées qu'il délaisse parfois au profit d'un drone clinique, Filth Columnist est surtout un monument de froideur reptilienne et de tension larvée, labyrinthe viscéral et déliquescent dont personne n'est jamais ressorti sans y laisser quelques lambeaux de chair sclérosée. (R)


- Demian Johnston & Mink Stolen - Trailed & Kept (2011)

Mausolée drone doom aux lamentations funéraires saisissantes émanant des ruines millénaires d'une civilisation vouée à disparaître après l'avènement de la Bête, cette collaboration incarne comme aucun autre disque le souffle mystique, abrasif et noirci au charbon cher à l'écurie Debacle Records. Il faut dire que Demian Johnston est loin d'être le premier venu, stakhanoviste de l'artisanat drone et noise qui fit les belles heures de la scène hardcore de Seattle via divers groupes du cru et révéla plus d'un doomeux avec son label Dead Accents. (R)


- Khanate - Things Viral (2003)

Lent, distordu, franchement dégueulasse et malsain, torturé et cérébral, rien, absolument rien n'est glamour dans ce disque. Au contraire, tout y est froid, âpre, raclé jusqu'à l'os. Et puis tout ce silence. Assourdissant. "Is there hope ?" osent-ils demander quand ces quatre morceaux apportent la plus cinglante des réponses : l'espoir n'est qu'une invention, un truc abstrait qui n'existe que dans les contes. Là, il s'agit de vivre, de trimballer son mal-être partout où nos jambes veulent bien nous porter. Un sacré sens de l'humour, Alan Dubin et ses sbires. Un manifeste, rien de moins. (L)


- The Kilimanjaro Darkjazz Ensemble - The Kilimanjaro Darkjazz Ensemble (2006)

Même si leur entière discographie est passionnante, le premier album de la bande de Jason Köhnen, le seul qui soit absolument instrumental, se détache et s’affirme comme leur  chef-d’œuvre. Brouet de violoncelle beau à faire mal, de lancinantes ponctions de noise, et d’accalmies feutrées brutes de tendresse, leur darkjazz travaille la lourdeur et la fragilité jusqu’à un équilibre suprême. Un autre meilleur album du monde. (M)


- Klaus Kinski - Scape Destructive Putrescent (2011)

Malsain, grinçant et jubilatoire, Scape Destructive Putrescent est l’œuvre d’un jeune Russe inconnu et doué comme un diable. L’album traverse une demi-douzaine de genres différents sans jamais perdre de sa glaciale cohérence, réaffirmant la capacité de son auteur à faire émerger une kyrielle d’univers du plus flippant au plus suranné. Pièces insidieusement mélodiques et recouvertes d’une patine baroque, les neufs titres louchent sur du dark ambient, du noise, de l’IDM ou du trip-hop industriel. Un mal nécessaire, pour beaucoup de bien. (M)
 

- Kreng - L'Autopsie Phénoménale De Dieu (2009)

Surtout loué pour l'imaginarium baroque à coller des frissons de son récent Grimoire, le Belge Pepijn Caudron, déjà pensionnaire de Miasmah, faisait pourtant preuve du même degré d'inspiration et d'une ambition narrative encore plus affirmée avec cette Autopsie Phénoménale De Dieu, plongée à la fois insidieuse et théâtralisée dans les méandres d'un dark ambient élevé au darkjazz et à l'expressionnisme, au sound design des films de David Lynch et à la dramaturgie des BO de Bernard Herrmann, au piano de Satie et au classique contemporain lugubre et tourmenté des Ligeti, Penderecki ou Arvo Pärt. Phénoménal, forcément. (R)


- Labradford - Labradford (1996)

Avant de s'élever dans la stratosphère sous l'impulsion d'un post-rock épuré dont les nappes feutrées, guitares en suspension et autres blips impressionnistes n'allaient pas manquer d'inspirer tout un pan de l'ambient moderne (y compris leur propres projets respectifs Aix Em Klemm et Pan•American), Robert Donne et Mark Nelson flirtaient avec un versant nettement plus ténébreux de la musique instrumentale sur ce chef-d’œuvre aux beats cardiaques percé d'orchestrations poignantes, à la croisée d'un dark ambient rampant et d'un blues aride et lancinant dont Barn Owl s'est largement repu depuis. A redécouvrir d'urgence. (R)


- Massacre - Killing Time (1981)

Massacre, soit la réunion de Fred Frith, Bill Laswell et Fred Maher (16 ans seulement à l'époque), portait bien son nom. Il faut dire qu'en confrontant la guitare sauvage et inventive de l'un avec les ondes caoutchouteuses et non moins inventives de l'autre sous l'égide d'une batterie féline et incisive, on ne pouvait aboutir qu'à ça. Non pas que la musique de Massacre soit massive et ultra-violente, loin de là. Elle est simplement extrême dans sa façon de prendre systématiquement le contre-pied de ce à quoi on s'attend et à la seconde où l'on pense avoir compris où le trio veut en venir, il est déjà ailleurs : équations rythmiques féroces et insensées, lignes de basse ahurissantes, guitare épileptique et folle à lier. Massacre explose le jazz, atomise le rock et recolle les fragments épars en suivant un dessein qu'il est bien le seul à connaître. Et tout cela sans la moindre once de brutalité. Un monument. (L)


- Methuselah - A Great Leap In The Dark (2010)

Si l'on doit à Methuselah la bien-nommée apothéose de notre compilation Transmissions from the Heart of Darkness, avant-goût de leur prochain album Atman, le duo de Colombus, Ohio n'a pas attendu ces 18 minutes de progression climatique pour briller dans l'abysse d'un drone opaque et imposant, en atteste ce premier album collaboratif qui voit Adam Wetterhan (aka Sun Thief) et Luke Ethan Knight (We Were Ravens, Apollo) transcender dans tous les sens du terme ces chapes de plomb ésotériques puisant la source de leurs crescendos bourdonnants dans la musique industrielle. A télécharger librement. (R)


- The Moon Lay Hidden Beneath A Cloud - Rest On Your Arms Reversed (1999)

Ce groupe était un mystère et le reste encore aujourd'hui : duo autrichien réunissant les mots et le goût pour le médiéval d'Alzbeth et les sonorités martiales d'Albin Julius, la musique de The Moon Lay Hidden Beneath A Cloud était froide et austère. Quelque chose comme un Dead Can Dance industriel, nihiliste, monomaniaque et encore plus sombre car chez eux, c'est sûr, la mort ne pouvait pas danser. Personnellement, je n'ai découvert le groupe qu'à sa dissolution et avec cet album. Un album posthume réunissant quelques raretés mais qui permet toutefois de bien cerner sa musique : entre ambient martiale et folk rituelle où le noir et l'odeur de souffre prédominent. Surtout un don pour sonner organique alors que tout y était synthétique. Combinaison imparable qui fait naître quelques frissons malaisés sur l'épiderme dès qu'elle croise l'empan auditif. Depuis, Albin Julius a sorti de temps en temps quelques disques sous le patronyme de Der Blutharsch, et Alzbeth, irrémédiablement à la ramasse, semble passer le plus clair de son temps à militer contre les immigrés. Triste fin (pour elle) venant hélas ternir l'éclat de leurs perles extrêmement noires d’antan sur lesquelles pourtant, le temps ne semble avoir aucune prise. (L)
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En espérant vous avoir rappelé certains trésors oubliés ou vous en avoir révélé d’autres, nous vous promettons la pénultième liste pour bientôt.

Manolito, leoluce & Rabbit
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Précédemment dans les rayonnages de la cave - notre discothèque idéale : Part 1/5 | Part 2/5

lundi 21 octobre 2013

Denovali : 2013 signes, pas un de plus, espace compris.

2013 signes par chronique. Espace compris comme celui que renferment les quatre disques suivants. Un espace qui se déploie dès que résonnent leurs premières notes, un espace qui remplit encore la pièce alors même qu'elles se sont tues. Quatre disques contribuant à rendre cette année 2013 tangentiellement exceptionnelle en termes d'ambient bien noire, de drone costaud, de méandres sombres, de clair-obscur et de jazz mutant. Quatre disques enfin sortis sur le même label, un label déjà bien représenté en chroniques dans ces pages (ici, , et encore ). Une idée fixe ? Peut-être bien. Pourtant, force est de constater que Denovali nous aura, cette année encore, donné largement l'envie de multiplier les signes comme d'autres, paraît-il, multiplièrent les pains.Tout cela méritait bien une contrainte d'écriture.

Dale Cooper Quartet & The Dictaphones - Quatorze Pièces De Menace


Extrêmement dense sans être lourd, Quatorze Pièces De Menace est un enchantement. Il ne saurait se résumer au noir et blanc ornant sa pochette et offre une musique bien plus nuancée que cette opposition supposée. Car après tout, sans l’un, impossible de distinguer l’autre. Alors oui, noir, indéniablement le disque l’est. L’ambiance générale n’est pas des plus accueillantes et pousse à l’introspection plutôt qu’au rapprochement des corps. En revanche, le blanc et la clarté sont aussi largement convoqués : au détour de cuivres tour à tour apaisés et langoureux, d’une nappe bien moins inquiète qu’il n’y paraît ou de l’apparition par intermittence de la voix aux interventions toujours déterminantes. Désincarnée, tranquille, elle ajoute une épaisseur supplémentaire au soubassement déjà riche des morceaux. Car là est la grande affaire de ce nouvel album : son incroyable densité. Pour peu que l’on dépasse l’ossature principale, on se retrouve face à un labyrinthe infini dont on ne touchera jamais l’extrémité. Toujours passionnant, toujours élégant, depuis Parole De Navarre, le Quartet n’a que très peu changé et si les précédents dessinaient les contours de leur musique, tentant de la circonscrire alors qu’elle n’est après tout qu’errance et lignes de fuite, celui-ci lui offre de la substance et de la chair. Utilisant les armes du jazz pour sculpter son ambient, l’esprit de l’ambient pour déstructurer son jazz, l’amalgame ainsi échafaudé tient miraculeusement debout. Pour seul mortier, les drones inquiets. Les cuivres pour l’équilibre, les percussions pour l’assise et les nappes fantomatiques pour recouvrir le tout. Les voix pour la mystique. Onze pièces : quatorze menaces. Sans doute fâché avec les maths, le Quartet mais après tout, les morceaux débordent tellement, enfouissent leurs racines si profondément que le disque n’est que la partie émergée du grand œuvre : la moelle et la substance sont bien ailleurs et ne se voient pas, en-dessous, au-dessus et vous enveloppent sournoisement.

Floex - Gone EP

 
 
Sortie en catimini cet été, cette première contribution du Tchèque Floex à l'aventure Denovali est une affaire de passerelles. Surtout connu pour la bande originale du jeu vidéo Machinarium en 2009 dont les bricolages naviguaient déjà entre ambient d'outre-rêve, électronica percussive aux beats faits de bric et de broc et modern classical aux effluves jazzy, Tomáš Dvořák semble ainsi résumer et remodeler le temps d'un EP tout ce qui le fascine - et nous aussi par la même occasion - sur le label allemand. Des passerelles donc, à commencer par celle qui relie l'instrumentarium classique au sound design chez ce clarinettiste de formation féru d'installations multimédia. Ainsi, dès Saturnin Fire And The Restless Ocean, les idiophones sont loopés jusqu'à l'abstraction et les accords du piano glissent sur les nappes soyeuses d'une ambient nocturne dont les reflux d'éternité doivent autant à Field Rotation qu'au Bersarin Quartett. Plus loin, c'est sur une relecture de ce même titre par une autre figure de l'écurie de Hambourg, le Hidden Orchestra, que la clarinette émerge enfin sur un lit de drums syncopés, brouillant une fois de plus les pistes entre électronique et organique, tandis que Time To Go emprunte le chemin d'un néo-classique finement texturé à la manière d'autres artistes du label tels que Piano Interrupted cité plus bas. Enfin, dernière passerelle et non des moindres, celle qui permet d'offrir l'exposition d'une structure montante à des compatriotes animés d'un talent certain, qu'il s'agisse de Never Sol dont les vocalises sur papier glacé le temps d'un morceau-titre au downtempo foisonnant n'auraient pas dépareillé sur les plus belles méditations rythmiques des premiers opus de Röyksopp, ou de Dikolson dont le remix de Veronika's Dream transforme l'électro-jazz cinématographique de l'original, extrait de Zorya, en purgatoire impressionniste hanté par des chœurs de succubes qu'on jurerait tout droit sortis - passerelle encore - d'un disque du Kilimanjaro Darkjazz Ensemble.



Piano Interrupted - The Unified Field


Piano Interrupted, réunion du compositeur et pianiste anglais Tom Hodge et du producteur français Franz Kirmann, donne à entendre une musique qui n’est ni contemporaine, ni jazz, ni électronique, ni acoustique mais qui est bien tout cela à la fois sans être le moins du monde rien de tout ça. Piano Interrupted pratique du Piano Interrupted, vise l’insaisissable, le flou et souvent, vise juste. Une première écoute distraite ne convoque que des adjectifs légèrement péjoratifs - mou et invertébré, ce genre – quand toutes les autres frisent le dithyrambe : c’est souvent beau, toujours intrigant et très maîtrisé. De ses instruments majestueux pourtant drapés d’une multitude de micro-accidents jusqu’au synthétique qui revêt des atours organiques, on ne sait jamais trop ce que l’on écoute ni où le duo veut en venir alors qu’il devient vite indéniable que lui sait où il va. On n’écrit pas des morceaux de la trempe d’Emoticon par hasard. Déboussolé, on se rend bien vite compte que le disque accapare et que l’on aime y revenir souvent pour s’y perdre complètement. Deuxième album de la formation, The Unified Field confirme leur Two By Four inaugural et semble explorer les bienfaits du silence et de l’espace bien plus qu’auparavant. Il faut dire que l’on pourrait taxer celui-ci de véritable premier album quand le précédent compilait nombre d’EP, c’est sans doute en tout cas celui où le duo consolide son esthétique et se définit lui-même. Une gestation, une exploration pour aboutir à une assise véritable. Oui, indubitablement, les champs sont aujourd’hui unifiés au sein de cette entité bicéphale. En injectant force accidents dans un tapis organique dense et élégant, Piano Interrupted illustre parfaitement son patronyme. Difficile de savoir ce que l’on aime le plus : la majesté de l’ensemble, les glitchs sournois ? Quoi qu’il en soit, l’un n’étant absolument rien sans l’autre, la singularité du duo vient de là. En balançant des ronds-points et des bifurcations dans une forêt de lignes droites.

Thisquietarmy - Hex Mountains


Pour celles et ceux qui se demandent ce que signifie ce mot que l’on vous refourgue à longueur de chroniques depuis les débuts de ce blog, l'on tient là une définition imparable : le drone, c’est Thisquietarmy. Pour celles et ceux qui se demandent quel plaisir l’on peut tirer de l’écoute d’un amas de bourdonnements indéterminés, l'on tient là une réponse on ne peut plus cinglante : on aime le drone parce qu’on aime Thisquietarmy. Pour celles et ceux qui se demandent quel album privilégier parmi la jungle foisonnante que déversent inlassablement les doigts et le cerveau d’Eric Quach depuis 2005, l’on tient là LA porte d’entrée : Hex Mountains. Attention, non pas qu’il soit supérieur aux autres mais sans doute synthétise-t-il à lui tout seul tout ce que l’on a aimé, ce que l’on aime et ce que l’on aimera encore dans ce projet solitaire : l’évidence mélodique, l’immersion, le bourdonnement presque mystique, la majesté et l’abandon. Dès les neuf minutes de From Darkness, on sait qu’il sera inutile de lutter et qu’encore une fois on tombera dans les méandres sonores d’Eric Quach. À peine le dernier souffle de Spirits Of Oblivion résonne-t-il que l’on se précipite immédiatement pour remettre Hex Mountains au début, poussant le volume à fond pour faire vibrer les fenêtres, le quartier, la ville entière et l’univers avec nous dedans. Une épopée intérieure, un trek himalayen, une élégie au temps présent et à l’espace qui nous entoure, une odyssée aux déferlantes bourdonnantes particulièrement prenantes qui exsude de l’anxiété, de l’apaisement, des nappes solaires, un tapis rythmique écorché où l’on aime se prendre les pieds. Rien de nouveau là-dedans mais on s’en fout, Thisquietarmy est loin d’avoir tout dit et on est donc loin d’en avoir fait le tour et en s’entourant d’un groupe (dont quelques Monarch, cela s’entend), il délimite parfaitement le petit carré de terre qu’il laboure depuis longtemps et semble faire corps avec lui : plus heavy, plus mystique, plus beau encore. Magnifique !

Chroniques 1, 3 et 4 par leoluce, chronique 2 par Rabbit.

dimanche 20 octobre 2013

2013 au tamis : Architrav - Marode


Date de sortie : 12 janvier 2013 | Label : Halbsicht Tonträger

Le temps, pire ennemi du chroniqueur qui oblige à laisser dans l'ombre des dizaines de grands disques dont l'aura continue pourtant d'irriguer nos synapses à l'approche des bilans. Dans un format plus concis que celui des chroniques habituelles du blog, cette série de rattrapages reviendra ainsi régulièrement sur ces laissés-pour-compte qu'un certain recul nous permet désormais de commenter sereinement.
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On démarre donc avec un disque daté du tout début de ce cru 2013 et qui incarne justement les effets insidieux du temps et son pouvoir de corrosion. Impossible pourtant de trouver la moindre chronique de Marode, troisième opus - et second sur son label Halbsicht - du projet dark ambient de Michael Belletz, plus connu pour ses incursions électroniques en tant que Mnemonic. De cet aspect du travail de l'Allemand, on se souvient surtout de l'élégant Hörsinn dont les beats crunchy et les mélodies de claviers éthérées traînaient en 2010 leur spleen clair-obscur aux confins de l'hypnose et du rêve éveillé, davantage en tout cas que du récent The Air I Breathe qui vit il y a quelques mois ce bel équilibre basculer dans un trop-plein de romantisme et des schémas rythmiques un peu bateaux.

Des maux qui ne risquent pas de guetter Architrav sur ce Marode cryptique à souhait dont les trois pistes-fleuves oscillent entre drone rampant et modern classical déliquescent, autant dire à l'autre bout du spectre de l'IDM aérienne de Mnemonic. Et des spectres, on en croise plus d'un entre les tâtonnements atonals du piano et les crins affligés d'un violoncelle aux partitions cornées et jaunies par le temps, les drones sépulcraux et autres grincements de bois mort ou fields recordings en putréfaction. Car dès le morceau-titre, les conditions sont réunies pour que se déversent des crevasses de cette vieille bâtisse les émanations diffuses de quelque purgatoire à ciel ouvert, ectoplasmes lancinants dont les exhalaisons vocales et le halo radiant nous attirent peu à peu dans cet improbable passage vers l'au-delà.

Rabbit