mardi 15 janvier 2013

Dépôt de bilan à la cave - notre année 2012 en 40 disques

Un bilan tardif parce qu'on n'aura jamais vraiment fini de faire le tour de ce cru 2012 mais qu'il faut aussi savoir s'arrêter : on ne peut pas tout écouter.
Un bilan commun pour ne pas vous inonder de suggestions : nous avions chacun nos coups de cœur, nos marottes, nos disques de chevet mais finalement seuls les 6 premiers de ce classement auront su rallier nos suffrages à tous trois.
Un bilan partiellement commenté, enfin, pour faire honneur à quelques-uns des nombreux oubliés de nos colonnes : le temps est cruel, surtout quand il vient à manquer.
40 disques que nous avons jugés indispensables, parmi bien d'autres qui le sont tout autant, car l'on est d'avis à DCALC que la création musicale dans ses niches sombres et singulières n'a jamais été aussi vivace qu'aujourd'hui. Il suffit de savoir s'orienter dans la pénombre des sous-sols...




1. From The Mouth Of The Sun - Woven Tide

Car sur la question de l'ambient, 2012 est généreuse, il n'est qu'une demi-surprise de voir surgir à la tête de notre bilan un disque comme celui du Suédois Dag Rosenqvist aka Jasper TX et de l'Américain Aaron Martin. En parallèle au temps qui file comme un long drone, Woven Tide traite de l'instant suspendu et infini de la douleur, de l'orage qui glisse sur les corps sans les atteindre et du cœur qui se soulève, étouffant. Le violoncelle venant étreindre des brumes frémissantes clame le manque de mots pour en dire la beauté. Depuis longtemps peut-être n'avions-nous rien écouté de si déchirant, de si somptueux et délicatement tragique.



2. The Boats - Ballads Of The Research Department  (chronique)

D'une mélancolie exacerbée, les quatre ballades qui composent ce disque majestueux n'ont pas leurs pareilles pour s'insinuer en profondeur et accompagner la moindre parcelle de solitude, ces moments de la journée où le langage n'est plus qu'intérieur. Paradoxalement accessible alors qu'il s'agit avant tout d'un canevas d'une complexité sans nom, pêle-mêle de notes de piano resserrées, de cordes de guitare effleurées avec élégance, de contrebasse discrète et de percussions qui le sont tout autant, les drones qui parcourent les morceaux, accompagnés d'un grésillement aliénant, se révèlent en permanence poignants. On sait désormais vers quel disque se tourner dès que l'envie de parler avec soi-même pointe le bout de son nez.



3. 2kilos &More - Kurz vor5

Kurz vor5 ou la claque que l'on n'avait pas senti venir. Lézardé, électrique et trouble, le troisième album des Français Séverine Krouch et Hugues Villette navigue entre dédales anxiogènes et percées extatiques. Appuyé par le spoken word caverneux de Black Sifichi et de Phil Von, et à la croisée de l'ambient corrosif, du rock expérimental et de combustions industrielles, le disque manipule la répétition avec une précision malsaine. Traversée sulfureuse et martiale, Kurz vor5 est de ces bombes noirâtres, absolument essentielles.



4. ULNA - Ligment  (chronique)

Doublé gagnant pour le label hambourgeois Karlrecords, à commencer par ce deuxième opus d'ULNA qui télescope IDM déstructurée, glich ambient organique et interférences fugaces dans la lignée du génial Frcture de 2008. Cette fois le duo italien a fait appel à la basse cosmique de Mark Beazley, frontman de feu Rothko, et aux vocalises éthérées de Barbara De Dominicis (Cabaret Noir) sur quelques titres pour un résultat encore plus impressionniste et nébuleux, qui empile les strates de rêve et de conscience tel un château de cartes constamment au bord de l'effondrement. Fascinant.



5. Cezary Gapik - The Sum Of Disappearing Sounds  (chronique)

On l'a toujours su et les exemples sont légions (vous pourrez toujours jeter une oreille sur n'importe quelle sortie récente de Jello Biafra ou même sur le dernier disque de Jim Coleman, quoique dans des genres totalement différents), les punks vieillissent bien. C'est qu'à n'en avoir eu rien à foutre à un moment donné, on n'a souvent plus peur de rien. Prenez cet album de Cezary Gapik et son amalgame fracassé de field recordings, d'instruments indéterminés, martyrisés et de glitchs d'où jaillissent des drones sépulcraux et dégénérés. Qu'est-ce qui a bien pu un jour l'habiter pour accoucher aujourd'hui d'une telle marée noire et d'un tel chaos ? Et qui pour l'écouter ? Nous, bien sûr et vous une fois que vous aurez prêté une oreille attentive à The Sum Of Disappearing Sounds. Car cette musique, aussi sombre et dégueulasse soit-elle, fait preuve d'un pouvoir de sidération contre lequel il ne sert à rien de lutter.



6. Nebulo - Cardiac

Depuis Artefact, Nebulo a changé. Douce surprise que ce Cardiac tout en pulsations et en séquençage organique. A la fois épique et cotonneux, l'album condense une nouvelle démonstration de force du Français Thomas Pujols. La maestria qu'on lui connaissait dans les mécanismes d'articulation du beat s'attache désormais à humaniser la machine et à délicatement, orchestrer le chaos. L'injection de field recordings ainsi que le travail saisissant de maîtrise autour des souffles et des ondes ne sont que des petites touches de ce dont regorge Cardiac. D'une grande beauté.



7. Windy & Carl - We Will Always Be

Carl écrit et joue les morceaux, Windy y pose sa voix. Carl compose pour Windy. Windy chante pour Carl. Le duo amoureux planque les fruits de ce paradigme derrière une pochette au jaune immaculé et étincelant illustrant parfaitement bien la teneur d'un disque à l'ambient solaire et extatique. Mais c'est trop vite oublier qu'une histoire d'amour ne saurait se résumer aux premiers moments où l'harmonie semble indestructible. Viendra inexorablement le temps des compromis et parfois aussi de l'abandon. Ainsi chaque pièce positive et béate se trouve être bien vite contrebalancée par une autre bien plus sombre. Le drame succède à l'extase et l'ambient ensoleillée des débuts adopte, sans que l'on y prenne garde, un visage renfrogné. Après le beau temps, la pluie et les nuages. Constamment magnifique, si l'on vibre en permanence à l'écoute de We Will Always Be, c'est bien parce qu'avant tout, il ne parle que de nous.



8. Valgeir Sigurðsson - Architecture Of Loss

Producteur d'artistes comme Bonnie 'Prince' Billy, Björk ou The Magic Numbers et co-fondateur de Bedroom Community, c'est dans une mesure plus personnelle que cette année Valgeir Sigurðsson fascine. Bâtisseur d'édifices évanescents et perlés, le compositeur islandais livre un troisième album dans lequel on ne saurait finir de se perdre. Les déchirements noisy et les orchestrations choquantes de beauté s'unissent en un pas de deux dont les contours ne cessent d'être redéfinis. De volutes texturés en craquellements souterrains, ces 40 minutes prodiguent l'ivresse de l'errance solitaire et constituent une dose brute de poésie surgie du froid.



9. ex aequo : Dictaphone - Poems From A Rooftop

Ancienne figure de City Centre Offices, le trio composé d'Olivier Doerell (Swod), Roger Döring et désormais d'Alex Stolze revient six ans après Vertigo II avec dans sa besace une pépite grélée de groove. Flottant entre glitch volubile, néo-classique et jazz affranchi, Poem From A Rooftop s'imprime dans les œuvres indispensables de 2012 par sa capacité à émouvoir en un frisson de clarinette, en un bref tintement, ou en un éclat mordoré. Un disque auquel la seule chose que l'on pourrait reprocher serait d'être trop parfait. Et encore.

JK Flesh - Posthuman  (chronique)

Presque trente ans de carrière dans les jambes et pourtant Justin K. Broadrick les a toujours bien campées dans le béton et la fange, aux avant-postes des agitateurs de la "musique extrême". Après le hip-hop avec Techno Animal, la noise sur Greymachine ou le shoegaze électronique pour Pale Sketcher, c'est au tour du dubstep et de la drum'n'bass d'être laissés pour morts dans une ruelle sombre, molestés à coups de rangers et de barre de fer. Massif et martial, violent et vicié, ce premier opus de JK Flesh est justement à la croisée des trois projets sus-mentionnés, le tout enrobé d'une bonne grosse chape metal indus circa Godflesh. Post-humain, forcément.



11. Caulbearer - Haunts

Sortis de nulle part, les Texans Ben Roe Jr. et Cody Spence Drasser tutoyaient déjà les cimes sismiques et corrosives de Tim Hecker ou de Sun Thief avec ce premier LP aux allures de no man's land pour âmes damnées où dardent les rayons d'un soleil noir et froid. Depuis, on les a invités à composer un titre pour le premier volet de notre compilation et Cody Drasser s'est même permis de transformer l'essai avec un premier album solo monolithique et plombé à souhait, pas loin des travaux du sus-mentionné Cezary Gapik. Décidément une grosse année pour Caulbearer.


12. Fire! w/ Oren Ambarchi - In The Mouth A Hand  (chronique)

Premier projet ambarchien d'un classement qui en comptera trois et aurait même pu en compter deux fois plus tant le guitariste australien a marqué ce cru 2012 de son empreinte, parvenant à rallier les suffrages d'un public parfois néophyte en matière d'ambient, de noise ou de free jazz avec quelques-uns de ses disques les plus singuliers et aboutis. Pour celui-ci, on retrouve ses larsens anxiogènes et autres saturations obsédantes associés aux fulgurances saxophoniques stridentes et sinueuses du Suédois Mats Gustafsson, à la tête du trio Fire! dont la section rythmique barbelée arbitre l'affrontement dans une parfaite discordance jusqu'à un final dark ambient faussement apaisé et de toute beauté.


13. ex aequo : Oren Ambarchi - Sagittarian Domain

A l'opposé de l’apprêté chaotique et résolument indomptée d'In The Mouth A Hand, c'est à un crescendo non moins tendu mais nettement plus cadré que nous confronte ici l'Australien, progression martiale et lancinante d'une bonne demi-heure dont le sang bout en arrière-plan des pulsations krautrock pour voler en éclats quand on s'y attendait le moins au profit d'un final élégiaque dont les violons à nu vous hérisseront tous les poils du corps. L'un des sommets d'épure d'Ambarchi cette année, avec le trop méconnu The Mortimer Trap - piste unique et très deep là encore, mais composée à quatre mains avec l'Allemand Thomas Brinkmann en hommage à Morton Feldman et privilégiant sur 77 minutes les microvariations hypnotiques d'une ambient mathématique, loin en somme du lyrisme larvé de ce foudroyant Sagittarian Domain.


Chicago Underground Duo - Age Of Energy

Passé des rangs de Thrill Jockey, label de ses compères chicagoans de Tortoise, à ceux de Northern Spy où sévissent notamment Zs et Rhys Chatham, Rob Mazurek et son batteur Chad Taylor en ont profité pour remodeler les fondements même de leur musique, délaissant les tâtonnements minimalistes du superbe Boca Negra pour une forme de jazz autrement plus dense et métissée, qui emprunte aux musiques traditionnelles africaines autant qu'au drone ou à l'hypnotisme vintage - tantôt géométrique ou plus vagabond et narcotique - de la kosmische music. L'un des chefs-d’œuvre mésestimés de ce cru 2012, au côté duquel on ne manquera pas de citer les belles réussites de jazz moderne que sont le Stellar Pulsations du Rob Mazurek Pulsar Quartet et le Bright Light In Winter du Jeff Parker Trio avec justement Chad Taylor aux fûts, tous deux sortis sur l'excellent label Delmark.

15. ex-aequo : Vieo Abiungo - Thunder May Have Ruined The Moment

Indomptable et gargantuesque, ample et foisonnante, exaltée mais consciente de vivre ses derniers instants, cette troisième échappée élégiaque du multi-instrumentiste William Ryan Fritch (Skyrider) en tant que Vieo Abiungo revêt plus jamais des allures de BO fantasmée, associant - avec la virtuosité que l'on connaît à ce féru d'idiophones et autres instruments ethniques - jazz primal, ambient tribale, drones lancinants et orchestrations feutrées pour évoquer la poésie troublante d'une nature au crépuscule de son ivresse de couleurs et de liberté. Capiteux.

John 3:16 - Visions Of The Hereafter: Visions Of Heaven, Hell And Purgatory  (chronique)

On ne reviendra pas sur le choix de ce patronyme ou sur le lexique employé pour nommer chacune des neuf pièces qui constituent ce premier long format. De l'herméneutique, John 3:16 ne retient que les atours et use d'une imagerie qui semble n'être là que pour souligner le caractère éminemment mystique de sa musique : à suivre sa guitare, ses percussions, ses drones organiques et ses nappes synthétiques qui se confrontent avec fracas ou dans un silence conjoint, impossible de ne pas rentrer à l'intérieur de soi. Grand tourbillon solennel et imposant qui voit Philippe Gerber émietter toutes ses muses, toutes ses influences et tous ses sentiments, Visions Of The Hereafter: Visions Of Heaven, Hell And Purgatory est avant tout un chapelet d'ambiances et d'émotions dont on égrène chaque perle avec recueillement.


17. Witxes - Sorcery/Geography  (chronique)

Disque somme sans doute puisque enregistré en de multiples endroits, à différentes périodes. Disque qui frappe surtout par son épaisseur. Non pas dans sa musique, alternant éruptions cinglantes et passages bien plus apaisés, mais dans ce qui la rend possible. Un supplément d'âme, la recherche du son juste, celui qui exprime parfaitement ce que l'on a en tête. Et qui vient nourrir une ambient ensorcelante et fantomatique, tour à tour mélancolique et anxieuse, d'une élégance folle et d'une sophistication bien réelle (pour preuve le canevas organique très travaillé qui agrémente nombre de morceaux). Un disque qui prend la main pour ne plus la lâcher et que l'on se surprend à rattraper quand il le fait.


18. 36 - Lithea

Les spectres et le minimalisme trouble s'inscrivent au cœur du substrat hypnotique qui fait la musique de 36. A l'heure du quatrième album, plus question d'ornements, Lithea questionne la pesanteur et fait danser les boucles de brouillard. Romantique et grave, l'introspection se pare des couleurs du drame. Un album qui clôt le triptyque d'un Dennis Huddleston obsédé par la quête de l'émotion pure. Peut-être son meilleur.  



19. ex-aequo Christ. - Cathexis Motion Picture Soundtrack

Il faudra bien un jour se résoudre à lâcher le passé de Christ. et arrêter d'évoquer Boards Of Canada à tout bout de champ (comme c'est le cas ici) dès qu'il s'agit d'évoquer sa musique. D'ailleurs, celle-ci n'a rien à voir et oppose au psychédélisme solaire de sa première vie musicale une vision bien plus froide, industrielle (voire robotique) et sombre. Christ. est volontairement abstrait et effleure régulièrement des degrés de conceptualisation qui avoisinent ceux d'une idée mais se révèle être aussi, et c'est très paradoxal, un formidable vecteur d'images mentales. D'ailleurs, bande originale du film évolutif du même nom, toujours en cours d'évolution semble-t-il (mais dont on peut voir un long extrait ici), il n'est pas nécessaire d'avoir vu ce dernier pour que ce disque nous amène à nous détacher de l'espace environnant et fuir le temps. Le corps tout entier assailli de multiples émotions, c'est bien un film intime et intérieur que la musique de Christ. fait irrémédiablement naître derrière nos yeux.

Isnaj Dui - Abstracts On Solitude

Si les flâneries d'une flûte bucolique ou d'un gamelan narcotique font bon ménage avec les glitchs stridents, drones lancinants et autres abstractions électroniques qui sous-tendent cette ode au repli sur soi, c'est bien parce que Katie English ne fait rien comme tout le monde, laissant derrière elle sa formation classique au profit d'une approche mystique et tâtonnante, et ouvrant les bras à cette solitude que tant d'autres craignent ou rejettent pour en accepter toutes les facettes, apaisante, ascétique, pesante voire aliénante. Sans doute l'un des disques les plus singuliers sortis par les esthètes d'Hibernate cette année.




21. Bersarin Quartett - II / Hidden Orchestra - Archipelago (chronique)








23. Keiji Haino, Stephen O'Malley & Oren Ambarchi - Nazoranai








24. Talvihorros - And It Was So








25. Jesus Is My Son - 1914-1918








26. The Carapace - Moments in Time. (chronique)


27. Kshhhk - Kshhhk (chronique) / Monolake - Ghost








29. Monade - Pt#9








30. Swans - The Seer








31. John Zorn - The Gnostic Preludes


32. Horseback - Half Blood (chronique)
     Vertonen & At Jennie Richie - Leaving Ocean For Land (chronique)
     Matt Elliott - The Broken Man


35. Brambles - Charcoal (chronique)
     RM74 - Two Angles Of A Triangle (chronique)
     Adrian Anioł - Arrhythmia OST


38. Crowhurst - No Life To Live (chronique)
     Aluk Todolo - Occult Rock (chronique)
     Poppy Ackroyd - Escapement

Manolito, leoluce & Rabbit

2 commentaires:

  1. Merci pour ce top albums 2012. Vu les différences de style entre les albums que vous présentez, c'est clair que ça pas dû être simple de les "départager".

    Je suis surpris de voir le ULNA si bien placé... Cela ravive ma curiosité au sujet de cet album!!

    Avant qu'il ne soit trop tard: Bonne année 2013!

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    1. Merci à toi pour ta curiosité ! En effet il y en avait tellement d'autres, mais finalement pas tant que ça sur lesquels tomber d'accord.

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