jeudi 28 juin 2012

FRKSE - Scholar Drugs


Date de sortie : 19 juin 2012 | Label : I Had An Accident Records

À peine s'est-on familiarisé avec Guilt Surveillance que FRKSE, particulièrement prolifique ces derniers temps, remet l'ouvrage sur le métier. D'autant plus qu'il faut être honnête, on est bien loin d'avoir exploré les multiples recoins de son vinyle et qu'il y a d'ailleurs fort à parier que nous n'en fassions jamais véritablement le tour. Complexe, mouvant, se métamorphosant sans cesse d'un morceau à l'autre, Guilt Surveillance était-il annonciateur du contenu de cette cassette jaune répondant au doux nom de Scholar Drugs

Dans un premier temps, on a plutôt envie de répondre par l'affirmative : toujours ces instrumentaux biscornus et solennels, toujours ce refus catégorique de ne se cantonner qu'à un seul genre quand il en reste tant à explorer, ces mêmes accents inquiets, de plus en plus loin du pré-carré hip-hop originel, empruntant autant aux musiques industrielles, au drone qu'à l'ambient teintée de reliquats noise et urbains. En revanche, là où Guilt Surveillance jouait la succession d'une multitude de plages multicolores (enfin, pour être tout à fait juste, coincées entre le noir et le gris clair quand même) n'ayant pratiquement aucun point commun entre elles en dehors de leur noirceur extrême, Scholar Drugs assène un instrumental unique et massif qui ne s'achève que le temps de retourner la cassette. Une seule plage d'une demi-heure qui tranche parfaitement avec le jaune de la pochette tant FRKSE est allé explorer les recoins les plus sombres de sa psyché qui s'avèrent être probablement les nôtres aussi (ce qui ne rassure pas). 

Difficile de rentrer dans le détail du morceau car celui-ci mue incidemment, FRKSE travaillant par empilements successifs de micro-détails tout en maintenant leur répétition. Porté par un beat lent, monolithique et profond, chargé d'écho, OX1, le premier quart d'heure, bourdonne dès les premières secondes et accumule successivement, de longues minutes durant, nappes moribondes et stridences tarabiscotées. L'ossature du morceau est assez simple à bien y regarder mais Rajbot maîtrise si bien son sujet que ces quelques éléments suffisent à poser une ambiance poisseuse, opaque et flippante. Et particulièrement prenante aussi. Car l'une des grandes forces de Scholar Drugs, c'est sa capacité à maintenir l'auditeur dans un état de transe étrange, dans un mouvement qui le pousse à l'intérieur de lui-même. Un genre d'implosion sensorielle et mentale qui érige quatre murs bien épais, tout à la fois gagnés par le salpêtre et zébrés de traces d'usure, tout autour du cortex. Un groove malade et patraque, opiacé, dans le même temps malaisé et accueillant. 

Bien sûr, OX2 poursuit le chemin d'OX1 et on pourrait d'ailleurs commencer à écouter n'importe laquelle des deux plages par n'importe quel bout, à n'importe quel moment, que la musique de FRKSE garderait sa cohérence et sa structure. Et on a beau être familier de son travail, écouter plus que régulièrement les deux précédents, se lover dans les bras de Shiva de l'éponyme ou se perdre dans le blanc immaculé de Guilt Surveillance, on est encore une fois surpris de se laisser surprendre par les entrelacs sinueux et amalgamés du beatmaker où drones et synthés se cherchent des crosses sur fond de drum machine. Braquant la barre cette fois-ci du côté ambient de son inspiration noise cabossée et semble-t-il sans limites, FRKSE livre-là, comme à son habitude, quelque chose de surprenant et pour tout dire d'assez fascinant.

J'avais peur de me répéter en débutant cette chronique, mais c'était mal connaître l'animal. Il pourrait sortir dix albums par an qu'à chaque fois, les mots ne seraient de toute façon pas les mêmes. I Had An Accident Records poursuit le chemin d'une musique toute aussi intransigeante que protéiforme et FRKSE est son prophète.

Grand.

leoluce

mercredi 27 juin 2012

To Travel Without Any Certain Destination - s/t


Date de sortie : 19 juin 2012 | Label : Signifier

L'intitulé n'est pas anodin. Cet album trace des chemins fortuits vers des espaces que l'on explore avec une pluralité d'émotions. L'homme qui se tient derrière ce projet se nomme Manos Chrisovergis. Le Grec est probablement plus connu de certains sous les noms de Last Days of S.E.X., son projet rhythmic noise, ou de Libido Formandi, davantage porté sur l'industriel, dont les albums, et notamment le très bon Insignificancy Risings en 2011, sont parus chez Hands Production. Les versants que sonde ce premier album de To Travel Without Any Certain Destination adoptent des teintes plus ambient et un brin plus expérimentales qu'auparavant. Chrisovergis a ainsi choisi Signifier, le jeune label de Shannon Malik qui signe sa cinquième sortie pour 2012 – le Moments In Time de The Carapace avait déjà marqué les consciences.

L'ouverture de ce disque ne laisse que peu de doutes sur l'atmosphère dont il est fait. Les ombres sont graves et leur présence, totale. Sans être putride, l'air que l'on respire est celui des caves, des faubourgs et des forêts moites. Chrisovergis incorpore avec finesse ses divers ingrédients, aux nappes charnues s'ajoutent des textures crissantes et industrielles, les field-recordings et les incursions de guitare interviennent ponctuellement, et la rythmique oscille entre cheminement downtempo et impulsions tribales. Parmi les contrées et recoins parcourus, certains peuvent s'avérer escarpés. Percé de signaux menaçants et sourds, By No Means (Of Transportation) Necessary dessine des breaks fracturés et brûle d'une froide frénésie. Les territoires imprévus que l'artiste se plait à visiter et à décrire ont ceci d'indéniable qu'ils concernent souvent la ville. Les lueurs vacillantes que TTWACD allume au sein de ses titres, les murmures frémissants et le sentiment d'isolement parmi la multitude renvoient directement à une dimension urbaine et grise (Guided By City Vibes). L'indolente répétition des percussions concrètes (Being Lost) pourrait presque évoquer le roulis constant d'individus et de véhicules comme pouls d'une chimérique mégalopole.

Obscurs et paisibles, occultes et familiers, les états dans lesquels plonge cet album célèbrent l'ambivalence. La noirceur ne se fait jamais absolue, laissant, au gré d'une bribe de guitare, s'échapper quelques halos rassurants et autres fragments d'une poésie plus blanche. L'auditeur traverse l'oeuvre comme un étranger arpente un territoire sans être pour autant dépossédé de ses repères. Difficile de définir le ou les genres qui s'entrecroisent en son sein, expé, indus, un peu d'ambient... et puis quoi ? Pourtant impossible d'être complètement dérouté lorsque grondent ces drums qui semblent échappées d'un lointain trip-hop et s'être infectées en route, ni même lorsque le beat, porté par d'enveloppantes vapeurs, se fait cotonneux et plissé.

Avec cet album, Chrisovergis élargit son spectre artistique de façon remarquable. Dans mon cas et sans pouvoir en expliquer la raison, le premier sentiment que procura cet album fut la curiosité. Une fois intrigué, c'est avec délices que l'on pénètre dans les dédales sous-terrains, que l'on emprunte les corridors et entrebâillements qui ponctuent la route et qu'enfin on se perd, une fois parvenu à cette splendide et nébuleuse destination. L'artwork – une photographie de Danae Renieri – n'aurait pu être mieux choisi. Le mystère et les brumeux recoins sont la substance même de l'oeuvre éponyme de To Travel Without Any Certain Destination. Très belle exploration. 

Manolito


dimanche 24 juin 2012

Trapist - The Golden Years


Date de sortie : 17 mai 2012 | Label : Staubgold

C'est assez étonnant, on dirait que le disque hésite à commencer...

Deux notes cristallines de guitare,

un long silence,

deux notes à nouveau, 

un long silence,

deux notes, 

silence,

deux notes, 

rien,

deux notes cette fois-ci rejointes par des cymbales, une caisse claire et tout un tas d'instruments (pêle-mêle, un violoncelle menaçant, une forêt de percussions, de la distorsion, des effets électroniques et plus tard, un piano, un vibraphone) puis l'orage s'achève tout aussi brusquement qu'il était apparu et cède la place aux peaux, au violoncelle et à la guitare qui tisse sa toile lentement, prend le temps de lancer ses notes et ses arpèges et fait durer ceux-ci longuement, divaguant ainsi jusqu'à la fin du morceau, faisant d'abord jeu égal avec le silence puis laissant ce dernier s'installer définitivement.

Le silence...

C'est la grande affaire de The Golden Years. Le silence et la lenteur aussi. Car il faut imaginer que cette architecture est développée sur plus de huit minutes et que le trio semble être animé par la volonté de ne pas vouloir se faire entendre, ce qui rend chacune de ses interventions pour le moins tonitruante. Jouer du silence. Une sacrée gageure quand on y pense. Et Trapist s'en sort vraiment bien, rappelle de loin Karate (époque Unsolved puis tous les albums suivants) ces mêmes accents jazz, ces mêmes morceaux ténus jusqu'à l'épure avec une guitare beaucoup moins bavarde toutefois, ce qui est plutôt à porter à son crédit. Le trio dégrossit ses compositions, les polit jusqu'à ce que leur surface soit aussi fine que du papier de soie, aussi transparente, laissant ainsi le silence infuser de toutes parts. Même sur The Spoke And The Horse, drone et un brin expérimental, Trapist garde son rythme et ses cassures, et le morceau a beau être bien plus dense, son squelette s'évapore pourtant progressivement devant les multiples assauts d'un silence bien présent qui finit par tout envelopper une fois encore. Et il en va ainsi sur tout le reste du disque, c'est-à-dire les deux morceaux suivants que l'on ne détaillera pas, simplement peut-on dire que le troisième résume les deux premiers et que le quatrième retrouve les drones du second quatorze minutes durant, en ménageant toutefois de multiples aérations qui viennent désagréger la surface de sa masse sonore. Déliquescent, Walk These Hills Lightly ne tient plus que par le souffle des microprocesseurs et des amplis, un souffle qui envahit tout, la moindre parcelle de vide et qui préfigure le silence définitif qui marque la fin du disque.

À la croisée de multiples courants, The Golden Years semble encore une fois hésiter : ambient, jazz, drone, rock, tout cela à la fois et il ne s'agit nullement de jouer l'un avec les instruments des trois autres, Trapist n'amalgame pas et passe simplement de l'un à l'autre, souvent dans le même morceau. Sa musique n'est pas hybride, elle refuse simplement de choisir, aussi à l'aise dans les errances arides à la Earth, le mouvement immobile cher à Low, l'abstraction en dents de scie d'un Meursault et que sais-je encore mais ce qui est intéressant, c'est que le trio finit par ne ressembler qu'à lui-même. Ce qui frappe aussi, c'est le côté désincarné de l'ensemble. Tout comme ces tentes vides perdues au milieu des arbres qui ornent la pochette. On a plus d'une fois l'impression qu'aucun être humain ne joue cette musique ou ne l'habite. En dehors du nom des trois musiciens au verso, Trapist ne donne aucune information, aucune clé, portant sans doute sa musique au-dessus des individus qui la composent. Pour autant, celle-ci n'est pas déshumanisée, elle est même terriblement vivante mais semble bien plus attirée par les micro-détails que par les événements.

Troisième disque de Trapist (c'est-à-dire les quatre cordes de Joe Williamson, les six de Martin Siewart qui s'occupe également de l'électronique et les balais ahurissants d'élégance de Martin Brandlmayr) après un Ballroom en demi-teinte en 2004 chez Thrill Jockey, The Golden Years, en retrouvant l'équilibre fragile de son premier long format (Highway My Friend, 2002) ne pouvait mieux porter son nom et si l'on ne sait absolument pas à quel prétendu âge d'or le trio fait ici référence, ces quatre morceaux semblent effectivement en provenir. À chaque fois, il s'agit bien sûr d'instrumentaux, véritables hymnes au silence, aux infimes variations que l'extrême lenteur de cette musique permet de détailler. Ils enveloppent l'auditeur et son espace jusqu'à les perdre complètement. Très vite, on ne prend plus garde à la structure, on ne se raccroche plus à aucune ossature et on se laisse surprendre par les arpèges délicats de la guitare, par le jeu extrêmement fin des balais, par le grondement sourd et discontinu du violoncelle, on s'enferme dans les morceaux, on oublie, on ne pense plus, on voyage. Bien sûr, on ne peut pas vraiment dire que Trapist marque par sa grande originalité, mais l'exécution est à tel point maîtrisée, l'effacement si efficace, le silence si assourdissant que l'on laisse le trio tout désintégrer consciencieusement : le temps, l'espace avec nous dedans et pour finir, sa musique.

Légèrement abstrait, un poil expérimental, un peu post, un peu rock, un peu jazz, le groupe semble vouloir composer une musique que l'on n'entendrait pas, une musique invisible et inaudible à force d'effacement qui mettrait en valeur le temps qui passe, les secondes qui s'égrènent irrémédiablement et à maintes reprises au cours de ces quarante minutes, The Golden Years n'est pas loin d'y parvenir.

Dans ce disque, personne ne vous entendra crier.

Jubilatoire.

leoluce

samedi 23 juin 2012

Marielle V Jakobsons - Glass Canyon


Date de sortie : 12 juin 2012 | Label : Students Of Decay

Entendue cette année sur l'éponyme de Portraits, supergroupe drone emmené par le grand Jefre Cantu-Ledesma, Marielle V Jakobsons n'en est pas à ses premières armes en termes de collaborations. Moitié des duos électro-acoustiques Date Palms (en compagnie d'un certain Gregg Kowalsky aka Osso Bucco) et Myrmyr (avec Agnes Szelag de Dokuro), la Californienne qui enregistre par ailleurs en solo pour le label Digitalis - émanation du webzine Foxy Digitalis que les amateurs de musiques expérimentales que vous êtes apprécient sûrement - livrait ainsi en février dernier le bien-nommé Improvisations For Strings And Electronics avec sa complice de Myrmyr et la Suédoise Helena Espvall au violoncelle, dans un registre résolument dramatique et torturé qui fait la part belle aux gémissements des crins.

Néanmoins, si ces diverses formations et associations la voient essentiellement officier au violon, son instrument de prédilection dont elle tire stridences épileptiques et rêveries capiteuses avec une égale maîtrise, l'expérimentation électronique s'avère être un terrain tout aussi propice aux créations de la native d'Oakland, adepte d'une narration abstraite à la fois hypnotique et mouvante sous le pseudonyme de Darwinsbitch et désormais, comme ici, sous son véritable patronyme.

Balayé par des vents cosmiques charriant des ondées d'infrasons cristallins, Purple Sands, premier titre de ce Glass Canyon édité par le sous-label Students Of Decay de l'éminent distributeur Experimedia, déploie avec la patience de ses pulsations sourdes une plage de basses saturés et de bourdonnements subsoniques sur laquelle viennent s'échouer des vagues de larsens et de cordes frottées, avant de les livrer en offrande au néant sous le patronage d'un clavier empreint de gravité. D'entrée, le mélange de minimalisme instrumental et de complexité tonale qu'affectionne l'Américaine atteint des sommets de grâce crépusculaire et témoigne d'une ambition nouvelle, celle de remodeler l'Univers à sa convenance.

Marielle V Jakobsons n'est plus la catin de Darwin, encore moins celle de Copernic, et des loops de violon sur lit d'oscillations pulsées du lyrique Crystal Orchard aux déferlantes statiques du ténébreux Shale Hollows en passant par les synthés rampants de l'inquiétant Cobalt Waters ou la nébuleuse stellaire du magnétique Albite Breath levant le voile à lui tout seul sur l'imposture d'un Oneohtrix Point Never, il s'agit ni plus ni moins que de réinventer la cosmogonie : au gré du mouvement des planètes et de l'extinction de astres, à la lueur des naines blanches et des supernovae, comme pour tenter de sauver ce qui peut encore l'être dans un dernier élan de miséricorde démiurgique pour une Création chaque jour un peu plus décevante.

Avec une lenteur consommée, l'album déroule son écheveau de motifs répétés, naissant des poussières immémoriales de la grande expansion séminale avant de s'évaporer dans quelque trou noir pour mieux refaire surface dans une dimension parallèle, à la frontière de notre perception. D'épiphanies obscures en méditations fatalistes, ce canyon de verre se révèle aussi imposant et fragile à la fois que l'équilibre de notre univers. Un système qui vit, respire, espère et craint la mort à l'image de Dusty Trails dont le cœur bat au rythme des arpèges fervents d'un piano préparé et des frottements martiaux d'un violon résigné, bientôt soutenus par un beat sourd et métronomique pour accompagner synthés et vibrations spatialisées jusqu'à leur inévitable anéantissement. Rarement Big Crunsh musical aura été aussi envoûtant.

Rabbit



Trois titres de l'album en écoute :


mercredi 20 juin 2012

Jon Porras - Black Mesa


Date de sortie : 17 avril 2012 | Label : Thrill Jockey

Le mois de mai fut décidément chargé pour les deux soundscapers de Barn Owl. D'un côté, on vous parlait sur IRM d'Evan Caminiti, par ailleurs moitié du duo psyché/drone Higuma avec Lisa McGee (aka Vestals, fascinant projet post-shoegaze dont le premier album Forever Falling Toward The Sky vient justement de voir le jour chez Root Strata) qui déroulait en solo son manteau de nuit doublé de vents sableux, de zébrures statiques et de disto incandescente sur l'onirique Night Dust, annonçant même pour août prochain chez Thrill Jockey, label d'adoption de la paire stoner/drone de San Francisco, un certain Dreamless Sleep qui pourrait bien s'avérer du même acabit en plus éthéré et lumineux (allez, jouons franc-jeu, on l'a écouté et c'est effectivement le cas).

Mais de l'autre, c'est finalement Jon Porras (Elm) qui retient toute notre attention du moment avec Black Mesa, album-concept à la fois romanesque et métaphysique autour d'un hors-la-loi s'enfonçant dans le désert à la recherche d'un passage vers d'autres mondes. Selon la théorie du multivers exploitée par nombre d'auteurs de science-fiction, de Philip K. Dick à Warren Ellis, la Black Mesa serait en effet une sorte de "sas" entre plusieurs dimensions, à l'image de la Chambre Rouge bien connue des fidèles de Twin Peaks. En parlant de Lynch, difficile d'ailleurs ne pas penser à Elephant Man autant qu'à Eraserhead lorsque l'aventurier en question, le visage recouvert d'un linceul délabré sous un chapeau de feutre, sort d'un mystérieux tunnel aux allures de puits d'ombres pour invoquer quelque étrange maléfice dans la vidéo d'Into Midnight, aux images noir et blanc granuleuses et tremblotantes digne d'un film muet d'antan :


Car pour les guérisseurs kallawaya, population nomade des Andes, la "mesa negra" est aussi un rituel destiné à chasser le mal et susceptible de se changer en magie noire pour peu que le chaman qui la pratique nourrisse de plus sombres desseins. Chacun sera donc libre d'interpréter les instrumentaux du Californien comme il le souhaite, avec pour seuls guides ses propres sensations et des titres en forme de chapitres qui voient se succéder visions lunaires, mirages à la chandelle et feux de camp au crépuscule jusqu'à la levée du voile sur un insondable univers parallèle (Beyond The Veil).

Black Mesa étant, enfin, le nom que portent une quarantaine de sommets montagneux, notamment dans l'Arizona et au Nouveau-Mexique, ces multiples références voulues ou non par le musicien font également sens à un degré de lecture plus abstrait lorsque l'on écoute ces sept compositions ambivalentes et habitées, plus que jamais marquées par une fascination pour les errances mystiques et les paysages de désolation à la croisée des méditations bluesy de Ry Cooder et des évocations fantasmagoriques de Popul Vuh - Porras se réclamant en outre de Sandy Bull et de Neil Young pour son jeu de guitare à la fois aride et cinématique dont l'évidence fait merveille, entre autres, sur le scintillant Blue Crescent Vision ou la deuxième moitié de l’halluciné Desert Flight :


Enregistrés à domicile sur une dizaine de mois, ces sept astres noirs ont semble-t-il permis à l'Américain de renouer avec une approche plus classique de la composition, mais si l'improvisation drone, au regard des marées d'écume tout en saturations solaires de l'immersif Undercurrent (2011), passe ici au second plan des compositions plus mélodiques à la guitare électrique, les montées en intensité sont toujours bien présentes, croisant les influences d'un post-rock aux trémolos hypnotiques, d'un drone-doom psychédélique au fuzz menaçant et d'un stoner-folk résolument atmosphérique. Autant dire que Barn Owl n'est pas loin, surtout quand des rythmiques sourdes se mettent en branle sur Into Midnight ou Into The Black Mesa, manifestations martiales d'un destin inéluctable dont notre voyageur au doux surnom de "spectre du désert" n'aura fait que précipiter l'issue énigmatique.


Quant au reste du disque, il s'écoute librement sur le site de Thrill Jockey, comme toutes les sorties du label chicagoan de Tortoise, Oval et Trans Am. "Je pense que quand les gens peuvent écouter les albums, ils ont tendance à les acheter", suppute sa patronne Bettina Richards. La politique étant des plus généreuses pour une écurie de cette envergure, on compte sur vous pour lui donner raison en cas d'affinité.

Rabbit

mercredi 13 juin 2012

FluiD / John 3:16 - The Pursuit Of Salvation


Date de sortie : 19 mars pour la sortie vinyle, 25 mai pour la sortie digitale | Label : Alrealon Musique

L'idée-force à l'œuvre ici, bien plus que la confrontation, semble bien être le contraste. Contraste entre le tout électronique de FluiD et l'organique-synthétique de John 3:16. Contraste entre une forte appétence pour les cieux et le désir forcené d'explorer la fange, entre ces mélodies célestes et leurs soubassements bien plus inquiétants. Contraste entre des morceaux hybrides et un peu plus longs qui dévoilent leur ossature dans la répétition et d'autres brefs et tranchants qui suggèrent l'essentiel en quelques minutes à peine. Et même si le diptyque de John 3:16 arrache une poignée de secondes aux trois morceaux de FluiD, le temps de parole est somme toute réparti équitablement. Enfin, pour être tout à fait juste, de paroles, il n'y en a guère et pourtant une profusion d'images mentales envahissent la boîte crânienne dès lors que The Pursuit Of Salvation est lancé. Et celles-ci ne sont pas jolies-jolies tout en étant parfaitement superbes. Les contrastes évidemment. 

Tout en étant majoritairement introspective, voire mystique, la musique issue de cette rencontre ménage son lot de chausse-trappes et de paradoxes et c'est précisément ce qui la rend si singulière et attirante. Le climat général est d'ailleurs bien difficile à définir : inquiet, indéniablement mais aussi lumineux et franchement mystérieux. Dans un premier temps, les morceaux semblent recouverts d'un voile cotonneux qui uniformise leur surface et atténue les forces qui les habitent. Un voile délicat que la production parfaitement claire a tôt fait de déchirer, laissant alors apparaître quelques détails de leur architecture et celle-ci, curieusement, est plutôt contondante. Ainsi, du magnifique Angels Pt. II que balance FluiD dès l'entame, on ne retient d'abord que les quelques notes de piano rehaussées de nappes incisives et solaires puis, petit à petit, alors que l'on laisse notre oreille fureter le long du spectre, on accroche ici et là quelques chœurs habités, le rythme étrange que donne à entendre une lame aiguisée avec un soin inquiétant, des cloches sépulcrales et sans que l'on s'en soit rendu compte, le piano s'est mué en violoncelle.

Même chose du côté de Plague, purement sombre, sec et électronique, dynamité sur sa fin par un orgue morbide et profond que l'on n'attendait pas. Un titre qui envoie les pensées dans quelque catacombe grouillante avant de les projeter au cœur de la nef d'une quelconque église abandonnée. Et puis les voix trafiquées de Forewarming parachèvent cette première moitié et nous plongent dans des abîmes de perplexité : de prime abord on ne les entend pas puis on finit par se rendre compte que ce sont elles qui fournissent la pulsation et le proto-rythme du morceau. Une respiration étrange et pour tout dire, assez effrayante. Ce qui fait la force de ces trois morceaux, c'est qu'ici rien n'est jamais trop appuyé, tout au contraire, les émotions sont suggérées avec une grande finesse et si l'on savait FluiD capable du meilleur depuis son Duality inaugural de 2010 le voyant amalgamer dans un même élan hip-hop métissé, noise et dub le moins que l'on puisse dire c'est que la subtilité dont il faisait preuve déjà, mais qui n'avait sans doute pas été mise en avant jusqu'ici comme cela, lui sied parfaitement. 

En seulement trois morceaux, The Pursuit Of Salvation est déjà une incontestable réussite, mais en les confrontant ainsi aux deux suivants, le disque franchit un palier qui en fait un chef-d'œuvre miniature (eu égard à la trop courte durée de l'ensemble). Pour être tout à fait franc, je découvre le travail de John 3:16 avec cet EP mais les deux morceaux dont cette entité nous gratifie m'ont très vite poussé à découvrir le reste de sa discographie (quelques EP et longs formats disséminés ici et là et par extension Heat From A DeadStar, formation dont ce Suisse est guitariste mais qui me touche moins). Et alors que FluiD explore les méandres d'une spiritualité qui serait avant tout synthétique, la mystique de John 3:16, même si elle garde les mêmes intentions, est avant tout organique. Les motifs de guitare répétés et répétés encore s'érigent sur un socle synthétique joliment modelé, le tout s'imbrique parfaitement, s'emboîte et s'empile pour rendre God Is Light  terriblement addictif alors qu'en soi, le morceau n'est pas vraiment des plus faciles. 

Pourtant ces six minutes et quelques filent comme le vent, suggèrent énormément et poussent à l'introspection. Transcendé par sa musique, John 3:16 semble en lévitation tout du long et dans le même temps, au bord du précipice, les yeux exaltés, la bouche sèche et le sourire aux lèvres et l'on se dit qu'il n'était nul besoin d'appuyer à ce point le message (un pseudonyme qui fait référence au quatrième évangile de Jean, chapitre 3, verset 16, «For God so loved the world, that he gave his only begotten Son, that whosoever believeth in him should not perish, but have everlasting life», ce genre, pour un titre qui s'intitule God Is Light, claquant comme un sermon dont on n'a que faire) quand on peut se perdre et mettre ce que l'on veut derrière les notes ténues et profondes d'un tel titre habité. D'autant plus que le suivant, Toward The Red Sea, n'est pas en reste et pousse même le bouchon encore plus loin, donnant à entendre une sorte de dialogue intérieur que l'on fait immédiatement nôtre, empilant une multitude de sons épars (chœurs illuminés, percussions majestueuses, guitares plombées et fuyantes, nappes solennelles, monologues déformés) qui s'accordent pourtant parfaitement (miraculeusement ?).

Et il n'est absolument pas question d'avancer que les deux titres de John 3:16 supplantent les trois de FluiD. Ce qui fait la grande réussite de The Pursuit Of Salvation, c'est bien la confrontation de deux mysticismes bien différents : alors que la ferveur de l'un emprunte des voies plus abstraites, celle de l'autre est plus directe mais les deux touchent également. Et puis, à bien y regarder, on est quand même loin de la dévotion jusqu'au-boutiste et bêtifiante et à chaque fois qu'un morceau se fait trop explicite, un son glauque, une nappe moribonde ou encore une voix flippante vient immédiatement suggérer le contraire. Et l'on comprend bien mieux l'artwork qui présente certes une aile d'ange côté pile mais aussi celle d'un démon côté face, manière de souligner qu'au cœur de chaque pièce se jouent des choses bien plus complexes que leurs titres ne le laissent entendre de prime abord. Et puis à vrai dire, on se fout un peu du message (si message il y a, rien n'est moins sûr) et ce qui nous intéresse est bien l'essentiel : ces cinq morceaux ne font regretter que leurs trop courtes vingt-cinq minutes et l'on a beau s'enfiler des tonnes de disques déglingués, celui-ci se place sans peine en haut du panier. On attend donc la suite avec impatience, en espérant que cette fois-ci, bien plus que de confronter leurs instrumentaux comme à leur habitude (d'ailleurs, je ne saurais trop vous conseiller de jeter une oreille sur Guardian, leur première rencontre), Chris Gilmore et Philippe Gerber se confrontent dans le même morceau.

Quel pourrait être le fruit de leur collision ?

Dieu seul le sait.

Exceptionnel.

leoluce



First Dog To Visit The Center Of The Earth - Corecore


Date de sortie : 15 mai 2012 | Label : Debacle Records

Suite aux remarques d'un éternel mécontent en manque de glauquitude et de putréfaction, on s'était auto-challengé via facebook d'évoquer dans notre prochaine chronique une guirlande de morts-vivants pendus à une boule à facettes. Heureusement il y a Debacle pour nous livrer clés en main le dancefloor pour zombies et l'électro déliquescente qui va avec. En cherchant bien, on aurait certainement pu trouver quelque chose d'amorphe et vorace en état de décomposition avancée du côté de Field Hymns ou I Had An Accident mais avouez que le premier chien à visiter le centre de la terre, ça a quelque chose d'alléchant. Surtout quand l'animal lui-même s'en pourlèche les babines, montrant les canines sur la cover crépusculaire d'un album n'ayant guère d'ouvert que la mâchoire béante du bestiau en question.

Car les instrumentaux de Corecore, référence à peine ironique aux fameux sous-genres de musique extrême qui pullulent à core et à cris et n'ont bien souvent plus de hardcore que le suffixe, sont pour le moins du genre abscons. D'emblée, à entendre les pulsations et autres pianotages polyrythmiques d'un Igneous aux entrelacs minimalistes et décadents, on se dit que Californien Jack Rodriguez - dont on pouvait déjà découvrir via Bandcamp une flopée d'albums aux covers aviaires joyeusement repeintes à l'acide - a retenu les leçons d'Add N To (X) ou Mouse On Mars aussi sûrement que celles de Black Dice, autant dire que ça n'est pas parce qu'on parle de dancefloor qu'il faudra s'attendre à pouvoir remuer librement sur ses deux pieds. Du dadaïsme synthétique des groupes sus-mentionnés aux fiestas vaudou du méga-fossile Amin Dada dans son sépulcre saoudien, il n'y aurait apparemment qu'un saut dimensionnel mineur qui s'assimile pour First Dog To Visit The Center Of The Earth à la préhistoire de l'art.

D'ailleurs, on imagine que son hardware aussi a de la bouteille, des synthés offerts aux Mayas par leurs copains grisâtres aux yeux vitreux et aux vaisseaux pyramidaux pour rythmer leurs sacrifices humains et mettre un peu de cœur à l'ouvrage avant ablation de l'organe du même nom (Earthlectro), ou plus tard aux alligators en toge du KKK pour mettre le feu aux berges du Mississippi dans la haine raciale et la bonne humeur. Précisons qu'au Crétacé déjà, en période de disette, les grands théropodes évacuaient leurs instincts carnassiers en tapotant sur des machines en bois cisaillées sur-mesure à coups de maxillaires, de quoi expliquer l'étrange atrophie des membres antérieurs des ancêtres de nos traders aux dents longues et leur extinction prématurée avec l'arrivée du proto-mp3 sur plaque de silicone en l'an 65 000 000 avant Cubase.

Mais trêve de digressions éducatives, après cette parenthèse historique qui nous permet d'y voir plus clair sur l'obscurantisme synthétique à travers les âges, concentrons-nous un moment sur les bizarreries de l'album. Croyez-le ou non, d'un premier degré d'invraisemblance indissociable du label de Seattle dont nous décortiquions le mois dernier les fantasmagories anxiogènes et droguées de Vertonen & At Jennie Richie, découle en effet un second niveau de folie propre à l'univers du beatmaker de Temecula (la ville, pas la boisson vitaminée pour Dracula sous temesta qui doit certainement exister, quelque part), aboutissant lui-même à un troisième échelon de totale déraison sur des titres tels que Final Future, qui ressemble vaguement à ce qu'un programmeur de chez Nintendo à l'époque de la NES aurait pu qualifier de future bass après un travail réalisé sous l'emprise du saké tiède, The Long Job avec son groove bancal, ses carillons bouddhiques et autres mélodies acides vrillées d'interférences sursaturées, ou encore Timezone, unique plage ambient aux allures de rencontre du troisième type dont les grouillements statiques semblent irradier d'un faisceau d'ondes ionisantes pointé depuis l'espace sur nos chères têtes blondes estampillées "produits frais".

Autant d'influences qui finiront après quelques réticences, au terme du diptyque Sleep Parade habité d'une ferveur minimaliste digne d'un Dan Deacon en plein bad trip, par se télescoper sur la piste incandescente d'Also I Feel Like pour sept minutes et demie de transe gueule de bois à danser sur la tête. Un dernier sursaut de grégarisme primaire pour conjurer le désespoir, ce Corecore en définitive plus névrotique que ténébreux ne pouvait se conclure autrement. Le futur est laid, le non-sens règne en maître, les alternatives n'ont ni queue ni tête et les derniers punk arborent un faciès de clown triste : la fête, qu'on se le dise, sera décrépie ou ne sera pas.

Rabbit

dimanche 10 juin 2012

Witxes - Sorcery/Geography


Date de sortie : 8 mai 2012 | Label : Humanist Records

La première fois qu'on a entendu Maxime Vavasseur, c'était à la guitare au sein du combo post-metal СОЛЯРИС (prononcer "Solyaris") remarqué en 2010 pour sa participation à la prestigieuse compilation Falling Down II, dans la foulée d'un EP instrumental aussi tendu qu'élégant toujours téléchargeable librement via Bandcamp. Auparavant, il y avait eu Haunted Candy Shop et le beau Pray For A Light To Come In (2006) qui voyait déjà le futur Witxes lorgner ponctuellement sur un post-rock atmosphérique voire même des prémices drone-ambient, entre deux ballades chamber pop entrecoupées de saillies électriques influencées par les hymnes lyriques de Jeff Buckley ou du Radiohead de The Bends.

Ces deux expériences de groupes passés à côté du succès ne sont sans doute pas pour rien dans le choix du Lyonnais de se lancer en solo en 2010 avec Scrawls #01, fausse compilation et vrai coup de maître à la croisée d'un drone sismique et d'une ambient plus éthérée. Exit le chant et les rythmiques, même les guitares s'y faisaient plus discrètes, Maxime optant dès lors pour une matière première constituée de nappes analogiques et de fied recordings maltraités pour un résultat à la fois massif et impressionniste, tantôt saturé et oppressant ou plus délicat et contemplatif.

Vu sur scène à l'époque en première partie de Tim Hecker, on avait ainsi décelé en Witxes un potentiel héritier du Canadien, supputation confirmée par les 26 minutes grondantes et radiantes de l'EP Winter Light Burns sorti en début d'année sur le netlabel Feedback Loop du Portugais Leonardo Rosado. Mais si l'auteur d'Harmony In Ultraviolet s'est dernièrement éloigné de l'inspiration plus monolithique qu'on lui connaissait avec l'acclamé Ravedeath, 1972 qui faisait l'an dernier la part belle à la mélancolie nébuleuse et hantée d'un piano préparé (et semble avoir marqué à son tour de sa fascinante instabilité tectonique le titre Thirteen Emeralds de ce Sorcery/Geography), la mue s'avère encore plus radicale pour Witxes, dont les murs de son laissent désormais place à des compositions plus amples et arrangées, nourries à l'acoustique autant qu'au jazz.

Sorcery/Geography... on trouvait justement sur l'artwork de Scrawls #01 une série de "coordonnées magiques", comme pour localiser les divers espaces imaginaires évoqués par les instrumentaux de l'album... à moins qu'il ne s'agisse tout simplement des lieux où les morceaux ont vu le jour, les positions étant toutes situées entre Paris et Lyon. Quoi qu'il en soit, le concept de ce nouvel opus se révèle identique (avec un détour par Brisbane, fief de Lawrence English qui s'est chargé du mastering et de son fameux label Room40), celui de cartographier un univers fantasmé se jouant plus que jamais des frontières entre rêve et réel, sound design et instrumentation, textures et mélodies, narration et abstraction.

Lors d'une récente interview accordée à Noise Mag, Maxime laisse imaginer l'importance qu'a pu avoir Talk Talk sur son parcours musical en solitaire. On aurait aussi bien pu citer Gastr Del Sol (pour le dépouillement quasi atone du piano sur fond d'interférences glitch de Dead Reckoning), Labradford (pour l'élégance des guitares aériennes d'After The Horsefight) voire Bohren & Der Club Of Gore (pour le spleen jazzy aux effluves rétro de Somewhere), mais il est vrai qu'à quelques semaines de la sortie d'un tribute très attendu aux contributeurs prestigieux, on se prend à rêver, à l'écoute de l'ambitieux Unlocation et de ses cascades de percussions en liberté, à ce qu'aurait pu donner Myrrhman ou New Grass à la sauce Witxes (et plus généralement à une tracklist où les ténors de l'ambient "organique" d'aujourd'hui se tailleraient la part du lion).

Car l'album entier, à l'image des précurseurs anglais du post-rock sur le cultissime Laughing Stock - et de Scrawls #01, déjà, à sa manière - joue du contraste entre pics d'intensité aux arrangements foisonnants, une dramaturgie qui culmine sur la tension cinématique et anxiogène de The Reason, et respirations plus épurées où la simplicité des mélodies reprend le dessus. Le disque se termine ainsi sur le face-à-face guitare/voix du bluesy No Sorcerer Of Mine prônant l'effacement, la disparition à la façon de Mark Hollis... sur un certain Runeii ? Au fil des titres, il aura été question de raison mais aussi d'un sorcier, d'un quelque part et d'une non-location, de canyon improbable et de dunes d'acier, de calcul mort et de science erronée. Mais des empilements de saxo narcotiques de Canyon Improbable aux mirages solaires et chancelants de Misscience en passant par les abysses interstitielles de The Reason, Sorcery/Geography tend avant tout à confronter mystique et rationalité pour mieux les concilier dans les fumerolles bucoliques de sa pochette.

Un voyage initiatique qui ne pouvait aller sans quelques moments d'angoisse existentielle pour l'auditeur, mais finit par lui offrir au terme des errements synthétiques de Dunes Of Steel l'opportunité de toucher du doigt le genre de révélation qui a conduit plus d'un sculpteur d'Olympe sonique à la retraite monastique anticipée, de Dave Pearce à Stina Nordenstam en passant évidemment par l'archange Mark Hollis en personne : Dieu, en musique, est dans la main de celui qui a foi en l'humanité mais ne joue que pour lui-même.

Rabbit