vendredi 26 juillet 2013

Author & Punisher - Women & Children



Date de sortie : 11 juin 2013 | Label : Seventh Rule Recordings

Le titre éponyme en ouverture. D'abord une stridence, un souffle aigu, bientôt rejoint par une fréquence plus basse et un beat martial et lent. Tout cela se grimpe dessus. Puis une nappe bien saturée et crade vient écraser le tout. Arrive alors la voix, délavée, synthétique, charriant un écho qui rebondit d'un côté à l'autre du morceau. C'est déjà, en l'état, assez saisissant mais quand la guitare (enfin, son substitut) explose, ça devient franchement sidérant. Non pas que l'on soit surpris par la violence de l'ensemble mais plutôt par ce que cache ce pseudonyme. Derrière Author & Punisher, on ne trouve qu’une seule personne : Tristan Shone. Accompagné d’une  armada de machines (ingénieur en mécanique, il les a bricolées lui-même) qui lui permettent de déverser à grand fracas tous ses fantômes dans l’oreille de l’auditeur. Il crie, psalmodie et éructe, torture ses claviers pour en extraire une armée d’éléphants furieux, un flot d’ondes au grain extrêmement sale et grossier. Tout seul  mais sonnant comme mille. Parfois, la voix quitte ses atours robotiques pour devenir claire et  la saturation laisse la place à un piano élégant mais néanmoins inquiet. Ça se passe sur Tame As A Lion ou Pain Myself et la violence joue avec l'apaisement comme un chat avec sa proie. Dans ces moments-là, Women & Children arbore un masque mélancolique qui tranche avec l'intensité désespérée développée partout ailleurs. Parce qu'Author & Punisher ne cherche pas uniquement la destruction consciencieuse des défenses de l'auditeur, il veut aussi l'emmener loin dans sa vision sans concession du monde qui l'entoure. En écoutant ce disque, on ressent non seulement les assauts des ondes saturées et destructrices s'écrasant contre l'épiderme mais aussi les stylets psychiques et dérangés qui pénètrent le cortex en profondeur. L'album s'apréhende ainsi globalement, dans toutes ses dimensions.

Se définissant lui-même comme «an industrial doom and drone metal, one man band», le pedigree d'Author & Punisher ne fait aucun doute. En écoutant ses albums, on foule aux pieds des territoires balisés avant lui par Godflesh, Ministry, Pitchshifter et tout autre groupe de métal industriel, voire les Swans. Toutefois, résumer la musique de Tristan Shone à ces figures tutélaires ne lui rend pas justice et si Women & Children doit se réclamer de quelqu'un ou de quelque chose, c'est avant tout de lui-même. Creusant le même sillon depuis 2005, il n'a cessé de l'affiner, de l'enrichir, de le renforcer pour aboutir aujourd'hui à cet album parfaitement équilibré, tout à la fois brut et travaillé, agressif et apaisé et complètement tourné vers l'auditeur. Incontestablement, sa musique a gagné en richesse, en subtilité et le souffle aseptisé des premiers efforts a disparu au profit d'un supplément de vie qui inonde maintenant tous les morceaux. Alors qu'Author & Punisher donnait l'impression de se planquer derrière ses machines, on a aujourd'hui l'impression qu'elles font partie de lui. Véritables instruments psychologiques, elles l'ont remodelé et avec lui, sa musique, rendant Women & Children magnétique de bout en bout. Son pouvoir de suggestion ainsi décuplé, il se situe bien plus dans le partage que dans la seule démonstration, ce qui fait une sacrée différence. Évoquant les friches industrielles désertées, un amalgame de béton et d'acier, une lande urbaine déshumanisée, les morceaux ne sont évidemment pas des plus guillerets : spartiates, asséchés, véritables petits Terminator psychorigides, ils ont tôt fait de repeindre tous les murs en gris. Des distorsions agressives et aigües d'In Remorse au requiem synthétique de Miles From Home, du massif Fearce au plus éthéré Pain Myself, le disque partage son aliénation et sa vision futuriste désespérée.

Atteignant par moment la noirceur d'un Scorn bien plus porté sur les robots que les sound systems, le même degré d'intransigeance d'un Godflesh sans les guitares mais avec des ersatz très convaincants de celles-ci, Author & Punisher joue avec la densité et la lenteur, construit des drones strictement synthétiques mais néanmoins sinistres et commet un monument de poche atrabilaire et torturé. Ses machines ne rêvent pas de moutons électriques et cachent un ghost bien plus revanchard qu'onirique. Et de la moindre parcelle de plastique et d'acier des instruments abstraits qu'il a érigés, ruissellent des gouttes de hargne et spleen.

Demain, la guerre ?

leoluce


jeudi 25 juillet 2013

Dans les coulisses du prochain album de Tapage - Part 1

 

Au travail sur le successeur de Seven sorti en 2011 chez Raumklang Music, Tijs Ham nous a proposé de documenter la création de ce nouvel opus. A la manière d'un journal de bord, le beatmaker néerlandais affilié à l'écurie de Chicago Tympanik Audio nous fera ainsi partager à intervalles réguliers les avancées de son processus créatif, de la composition à l'enregistrement.

Sobrement intitulé 8, l'album s'annonce particulièrement conceptuel, 8 titres de 8 minutes chacun sur des rythmiques de 80 BPM nous promettant des atmosphères plus downtempo qu'à l’accoutumée et une certaine rupture avec l'IDM foisonnante que l'on connaît à l'auteur de Fallen Clouds.

Des sonorités électro-acoustiques qui ne sortent pas tout à fait de nulle part pour qui aurait eu l'occasion de se familiariser avec les premières démos de Feign, son duo dream-pop avec la chanteuse Jessica Pearson. On entendra ainsi sur 8 de la mandoline, du violoncelle et même du chant féminin, mais ne prenons pas trop d'avance et laissons plutôt Tapage introduire lui-même cette série de carnets exclusifs.

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Tapage - 8 : Following the process of writing an album.

It has been a while since my last album Overgrown was released on Tympanik Audio in 2011. Lots of things happened in the meanwhile. Started a new label called Tapeface... Worked on many many projects... Still it's about time to start writing the next proper chapter of Tapage.

It is also time to reevaluate the direction I want to take. For my sixth (really?... sixth??... let me check that to be sure... damn... sixth it is...) full length album I want to explore some new musical directions. This will be the first in a series of studio reports that shows my progress in writing, recording and eventually releasing a new album. It will contain bits of audio and perhaps video and pictures to illustrate the whole process.


Today I went out in the woods for some field recordings. I found some dried leaves and pressed record while creating rhythms by crushing them in my hands. Later on I processed the recordings to form the backbone groove of one of the tracks. Here's a little excerpt... the shakers you hear are made from the leaves.


As you can hear the vibe is very downtempo. More on my sources of inspiration in future reports.

Thank you and keep listening !

Tapage

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Traduction

Un bon moment est passé depuis la sortie de mon dernier album Overgrown chez Tympanik Audio en 2011. Beaucoup de choses se sont produites dans l'intervalle. J'ai lancé un nouveau label nommé Tapeface... travaillé sur de nombreux projets... et néanmoins l'heure est venue de commencer à écrire le prochain véritable chapitre de l'aventure Tapage.

Il est également temps de réévaluer la direction que je veux prendre. Pour mon sixième (vraiment ? ... sixième déjà ??... laissez-moi vérifier ça... mince... c'est bien le sixième) véritable album, je souhaite explorer de nouvelles directions musicales. Ceci est le premier d'une série de compte-rendus de studio visant à documenter ma progression dans l'écriture, l'enregistrement et à terme la sortie d'un nouvel album. Ce carnet de bord contiendra des extraits audio et peut-être même vidéo ainsi que des photos afin d'illustrer l'ensemble de ce processus.

Aujourd'hui je suis allé dans les bois pour faire des enregistrements de terrain. J'ai trouvé des feuilles séchées et j'ai créé des rythmiques en les écrasant entre mes mains tout en m'enregistrant. Plus tard, j'ai traité ces enregistrements pour façonner le groove de l'une des pistes. En voici un petit extrait... les shakers que vous entendez sont donc fabriqués à partir des feuilles.

Comme vous pouvez le constater, l'ambiance est très downtempo. Vous en apprendrez davantage sur mes sources d'inspiration dans de futurs compte-rendus.

Merci et restez à l'écoute !

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Photo : Brendon Heinst.
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Quelques liens

mercredi 24 juillet 2013

True Widow - Circumambulation


Date de sortie : 23 juillet 2013 | Label : Relapse Records

La chaleur est écrasante, l'hygrométrie bien trop importante, de quoi se sentir à l'étroit, cerné par sa peau et jamais à sa place. Dans ces conditions, il s'agit avant tout de flinguer les degrés. Pour ce faire, la belle pochette noire de Circumambulation est la promesse d'une parcelle suffisamment ombragée. On connait True Widow, sa déclinaison toute personnelle et légèrement dépressive du shoegaze qu'il aime pimenter de grosses guitares. On peut évidemment trouver ailleurs nettement plus lourd et nettement plus original mais le groupe s'habille d'un minimalisme élégant et d'une lenteur salutaire qui, dans mon cas, font mouche. Une esthétique manifeste fondée sur le Less is more. Une basse grondante et mortuaire, une guitare plombée, une batterie très lente, deux voix qui se succèdent et le tour est joué. Pas d'effets, peu de circonvolutions, rien de compliqué, juste le trio qui avance droit devant, lentement, avec une grâce toute pachydermique. Ses morceaux calqués sur cette dynamique : froids, lourds, lents et simples. Avec un petit plus accordé aux mélodies qui accrochent suffisamment l'oreille pour y revenir souvent. Ce qui fait la singularité du groupe texan, c'est qu'il emprunte un peu à tout - pêle-mêle de sludge, doom, stoner, post-rock, shoegaze, post-punk et drone (liste non exhaustive) - sans être rien de tout ça. Pas assez lourd pour faire du doom, ni assez gras pour faire du sludge mais bien trop lourd et gras pour que l'on puisse leur affubler l'étiquette post-rock et ainsi de suite. C'est très bien comme ça. On pourrait bien sûr leur reprocher de manquer de substance, d'être trop timorés s'il n'y avait derrière tout ça un réel talent d'écriture pour accoucher de morceaux pelés et vraiment efficaces.

Dès l'entame, Creeper pose les bases de Circumambulation : une grosse basse, un riff tout à la fois sombre et flippant et quelques breaks. C'est sinistre mais pas glauque et ça fonctionne. S:H:S laboure le même sillon avec une voix toutefois bien plus éthérée et post-punk. Le morceau semble patraque, au bout du rouleau mais l'ambiance demeure assez oppressante. Elle s'aère légèrement à la faveur de Four Teeth. Sans doute est-ce dû à l'entrée en lice de Nicole Estill (la bassiste) au micro, dont le timbre est plus typiquement indie-rock. En revanche, en-dessous, ça reste sec et légèrement lourd. Bref, le disque joue sur les nuances et les contrastes tout en gardant le même climax huit morceaux durant. True Widow alterne passages gras et légers, frontaux et retenus, longs et courts sans jamais se départir de sa vitesse de gastéropode épuisé, ni de son air renfrogné. On a parfois l'impression d'entendre Swell qui copule avec Earth, un My Bloody Valentine qui aurait troqué ses ondes pour des gouttes de lourdeur, un Jucifer monomaniaque et sexy. Circumambulation est le premier disque du groupe estampillé du logo Relapse et constitue certainement la sortie la moins metal du label cette année. Pour autant, sa présence sur le mastodonte américain n'est pas vraiment surprenante : intrinsèquement, la musique de True Widow appartient effectivement à ce monde-là. En revanche, en préférant l'approche larvée plutôt que l'attaque frontale, il est vrai qu'il faut bien chercher pour trouver les crocs de l'animal. Ils sont pourtant là, bien planqués, et sortent à la faveur d'un riff énorme ici (celui de Creeper par exemple), d'un tempo martelé et spartiate là (Trollstigen quand la voix se tait) et ne laissent aucun doute quant aux intentions du trio : trouver la jugulaire.

Avec sa violence subliminale et sa noirceur en filigrane, son austérité qui lui confère une vraie froideur, son côté hypnotique (l'instrumental I:M:O) et ses morceaux à rallonge, Circumambulation tend à monopoliser la platine. Alors bien sûr, True Widow est tangentiellement metal, tangentiellement sombre et tangentiellement méchant mais on peut arguer que la subtilité se cache parfois dans la valeur approchée, que la férocité, lorsqu'elle est suggérée, peut avoir autant d'impact qu'un crochet du droit. On reprochera sûrement au groupe de n'être pas assez, il est pourtant bien suffisamment et atteint même avec cet album le parfait équilibre qui, par le truchement d'une suite d'absences, lui donne toute sa densité.

Vivement recommandé, cela va de soi.

leoluce


lundi 22 juillet 2013

John Lemke - People Do


Date de sortie : 19 juillet 2013 | Label : Denovali Records

Feuille morte sépia sur fond gris clair ? Papier de soie en très gros plan sous loupe binoculaire ? Allez savoir. En tout cas, c'est élégant. Et très approprié. À l'image d'un disque dont on a bien du mal à définir les contours, réservant bon nombres de fulgurances mélodiques cernées par une grande sécheresse. Parfois, ça guinche aussi. Un curieux mélange. Capable de frôler le triste monde de la musique d’ascenseur, ce qui heurte, tout en faisant naître une mélopée à tomber, ce qui ravit. Shatterbox, deuxième titre, en est la parfaite illustration : le saxophone ténor portant le morceau est bien trop sirupeux mais participe à l'édification d'une superbe ossature électroacoustique qui, sans lui, n'aurait pas le même éclat ni la même saveur. Dès lors, quelque chose de contradictoire se crée à la naissance des oreilles qui tient tout autant de l'adhésion que de la répulsion. People Do ne peut donc laisser indifférent. Plus loin, Dorothea I endosse les oripeaux d'une ambient minimaliste égrenant ses notes de piano avec parcimonie. Ce n'est pas nouveau, certes, mais c'est tellement bien fait que John Lemke se fend d'un Dorothea II quelques titres plus loin venant enrichir ce premier chapitre. Il en résulte un diptyque très court mais aussi très profond qui résonne tout prêt des souvenirs que Ryuichi Sakamoto et Alva Noto ont semés dans la boîte crânienne. Un diptyque qui frappe surtout par le silence qui l'habite, tranchant avec d'autres morceaux au paradigme bien différent. C'est que la diversité fait partie intégrante de People Do, bien que le ton général soit homogène. Un ton mélancolique et contemplatif mais aux nombreuses nuances. L'ouverture est ainsi plutôt primesautière et légère, End Of Endless ne laisse aucunement présager de la suite, qu'il s'agisse de Shatterbox, plus renfrogné ou de The Air Between, bien déconstruit. Et il en va ainsi de l'ensemble du disque qui, d'une piste à l'autre, expose une facette du talent de John Lemke, à l'aise partout (ambient, IDM, trip-hop, musique concrète, et cætera), avec n'importe quoi (piano, guitares, ustensiles de cuisine, saxophone ou encore processeurs).

Compositeur et producteur de Glasgow, People Do est son premier disque et fait preuve d'un aplomb assez déconcertant. Il faut dire aussi qu'il n'est pas vraiment inexpérimenté, ayant composé des scores de documentaires pour la BBC ou Channel 4 et que l'on peut donc raisonnablement penser qu'il sait comment s'y prendre pour illustrer, suggérer, accompagner les images et les émotions. La grande nouveauté c'est qu'ici il en est à l'origine et que ces dernières sont avant tout mentales, bien cachées derrière les yeux. Il en résulte un disque dense, un éventail d'ambiances présentant des différences de matité subtiles, parfois dansant, parfois enveloppant, parfois anecdotique aussi (mais c'est assez rare) et tout le temps élégant. On aime s'y perdre totalement ou pratiquer une écoute morcelée, s'arrêtant ici et reprenant là. Quoi que l'on fasse, on s'y sent bien et on se dit en permanence que tout cela est foutrement bien construit. Car avec ses airs de ne pas y toucher, People Do fait preuve d'une grande maîtrise. On n'écrit pas des morceaux de la trempe de When We Could ou de Ivory Nights par hasard. On sent bien toute la réflexion, la recherche, les accidents et les plantages à l’œuvre derrière ce premier album. Créé, enregistré, produit de 2011 à 2012, entre Glasgow, Berlin, Bristol et Helsinki, avec des field recordings en provenance de ces mêmes villes mais aussi de Brandebourg et Salvatierra de Tormes, le côté cosmopolite et maîtrisé s'explique clairement. Fureteur, curieux, balançant la même rigueur dans toutes les pistes explorées, People Do est un kaléidoscope, légèrement plombé certes, mais à tel point cohérent que toutes les oreilles devraient y trouver leur compte à un moment donné. Et puis, cette façon d'être en permanence sur le fil, de se tenir pile sur la frontière ténue entre trop et juste assez, apporte une dimension supplémentaire à une musique que l'on pourrait croire passe-partout de prime abord mais qui est, au final, parfaitement équilibrée. Un saxophone langoureux contrebalancé par une mélodie renversante, une mélodie trop évidente contrecarrée par une dentelle électronique renversante, dès que People Do s'éloigne de sa subtilité, John Lemke arrive à l'y ramener.

Denovali ne s'y est pas trompé. Toujours dans les bons coups dès qu'il s'agit d'allier errance et exigence, People Do ne pouvait s'envisager ailleurs que sur ce label-là. Quoi qu'il en soit, pour un premier album, on n'est vraiment pas loin du coup de maître, tout à côté, tout contre.

leoluce


mercredi 17 juillet 2013

Brame - La nuit, les charrues...


Date de sortie : 11 avril 2013 | Autoproduction

Un puissant système audio ne saurait embellir un son pareil. Là où beaucoup tendent à aseptiser les déjections électriques de leurs instruments, Brame n’en a tout simplement rien à faire. De vieux écouteurs trouvés dans une poubelle rongée par les années pourraient amplement suffir pour optimiser son écoute. Des instruments fabriqués à la main, faits de vieux débris trouvés ci et là, raccommodés au gros scotch, jonchés de poussière et de résidus rocailleux en tout genre. Des amplis au bord de l’implosion, des cordes qui frôlent la rupture. C’est ce qui frappe d’emblée lorsque les premières «notes» entrent en jeu. C’est également un amateurisme flagrant, fruit d’une musique qui semble pleinement improvisée mais jamais réellement domptée, qui saute aux yeux. Tel un équidé pris de folie, imprévisible, dangereux. Et pourtant. Une musique de cow-boys aux traits lourds, pour qui les décennies passées au milieu des étendues jaunâtres, arides et quasi-désertes ont fini d’user leur corps. Un lieu insalubre, sorte de baraquement presque effondré, où murs porteurs et poutres vacillent au moindre éternuement. Le sol craque, grince même, sous la force des coups de pieds, en rythme. Nous plissons les yeux, nous-mêmes, face à une telle violence infligée à nos oreilles. Et pourtant. 

Une figure qui ne tient pas à être appréciée, admirée, aigrie par ses années de labeur au service d’une récolte dorée pour le moins ridicule. Un vieux con pour qui les seuls centres d’intérêts se résument à mâchouiller la paille et lâcher des glaviaux sur les seuls êtres égarés près de sa propriété, alors que la pendule résonne, résonne, dans cet habitat insalubre (Malebête). Il s’agit là de blues-rock... à ce qu’il paraît. Et pourtant, nous avons affaire à bien plus que ça. Car Brame n’en a strictement rien à faire des étiquettes, écorchant ses instruments avec nonchalance, transcendant les styles et leurs us et coutumes avec autant de je-m’en-foutisme. Cette guitare saturée, omniprésente, interpelle par son charisme, sa monumentale force de caractère, aussi mal accordée et défraîchie soit-elle. Les cordes semblent flotter, se percuter à chaque grattement de médiator. À la manière d’une voix rauque , transformée à petit feu par un tabagisme intense, chaque vibration se fait entendre. Les voix, parlons-en. Point de textes à proprement parler ici. Des cris, étouffés mais bien palpables, habités. Habités d’un terrible effroi, d’une certaine rage, d'une folie certaine. Les mots ne se distinguent plus, seul le sentiment demeure. Un sentiment qui glace le sang. Défiances en devient assurément le summum, l’harmonica en toile de fond n’aidant pas plus à nous rassurer. C’est ce même morceau qui vient alors scinder l’album en deux, laissant place à des titres plus atmosphériques, notamment parcourus de field recordings (Démolitions).

Brame signe ici un album très singulier, mais qui excelle dans ses approximations. Un râle continu, quarante minutes durant, mis en musique au travers des différents effets adjoints. Les deux Français ne sont certes pas des musiciens hors pairs, mais captivent leur auditoire, avec la plus grande indifférence. Car dans ce brouhaha électrique cuit à point, tout semble fonctionner, sans que l’on puisse foncièrement comprendre comment c’est possible. Mais le fait est là, La nuit, les charrues... est une tuerie. Difficile d'en dire plus.

Vivement recommandé.

Inoui


mardi 16 juillet 2013

Burning Tree - Lammergyer


Date de sortie : 27 juillet 2013 | Label : Utech Records

Le trajet d'une balle... Voilà plus ou moins ce que l'on ressent à l'écoute de Burning Tree quand vient l'idée saugrenue de suivre son saxophone. Monomaniaque, légèrement psychorigide, il ne s'arrête jamais et trace sa route quel que soit l'obstacle qui se dresse devant lui : une batterie, la fin d'un morceau, le silence. Le trajet d'une balle, certes, mais d'une balle désorientée. Pas de trajectoire rectiligne, plutôt des courbes et beaucoup de fractures aussi. Comme une guêpe sous un verre se cognant aux parois invisibles qui la cernent, parfois au sol, reprenant son souffle à de rares occasions et son envol pour mieux se fracasser ensuite, à la recherche d'un ailleurs qu'elle visualise mais ne peut atteindre. Complètement imprévisible et dans le même temps, parfaitement déterminée. Quand on suit la batterie, ce n'est plus tout à fait la même chose : sèche, rêche et vraiment rapide, elle donne l'impression de labourer le silence, de le matraquer pour qu'il ne puisse en rester qu'une vague idée. Le bruit d'un métronome rendu fou à force de marquer le tempo avant même qu'il ne naisse. Jamais assez rapide mais extrêmement carrée. La réunion de ces deux instruments et de leurs usages donne Lammergyer. Une collection de cinq pièces assez monolithiques de prime abord mais qui montrent en fait une belle diversité. Les morceaux s'étalent de une à vingt minutes, le saxophone explore l'ensemble du spectre des aigus sans toutefois négliger les graves qu'il côtoie de temps en temps, la batterie marteau-pilonne ou caresse à contre-poil, souligne les errances du saxophone ou l'abandonne. Le tout ne dure qu'une quarantaine de minutes mais pourrait en durer cent que la sidération resterait tout de même intacte. Une énergie incroyable, une dynamique tout à la fois subtile et carnassière et une seule direction, droit devant.

Burning Tree joue du jazz. Du free jazz même, si l'on s'en tient au parcours chaotique du saxophone et à l'imprévisibilité de la batterie. Du free jazz à l'ossature harsh pour se rapprocher au plus près de ce que l'on entend : rien à foutre de la mélodie, seul compte la recherche du chaos et l'exploration du bruit. Derrière, Dag Erik Knedal Andersen, véritable pieuvre humaine en provenance d'Oslo, membre de SAKA, power trio sans concession, lui aussi norvégien, mélangeant merveilleusement free jazz et improvisation et d'AKODE, frayant plus ou moins dans la même mouvance, en quartette toutefois (réunion d'un Anglais, le saxophoniste Alan Wilkinson, et de trois Norvégiens) et en beaucoup moins déstructuré aussi. Devant, Dag Stiberg, saxophoniste véloce que l'on retrouve dans un groupe folk-metal ayant inventé son propre langage (le Trollspråk), Trollfest, un autre de noise, Maranata et enfin, un dernier plus psychédélique mais tout aussi déviant, Now We've Got Members. Eux aussi, tous norvégiens et tous joliment barrés. Au milieu, le fruit de leur rencontre qui ne pouvait aboutir qu'à un disque de ce genre-là, intransigeant et habité. Les deux Dag montrent une trop grande attirance pour les travers pour que leur musique ne puisse être qu'académique. C'est qu'en plus d'une parfaite maîtrise de leurs instruments respectifs, ils n'ont peur de rien et s'autorisent tout, à commencer par les vingt et une minutes furieuses de No Return, idéalement placées en toute fin d'album puisque la musique de Burning Tree atteint là un tel paroxysme dans la malaisance et l'inconfort qu'elles ne pouvaient être suivies que d'un silence définitif. Le saxophone exsude des stridences monstrueuses et agonisantes, la batterie alterne roulements et cris de cymbales et la tension reste intacte tout du long.

Avant, il y aura eu d'autres pièces époustouflantes. En particulier The Point, soit dix minutes de fuite en avant qui hypnotisent carrément et rendent captif des circonvolutions du saxophone qui s'arc-boute sur lui-même dans un mouvement qui tient autant du spasme que de l'implosion. Le tout sur un tapis rythmique toujours sec mais sauvage, fournissant une ossature salutaire au souffle en roue libre qui pourtant lui marche dessus. Inspiré et extrêmement jubilatoire, Lammergyer donne envie de s'y abandonner complètement. Dès le premier souffle et le premier coup de baguette, on reste là, la tête collée aux enceintes, les yeux écarquillés, la bouche grande ouverte et on ne bouge plus jusqu'à l'ultime seconde et même après. Le poil reste hérissé tout du long, le corps tout entier électrisé, faisant sien les spasmes du saxophone et le trépignement de la batterie. La musique du duo nous habite et nous fait vivre une expérience tout autant physique que sensorielle. Faisant référence à un épisode de la saga Heavy Metal, adaptation américaine de Métal Hurlant, Lammergyer est le nom du vaisseau qui apparaît sur la pochette, un vaisseau si toxique qu'il peut provoquer un cataclysme écologique majeur. Le tueur du Monde. Et si cette pochette est bien éloignée de la musique qu'elle est censée illustrer, l'épisode auquel fait référence Burning Tree, Kicking the Monolithic Habit, est lui on ne peut mieux choisi : toxique et létale, leur musique est vraiment ce qu'il se fait de mieux dans le genre. Agressive, écorchée, fuselée, elle marque avant tout par l'économie des moyens employés mais s'avère en permanence sidérante. Le jeu des deux instruments à tel point complexe et inattendu que la masse sonore qu'ils expulsent semble prendre vie devant nos yeux.

Sorti chez le toujours passionnant Utech, la musique de Burning Tree pourrait être rapprochée de celle des Dead Neanderthals dans ses intentions mais le résultat s'avère bien différent. Troquant les armes du grind pour des habits harsh tout aussi contondants, la musique du duo s'éloigne des canons jazz pour pencher du côté du free et de l'improvisation sans concession. Jusqu'au-boutiste et en permanence passionnant, Lammergyer fait naître l'envie de se  jeter sur l'ensemble de la discographie du duo, c'est-à-dire la cassette qui a précédé ce premier long format, Stinger, pour retrouver bien vite d'autres pièces explosives et fureteuses. Une mutation nouvelle, un ADN altéré, un accident génétique aboutissant à une heureuse expérience, il n'y a pas à dire, le jazz est en mouvement permanent et Utech se révèle être un laboratoire de recherche particulièrement prolixe ces derniers temps.

Impressionnant.

leoluce


dimanche 14 juillet 2013

Dans les rayonnages de la cave : notre discothèque idéale, 1/5

Nous reviendrons sur ce centième article régulièrement parce que nous voulons marquer le coup et dans le même temps, continuer à alimenter le flot chaotique des chroniques. Une liste de 100 disques qui débute maintenant, échelonnée en cinq parties. 100 disques tout rond. 100 disques qui nous ont marqués, sombres ou particulièrement tarabiscotés, tranquilles ou enragés, du siècle dernier ou de celui-ci, de n'importe quel genre, n'importe quel style. 33 disques par rédacteurs et 1 en commun. Par ordre alphabétique parce que tous se valent, ont été importants à moment donné ou le sont encore... Une fenêtre ouverte sur l'ADN de ce blog qui aime prendre son temps parce qu'il aime toutes les musiques et aimerait en parler bien.

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- A Silver Mt. Zion - Born Into Trouble As The Sparks Fly Upward (2001)

Parmi les chefs-d’œuvre de la bande d’Efrim Menuck, le deuxième A Silver Mt. Zion s’affirme comme un disque fulgurant de désespoir, de sublime et de lancinance. Du post-rock en cascade aux complaintes au violon d’une splendeur inégalée (Could’ve Moved Mountains…), Born Into Trouble… est un diamant déchiqueté qui fait pleurer à torrent. (M)



- Ab Ovo - Mouvements (2007)

Nécessaire était l’étape par la discographie d’un des duos les plus marquants de l’histoire de la musique électronique industrielle. Trames indus anxiogènes, décors parfois veloutés, souvent apocalyptiques, toujours ultra texturés, les ingrédients du sixième album de Régis Baillet et Jérôme Chassagnard en font un indispensable. (M)




- Abstrackt Keal Agram - Cluster Ville (2003)

Grand oublié du label Gooom qui vit débuter Cyann & Ben ou M83, AKA fut l'un des meilleurs groupes de scène à télescoper guitares rageuses et beats électroniques devant des publics malheureusement clairsemés. Entre 2001 et 2004, le duo morlaisien - futurs Tepr et My Dog Is Gay aux carrières solo plus erratiques - aura pourtant livré une triplette d'albums sans égal dans nos contrées, culminant sur l'abstract crépusculaire et virtuose de ce Cluster Ville marqué par l'atmosphère de fin de monde des scores de Carpenter, le hip-hop malsain de Def Jux et les rêveries distordues de BoC circa Geogaddi. A redécouvrir d'urgence. (R)



- Access To Arasaka - Oppidan (2009)

Malgré les coups d’éclat renouvelés que furent void(); et Geosynchron, le premier album de Robert Lioy conserve le plus puissant magnétisme. Beauté cyberpunk éclaboussée d’émotions brutes, Oppidan fait l’effet d’une décharge d’IDM cryptée à l’aura charbonneuse. A redécouvrir sans cesse. (M)





 - ANBB - Mimikry (2010)

OVNI magnifique qui allia le temps d’un disque les deux monuments que sont Alva Noto et Blixa Bargeld. Mimikry sonne comme un magma suffocant de signaux et d’incantations, percé d’instants confondants de douceur comme de saccades terrifiantes. Très grand. (M)




- Aphex Twin - Drukqs (2001)


Réunis de manière hâtive et aléatoire pour cause de mp3 égaré dans un avion japonais, les 30 morceaux qui constituent Drukqs s’enchaînent de manière aussi décousue qu'envoûtante. Parce qu’il contient ses plus immenses tueries, et qu’il est un phénomène, un colosse, un classique à lui tout seul, Drukqs symbolise le bout d’Aphex Twin qu'ici l'on retient. (M)



- Arms & Sleepers - Black Paris 86 (2007)

Premier album du duo américain, Black Paris 86 croise une électronica voilée, des remous d’abstract hip-hop, du jazz fuselé et une forme de pop gris pâle. C’est bourré de torsades instrumentales et délicates mais ça saccage les tripes. Peut-être l’album le moins sombre de cette liste, certainement pas le moins mélancolique. (M)




- Autechre - Tri Repetae (1995)

Pas facile de choisir entre les déconstructions malaisantes de Chiastic Slide, les dérèglements insidieux de Confield, les abstractions labyrinthiques d'Untilted... donc finalement, honneur à Tri Repetae, meilleur compromis entre noirceur et génie visionnaire : sans doute pas l'album le plus jusqu'au-boutiste de Sean Booth et Rob Brown mais très certainement leur meilleur, qu'irrigue sous ses implacables rouages de beats cliniques et de nappes anxieuses cette mélancolie d'hommes-machines conscients de leur propre déshumanisation. (R)


 - Bad Sector - Chronoland (2011)

Dernier album en date de ce ponte trop méconnu du dark ambient, Chronoland invite dans un monde sous-terrain, fait de pulsations irréelles, et pourtant irrigué d’étonnants flux de lumière, des éclats poétiques, presque candides, brûlant doucement au cœur de ce dédale. (M)




- Aidan Baker - Lost In The Rat Maze (2011)

On reviendra sur la pléthorique discographie du Canadien via l'incontournable duo Nadja qu'il forme avec la bassiste Leah Buckareff, mais c'est avant tout en solo que le pape du doom ambient brille par la richesse de son inspiration, de jams space-rock en boucles glitch ou autres impros de guitare astrales. En témoigne l'éther psyché et les vapeurs krautjazz de cet étrange disque hanté par mille murmures fébriles, purgatoire impressionniste pour fantômes du shoegaze en mal de pédales d'effets et de rêves éveillés. (R)


- Bastärd - Radiant, Discharged, Crossed-Off (1996)

Brûlot de noise-rock râpeux et limpide à la fois, le deuxième album des Lyonnais de Bastärd emboutit des réverbères à coups de saturations obsédantes, construit des espaces anguleux, laisse planer des respirations moites et vous crache au visage qu’il est un immense disque de rock expérimental. (M)

- The Blood Of Heroes - The Waking Nightmare (2012)

Troisième opus du collectif carnassier initié par Kurt Gluck et Bill Laswell, mais deuxième véritable album, The Waking Nightmare ne triche pas et correspond tout à fait à son titre : un amalgame extrêmement sombre de dance-hall apocalyptique, de metal en fusion et de drum'n'bass nucléaire. Bill Laswell a disparu mais Justin K. Broadrick est toujours là. Et entendre ses guitares se débattre dans une jungle de beat contondants, c'est se prendre des éclats cauchemardesques en pleine poire et ne pas en revenir. (L)


- Blut Aus Nord - Mort (2006)

Encore un titre qui ne trompe pas : MoRT. Parce qu'un corps en décomposition doit probablement chanter ainsi. Un black maladif et moribond raclé jusqu'à l'os d'où ne s'échappe que le carillon morbide des guitares. Partout ailleurs, des cris, une boîte à rythme sépulcrale, une basse de croque-mort et une seule destination : le noir absolu et la laideur au sein desquels, paradoxalement, fleurit un certaine beauté. (L)



- Boredoms - Chocolate Synthesizer (1994)

Pas vraiment sombre mais complètement taré. Quoi qu'ils fassent, les Japonais seront toujours les plus extrêmes. Sans doute les stigmates du feu nucléaire. Inutile de décrire la musique car de musique, ici, nulle trace. En revanche, un catalogue de tout ce qui se fait de mieux en termes d'agressions sonores, de non-sens et de folie pure. Légèrement plus construit que l'illustre (et très recommandé) Pop Tatari, Chocolate Synthesizer annonce le psychédélisme à venir de Super AE (lui aussi très recommandé), en beaucoup plus crétin toutefois. C'est exécrable, c'est jubilatoire, c'est les Boredoms. (L)


- Bronnt Industries Kapital - Virtute Et Industria (2005)

Parallèlement aux incursions kraut-folk de Gravenhurst sur Fire In Distant Buildings, Nick Talbot mettait un point final à 4 années de collaboration cryptique avec son compatriote bristolien Guy Bartell (resté seul depuis aux manettes de BiK tous synthés en avant) pour accoucher de cette uchronie victorienne au souffle baroque, transposant les traumas urbains du Third Eye Foundation de You Guys Kill Me, la tension rétro-futuriste de Carpenter et les élégies de Morricone dans les souterrains suintants de l'Angleterre du XIXème siècle. Épique et bouleversant, un grand disque de l'ombre. (R)


- Peter Brötzmann - Machine Gun (1968)

Difficile de poser des mots en quelques lignes sur ce monument. Machine Gun, c'est l'une des toutes premières tentatives de free jazz européen. Le Peter Brötzmann Octet en explose consciencieusement les limites. Un disque qui engendre la fusion des neurones, injectant force sauvagerie dans ses structures alambiquées amenées par trois saxophones (bariton et ténor) et une double rythmique titanesque. Un manifeste brutal qui provoque, j'imagine, la même sensation qu'une balle dans la tempe. Pan ! T'es mort. Quarante-cinq années plus tard, son pouvoir de sidération demeure intact et sa violence inégalée. (L)


- Candle Nine - The Muse In The Machine (2010)

Premier album de Steven Stefaniak dont on attend désespérément une suite, ce concentré d’IDM fragmentée et de griffures de glitch assorties d’une pesanteur industrielle déploie une redoutable profondeur mélodique. Un coup à (re)succomber à un spleen entaché de romantisme, aussi beau qu’il est violent. (M)




- Cannibal Ox - The Cold Vein (2001)

Monument personnel, un disque qui doit beaucoup à El-P (voire tout, si l'on s'en tient à l'écoute du dernier opus réalisé sans lui). Un trou noir morbide, futuriste, abstrait, à base de beats viciés, de samples funestes, d'effets dégénérés sur lesquels surnagent les flows désespérés et les histoires crues de Vast Aire et Vordul . Un vortex qui emmène dans les coins les plus reculés de la psyché humaine, ceux dont on aurait aimé ne jamais soupçonner l'existence. (L)



- John Carpenter - The Fog OST (1980)

Des générations d'aficionados de l'horreur sur pellicule traumatisés par ses mélodies à trois accords sur fond de nappes ténébreuses et de beats pulsés ne peuvent qu'être dans le vrai : Carpenter n'a pas seulement réinventé la série B fantastique mais également la musique de synthés. Chaînon manquant entre Lustmord et la Motorik, le minimalisme de l'Américain déjà cité deux fois dans cet article préfigurait plus que jamais le dark ambient moderne avec cette BO de Fog, modèle d'économie de moyens et d'angoisse pernicieuse dont l'influence irradie aujourd'hui du drone au revival électro 80s en passant par le hip-hop oppressant d'El-P ou l'indus sulfureux de Vatican Shadow. (R)


- Cindytalk - Camouflage Heart (1984)

On adore les derniers albums de Cindytalk, la période Editions Mego de sa très riche discographie qui voit la créature de Gordon Sharp explorer les méandres flous d'une musique de plus en plus abstraite, de plus en plus dépouillée et près de l'os. Mais le truc avec Cindytalk, c'est qu'on a toujours adoré ses albums, à commencer par ce Camouflage Heart inaugural qui n'a rien à voir et arpente les chemins caverneux d'un post-punk martial, glacial, noir et on ne peut plus sale. La grande différence, c'est qu'à l'époque, on entendait encore sa voix, une voix au diapason de la musique qui la porte : étranglée, douloureuse et touchant en plein cœur. Un disque d'une rare intensité qui enveloppe à tel point que la vision désespérée qu'il dégage devient immédiatement la nôtre. Chef d’œuvre. (L)
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Nous voici arrivés au terme de cette première salve. Les quatre suivantes seront du même acabit et s'il y a fort à parier que vous en connaissiez déjà quelques-uns, peut-être ferez-vous quelques découvertes ou du moins, aurez-vous envie de remettre ces disques-là sur la platine.

La suite bientôt...

Manolito, leoluce & Rabbit