mardi 16 juillet 2013

Burning Tree - Lammergyer


Date de sortie : 27 juillet 2013 | Label : Utech Records

Le trajet d'une balle... Voilà plus ou moins ce que l'on ressent à l'écoute de Burning Tree quand vient l'idée saugrenue de suivre son saxophone. Monomaniaque, légèrement psychorigide, il ne s'arrête jamais et trace sa route quel que soit l'obstacle qui se dresse devant lui : une batterie, la fin d'un morceau, le silence. Le trajet d'une balle, certes, mais d'une balle désorientée. Pas de trajectoire rectiligne, plutôt des courbes et beaucoup de fractures aussi. Comme une guêpe sous un verre se cognant aux parois invisibles qui la cernent, parfois au sol, reprenant son souffle à de rares occasions et son envol pour mieux se fracasser ensuite, à la recherche d'un ailleurs qu'elle visualise mais ne peut atteindre. Complètement imprévisible et dans le même temps, parfaitement déterminée. Quand on suit la batterie, ce n'est plus tout à fait la même chose : sèche, rêche et vraiment rapide, elle donne l'impression de labourer le silence, de le matraquer pour qu'il ne puisse en rester qu'une vague idée. Le bruit d'un métronome rendu fou à force de marquer le tempo avant même qu'il ne naisse. Jamais assez rapide mais extrêmement carrée. La réunion de ces deux instruments et de leurs usages donne Lammergyer. Une collection de cinq pièces assez monolithiques de prime abord mais qui montrent en fait une belle diversité. Les morceaux s'étalent de une à vingt minutes, le saxophone explore l'ensemble du spectre des aigus sans toutefois négliger les graves qu'il côtoie de temps en temps, la batterie marteau-pilonne ou caresse à contre-poil, souligne les errances du saxophone ou l'abandonne. Le tout ne dure qu'une quarantaine de minutes mais pourrait en durer cent que la sidération resterait tout de même intacte. Une énergie incroyable, une dynamique tout à la fois subtile et carnassière et une seule direction, droit devant.

Burning Tree joue du jazz. Du free jazz même, si l'on s'en tient au parcours chaotique du saxophone et à l'imprévisibilité de la batterie. Du free jazz à l'ossature harsh pour se rapprocher au plus près de ce que l'on entend : rien à foutre de la mélodie, seul compte la recherche du chaos et l'exploration du bruit. Derrière, Dag Erik Knedal Andersen, véritable pieuvre humaine en provenance d'Oslo, membre de SAKA, power trio sans concession, lui aussi norvégien, mélangeant merveilleusement free jazz et improvisation et d'AKODE, frayant plus ou moins dans la même mouvance, en quartette toutefois (réunion d'un Anglais, le saxophoniste Alan Wilkinson, et de trois Norvégiens) et en beaucoup moins déstructuré aussi. Devant, Dag Stiberg, saxophoniste véloce que l'on retrouve dans un groupe folk-metal ayant inventé son propre langage (le Trollspråk), Trollfest, un autre de noise, Maranata et enfin, un dernier plus psychédélique mais tout aussi déviant, Now We've Got Members. Eux aussi, tous norvégiens et tous joliment barrés. Au milieu, le fruit de leur rencontre qui ne pouvait aboutir qu'à un disque de ce genre-là, intransigeant et habité. Les deux Dag montrent une trop grande attirance pour les travers pour que leur musique ne puisse être qu'académique. C'est qu'en plus d'une parfaite maîtrise de leurs instruments respectifs, ils n'ont peur de rien et s'autorisent tout, à commencer par les vingt et une minutes furieuses de No Return, idéalement placées en toute fin d'album puisque la musique de Burning Tree atteint là un tel paroxysme dans la malaisance et l'inconfort qu'elles ne pouvaient être suivies que d'un silence définitif. Le saxophone exsude des stridences monstrueuses et agonisantes, la batterie alterne roulements et cris de cymbales et la tension reste intacte tout du long.

Avant, il y aura eu d'autres pièces époustouflantes. En particulier The Point, soit dix minutes de fuite en avant qui hypnotisent carrément et rendent captif des circonvolutions du saxophone qui s'arc-boute sur lui-même dans un mouvement qui tient autant du spasme que de l'implosion. Le tout sur un tapis rythmique toujours sec mais sauvage, fournissant une ossature salutaire au souffle en roue libre qui pourtant lui marche dessus. Inspiré et extrêmement jubilatoire, Lammergyer donne envie de s'y abandonner complètement. Dès le premier souffle et le premier coup de baguette, on reste là, la tête collée aux enceintes, les yeux écarquillés, la bouche grande ouverte et on ne bouge plus jusqu'à l'ultime seconde et même après. Le poil reste hérissé tout du long, le corps tout entier électrisé, faisant sien les spasmes du saxophone et le trépignement de la batterie. La musique du duo nous habite et nous fait vivre une expérience tout autant physique que sensorielle. Faisant référence à un épisode de la saga Heavy Metal, adaptation américaine de Métal Hurlant, Lammergyer est le nom du vaisseau qui apparaît sur la pochette, un vaisseau si toxique qu'il peut provoquer un cataclysme écologique majeur. Le tueur du Monde. Et si cette pochette est bien éloignée de la musique qu'elle est censée illustrer, l'épisode auquel fait référence Burning Tree, Kicking the Monolithic Habit, est lui on ne peut mieux choisi : toxique et létale, leur musique est vraiment ce qu'il se fait de mieux dans le genre. Agressive, écorchée, fuselée, elle marque avant tout par l'économie des moyens employés mais s'avère en permanence sidérante. Le jeu des deux instruments à tel point complexe et inattendu que la masse sonore qu'ils expulsent semble prendre vie devant nos yeux.

Sorti chez le toujours passionnant Utech, la musique de Burning Tree pourrait être rapprochée de celle des Dead Neanderthals dans ses intentions mais le résultat s'avère bien différent. Troquant les armes du grind pour des habits harsh tout aussi contondants, la musique du duo s'éloigne des canons jazz pour pencher du côté du free et de l'improvisation sans concession. Jusqu'au-boutiste et en permanence passionnant, Lammergyer fait naître l'envie de se  jeter sur l'ensemble de la discographie du duo, c'est-à-dire la cassette qui a précédé ce premier long format, Stinger, pour retrouver bien vite d'autres pièces explosives et fureteuses. Une mutation nouvelle, un ADN altéré, un accident génétique aboutissant à une heureuse expérience, il n'y a pas à dire, le jazz est en mouvement permanent et Utech se révèle être un laboratoire de recherche particulièrement prolixe ces derniers temps.

Impressionnant.

leoluce


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