mercredi 22 août 2012

Trollhead - On The Loose


Date de sortie : 20 juillet 2012 | Label : Bedroom Research

J+1. Me voilà embarqué depuis 24 heures dans cette navette de 3ème génération et déjà le champ gravitationnel de Trollhead agite mes senseurs, happant le vaisseau dans une frénésie cahotante. A mesure que j'enregistre ce premier rapport à destination du consortium Bedroom Research, l'atmosphère se fait de plus en plus opaque, à l'image de cette planète fuligineuse que j'ai vu grandir et se rapprocher dans mon hublot depuis des heures. Bientôt, ce qui ressemble à l'équivalent de nos pluies acides commence à s'abattre sur la coque, rongeant la peinture à vue d’œil. Je télécharge les dernières infos sur la topologie du vallon où je suis censé poser l'appareil. Atteindrai-je en un seul morceau la surface du monde mystérieux que ce groupement de recherche cybernétique en plein essor m'a chargé d'explorer ?


J+2. Au lendemain de l'atterrissage, la chaîne d'assemblage du véhicule tout-terrain s'affaire, sous les consignes vocales de l'autopilote. Drôle de vision que cette machinerie enchâssant des pièces de métal et serrant des boulons dans un train-train qui pourrait presque paraître rassurant si ce n'était cette plongée dans un inconnu sinistre comme la suie qui m'attend à l'extérieur, tout sauf accueillant malgré son atmosphère d'une composition semblable à la nôtre. Combien de chances y avait-il pour que cet air soit respirable ?... Mais trêve d'hésitation, à mon tour de m'adonner à la routine des préparatifs, je pars vraisemblablement pour plusieurs jours en direction des artefacts technologiques repérées par nos sondes Atomhead et Ronny Ragtroll. Entre excitation et appréhension, la sempiternelle question assaille de nouveau mon esprit gagné par la fatigue du voyage supraluminique : qu'est-il donc arrivé à ces engins depuis leurs dernières transmissions ?


J+3. Impossible d'y voir quoi que ce soit à plus de dix mètres entre deux décharges électrostatiques fendant l'atmosphère comme des flèches depuis le ciel constamment lourd, et pourtant c'est un vrai plaisir de conduire le Humvee bondissant de dunes en cratères, le moteur vrombissant pour escalader les reliefs rocailleux. Au bout d'un canyon rocheux, je dois m'arrêter brutalement pour laisser passer un troupeau d'étranges quadrupèdes aux vagues allures de bovidés, cavalant à l'aveugle en se heurtant les uns les autres et pour cause, aucun signe d'un quelconque organe de vision sous leurs cornes difformes et proéminentes. Une pensée m'étreint au regard de leur masse musculaire comparable à celle d'un éléphant : que peuvent bien avaler de telles créatures dans ce désert de pierre et de poussière ? La réponse m'est bientôt dévoilée en poursuivant mon périple : à défaut de végétation digne de ce nom, les rares espèces peuplant ces contrées inhospitalières ont pour la plupart adopté un régime cannibale...


J+4. Signalées par mes radars depuis la veille, j'observe enfin de visu les gigantesques infrastructures en contrebas du promontoire rocheux où j'ai caché le Humvee accidenté sous une toile de jute, et elles n'ont rien d'abandonnées. Les professeurs Deschuyteneer et Robbe ne s'étaient pas trompés sur la teneur des images rapportées par nos modules d'exploration disparus, et impossible pour moi désormais de repartir pour leur transmettre cet enregistrement crucial. C'est tout juste si les jumelles à rayons X me permettent de percer le voile de ténèbres qui obscurcit ce monde de jour comme de nuit, mais les mouvements de troupes qui s'offrent à mon regard sont sans équivoque. Des dizaines, peut-être même des centaines de milliers de créatures humanoïdes aux corps décharnés et aux orbites vides se prêtant aux exercices martiaux d'un entraînement guerrier dans une synergie bien trop parfaite pour être honnête, leurs armes aux lignes organiques crachant des lasers à intervalles réguliers sur autant de cibles mouvantes. En m'approchant à flanc de coteau, je constate avec horreur que ce camp militaire aux architectures métalliques est loin d'être unique en son genre, premier maillon d'une chaîne monumentale de bâtiments bien alignés en rangs d'oignons. Pire encore, la vision d'un écran holographique surplombant ce qui semble être l'un de leurs halls d'état-major m'informe sans aucun doute possible sur la nature de leur cible : une petite planète bleue riche en ressources que je m'inquiète désormais de ne plus jamais revoir.


J+5. Je ne suis toujours pas en mesure de réaliser la chance qui m'a permis d'arriver entier jusqu'ici, passager clandestin d'un des milliers de vaisseaux-mères aliens en route pour une terre promise qui s'avère par un cruel coup du destin être celle d'où je viens. Caché derrière les grilles d'une conduite d'aération, j'observe ces bipèdes effilés aux oreilles de renard, hauts d'environ 2m50, connecter leur système nerveux aux flux électriques de leurs exosquelettes motorisés, signe que le voyage touche à sa fin. D'un système solaire à un autre, quelques heures auront suffi à sceller le destin d'une civilisation millénaire. A moins que je ne parvienne à saper leur effet de surprise, puisque la destruction de masse ne semble pas faire partie des plans de cette titanesque fourmilière en migration ? Mais même alors, que pourrons-nous face à une technologie dont on ne trouve l'équivalent sur Terre que dans les romans ou au cinéma ?


J+6. Je les suis à distance à la lumière de la Lune depuis déjà une heure. Par chance, un atterrissage en terrain forestier ne leur a pas facilité la tâche, mais l'éloignement de toute civilisation ne me permet pas davantage de prévenir qui que ce soit. Les envahisseurs et leurs machines de guerre font leur possible pour avancer en silence, mais les inégalités du terrain rend leur déplacement malaisé et pour le moins hésitant. Je ne sais pas si vous recevez ces rapports émis directement par ondes distantes à l'aide de ma radio de terrain, mais nous n'avons plus beaucoup de temps pour les arrêter. Il faudrait... attendez... un groupe de créatures armées vient de bifurquer dans ma direction... des ordres crépitent dans leurs radios... je suis repéré ! Fin de transmission, dites à ma femme et à mon fils que je... krztzkz.


J+7. Ils ont pris le contrôle de mon esprit, je suis l'un des leurs désormais... et pourtant... si mes actions sont sous l'emprise d'une volonté unique contre laquelle il m'est impossible de lutter, je suis toujours libre de mes pensées, tout en partageant leurs pulsions aveugles de pillage et d'épuration. J'ai également découvert que je pouvais communiquer par vibrations mentales avec tout réseau à ma portée, d'où cette ultime tentative de contact, certainement vouée à l'échec. Le jour est en train de se lever et... quelle est cette étrange sensation ? Alors qu'aux premières lueurs de l'aube se dévoile finalement la végétation à terrain découvert, c'est comme si le foisonnement de couleurs  et de vie de la campagne environnante m'apparaissait pour la première fois. Comme si je ressentais ce que ressentent au même instant ces créatures de désolation en découvrant ce qui s'apparente à leurs yeux à un paradis tel qu'ils n'en ont jamais connu. Dans cette clarté pastel, je sens ces instincts de mort partagés avec mes nouveaux congénères s'estomper au profit d'une étrange sérénité et même... d'une conscience insoupçonnée de la valeur de l'existence ? Serait-il donc possible de s'entendre et de cohabiter ?...


mercredi 8 août 2012

Paskine - UNTTLD


Date de sortie : 1er août 2012 | Label : Abstrakt Reflections 

Un album, et Max Paskine semble rejoindre la tribu des petits français de l'électronique tortueuse exerçant une certaine fascination outre-Atlantique. Révélé brusquement par la sortie de son premier long format, UNTTLD, Paskine s'est pour cela acoquiné avec le netlabel désormais bien installé de l'Argentin Pablo Benjamin : Abstrakt Reflections. Hébergeant des musiciens tels que LPF12, Miktek ou le très regretté In A Mindset, on doit à cette structure la révélation de pointures telles que VNDL, dont le Gahrena: Paysages Électriques vit le jour sur Hymen Records, ou de r.roo, que l'on ne présente plus mais dont on vous reparlera nécessairement sous peu, l'Ukrainien étant à quelques jours de sortir Mgnovenie sur Tympanik Audio. Le détour étant mérité, revenons-en au principal intéressé. Paskine est Marseillais, âgé de moins de 25 ans, et après deux EPs lâche un premier essai gorgé de promesses.

Commençons par excuser ce jeu d'escamotage des voyelles auquel se livre le titre de cet objet. Constat tout à fait personnel que de développer des réactions proches de l'urticaire face à ces consonnes glorifiées réveillant le spectre d'entités aussi peu amènes qu'un SBTRKT ou de lointains MSTRKRFT. Sur ces considérations doucement futiles, précisons que la musique de Paskine ne souffre en rien d'aussi malheureuses comparaisons. Elle est sobre et absorbante, palpable et évocatrice. Cet album cadre parfaitement avec l'esprit d'Abstrakt Reflections, laissant à penser que le label touche progressivement à une ligne identitaire solide. L'IDM ici n'est souvent que suggérée, et ses limbes charbonneuses se parent d'une dimension spacieuse, profonde, presque terrestre. 

Il n'est pas de hasard si le musicien cite Piano Phase de Steve Reich et les oeuvres de chez Raster-noton comme influences. L'album prend comme source les notions de répétition et d'erreur. La structure se pose, s'élève, sévèrement régie, puis c'est le jeu de la déficience et l'entrée en scène du glitch. Comme un paysage lisse qui graduellement s'altèrerait, les pièces de Paskine se modifient au fil des grains de sable qu'il se plait à infiltrer dans ses rouages. Mais la métaphore organique ne s'arrête pas là. UNTTLD prêche l'hégémonie des textures et le travail autour de la consistance sonore est porté aux nues. Vaporeuses, les drums semblent douées d'une grâce propre, les boucles adoptent un grain changeant et lorsque interviennent des cordes, celles-ci sonnent comme des ondes. Chez Paskine, les échos se font fluides et il pleut des aiguilles très douces.

Au commencement, un loop entêtant et enjôleur suggère une future montée en puissance. Qanoun Debut et ses lames de fond brouillées et rampantes représente pourtant le morceau le plus rythmé du disque. Les méandres prennent ensuite de l'amplitude, et si l'oreille sautille sur Octo, Struct l'égare au creux d'un labyrinthe de scintillements. Un premier choc survient avec Thns, la logique répétitive resserre son étreinte, laissant une ligne de synthé étrangement mate vous tisser méthodiquement un canevas de brouillard dans le cerveau. Se succèdent alors les Ambient Phase I, II et III, soit le coeur de l'album. Les trois morceaux dépeignent une sorte de houle magnétique, qui lentement dévoilerait ses nuances, tandis que l'axe moteur ne cesserait de vibrer. La sublime troisième résonne comme un bijou de mécanique dont les cliquètements matérialiseraient la mélodie. Mais le vrai sommet du disque repose sur Qanoun Time. Que dire de cette tuerie faite de vibrations en forme de poupées russes et de son divin crescendo (je me comprends). Je ne m'étendrai davantage, c'est sur l'ondée délicate de Pulse que cette beauté d'album s'éteint alors.

En analogie avec son artwork – superbe et génial – UNTTLD représente un très bel exercice de style. En téléchargement libre sur le site du label, il ne mériterait d'être ignoré.

Manolito

lundi 6 août 2012

Badun - s​.​o​.​t​.​s


Date de sortie : 31 juillet 2012 | Label : Schematic

N'en déplaise aux blasés adeptes des écuries bien installées dont la ligne éditoriale trop marquée finit forcément par se mordre la queue tôt ou tard, l'IDM ne se porte pas plus mal cette année que les dix précédentes. Mais à condition bien sûr d'aller fureter du côté de ces structures à échelle humaine dont la passion demeure le moteur premier, quels que soient leurs contingences budgétaires, leurs partis-pris esthétiques et les formats qui en découlent. Ainsi, comme pour Xtraplex ou Bedroom Research, on aura sans doute maintes occasions de vous reparler de Schematic, label des géniaux Phoenecia actif depuis plus de 15 ans tout de même mais particulièrement prolifique en ce cru 2012 avec pas moins d'une sortie par mois jusqu'ici (et non des moindres, comme en témoigne par ailleurs ce saisissant ovni). Quant à savoir si aucune de ces occasions sera aussi pertinente que la parution de ce troisième opus de Badun, c'est une autre paire de manches.

Car depuis leur éponyme de 2007 édité à l'époque par Permanent & Rump et désormais en libre écoute sur la page Bandcamp du duo, les Danois Oliver Duckert et Aske Krammer n'ont eu de cesse à l'instar de leurs nouveaux patrons de label de creuser le sillon d'une IDM libérée de toute contrainte structurelle, phagocytant jazz, acid house et plus récemment ambient cinématique pour nourrir leurs abstractions mouvantes faites de nappes fugaces, de gitchs organiques et de beats instables au groove feutré, un temps lumineuses voire rêveuses sur le bien-nommé - et largement improvisé - Last Night Sleep mais désormais nettement plus angoissantes.

Disponible en vinyle et digital depuis fin juillet, s​.​o​.​t​.​s ne déroge pas à la règle, mais si des comparaisons avec les travaux les plus radicaux d'Autechre ou encore le cultissime Brownout des sus-nommés Phoenecia viennent immédiatement à l'esprit, les basses rondes, vocalises éthérées et autres discrets arrangements acoustiques de l'éponyme ayant définitivement disparu au profit d'un foisonnement analogique aux pulsations de plus en plus déliquescentes, tenter de réduire la démarche singulière de Badun à une somme d'influences aussi séminales fussent-elles relèverait de l'outrage pur et simple.

Le duo n'a en effet rien à envier à ses pairs et pères en terme d'abîmes créatifs, et d'autant moins depuis que la légèreté jazzy des débuts a laissé place à une inspiration autrement froide et malaisante. Si les grouillements cosmiques de Kætø et leurs averses de pulsations à air comprimé pourraient donner l'illusion en ouverture d'album de céder à l'appel de l'Espace et de ses mystères sidéraux, synonymes de romantisme pour les nerds du monde entier, New Holme Ejj90 remet vite les pendules à l'heure en plombant tout espoir au gré de ses 8 minutes de drill'n'bass hantée. La fascination exercée par ce s​.​o​.​t​.​s sera certes bien celle de l'Inconnu, mais en mode accident sanglant sur un bord d'autoroute ou fourmillement d'insectes coprophages sur un cadavre de chevreuil en décomposition.

C'est en tout cas le genre de visions qu'induit Fradig James avec son inquiétante prolifération downtempo de beats vénéneux et de field recordings malmenés qui se font plus déstructurés encore sur Six Months Later In A Bash, à peu près le temps qu'ont dû passer les vers à putréfier l'animal en question. S'ensuit un intermède glacial ambient, rampe d'accès abrasive autant que cristalline vers une seconde partie d'album aux évocations plus insidieuses qui s'ouvre sur le glitch acide et anxiogène d'I Can Not Remember My Funk School, épopée rétro-futuriste crachant ses clicks & cuts tachycardiques faits de bric et de broc comme autant de postillons cybernétiques.

Déroulant enfin au gré des breakbeats cotonneux et des programmations fugitives de Glry Studio, l'album n'a toutefois pas encore dévoilé son plus troublant joyau : Rebef Boj et ses 7 minutes de battements fiévreux et d'arpèges désincarnés, acide encore, déstructuré toujours mais surtout plus spectral que jamais. Insaisissable, à l'image de la forme primitive qui orne la pochette, et de l'énigmatique acronyme qui sert d'intitulé à ce disque aussi ténébreux qu'insondable, chef-d'œuvre transcendant et captivant d'un bout à l'autre que les amateurs éclairés dont vous faites assurément partie ne voudront manquer sous aucun prétexte.

Rabbit