lundi 31 décembre 2012

"A Noise At The End Of The Tunnel", la première partie de notre compilation en libre téléchargement


Amateurs d'IDM, de noise, de dark ambient, de drone, d'indus, de doom metal ou autres univers sombres et sans concessions qu'arpente le blog depuis sa création en février dernier, la voici enfin cette plongée âpre et cinématographique dans les tréfonds d'un puits d'angoisse et de mystère que nous vous promettions depuis le lancement de la série d'interviews chagée d'annoncer ce gargantuesque projet de compilation.

Transmissions From The Heart Of Darkness, car du cœur des ténèbres irradient d'inquiétantes transmissions que nous vous invitons à suivre pour découvrir qui sait, sous les scories, quelques-uns de ces joyaux enfouis que nous défendons et qui nous ont fait l'honneur ici de compositions inédites. Plus d'une soixantaine d'artistes originaires d'une quinzaine de pays pour une BO imaginaire en 5 parties, pas une de moins : celle d'une histoire pas encore écrite et qui aura finalement pris corps sous la plume romanesque d'Alister et les pinceaux digitaux de Lou Nugues.

A Noise At The End Of The Tunnel, le premier volet, se télécharge ainsi dès aujourd'hui via Bandcamp au format de votre choix, incluant l'artwork et le premier chapitre de la nouvelle du même nom en français et en anglais. A ce titre, outre les artistes qui furent nombreux à nous faire confiance, nous tenons tout particulièrement à remercier Alister, Franck Périgny pour la traduction, Lou Nugues bien sûr, également auteur de notre bannière, et Giovanni Roma aka Gianni Blob qui s'est gracieusement chargé du mastéring de l'ensemble.

En espérant que le résultat vous plaise autant qu'à nous, l'équipe de DCALC vous souhaite comme il se doit une obscure et perturbante année 2013 !

Interview from the heart of darkness : 10/ Alexandre Navarro



Alexandre Navarro, on l'avait déjà interviewé sur IRM autour de SEM Label, attachante structure qu'il mène de main de maître en compagnie de son compère Sasa Vojvodic (Letna) et que l'on prend plaisir à voir sortir peu à peu de la confidentialité coutumière aux sphères ambient à mesure qu'elle s'ouvre à d'autres univers électro plus frontaux et non moins élégants, entre deux réussites transversales telles que le récent Monaco du Canadien Walltapper aux incursions jazzy et africanisantes sur fond de jams psyché, de field recordings dadaïstes et de kosmische music, ou encore Through The Lines, le nouvel album d'Offthesky désormais en écoute sur le Bandcamp du label et qui voit l'Américain Jason Corder phagocyter beats dub, chœurs célestes et autres errances saxophoniques au gré d'une petite demi-heure d'ambient dense et onirique enregistrée live. On voulait donc en savoir un peu plus sur l'homme, son environnement de travail, son quotidien, ses muses et ses envies de musicien, sur ses projets aussi puisque 2012 laissera bientôt place à une année neuve, avec en guise de transition musicale notre compilation à laquelle participe Alexandre avec un nouveau morceau et dont le premier volet vous sera dévoilé dans les heures qui viennent.



L'interview

- Des Cendres à la Cave : Que trouve-t-on dans ta cave - ou dans l'endroit où ta musique prend corps ?

Alexandre Navarro : Des guitares, des médiators, pas mal de pédales, des jacks, une chaise, des amplis, un micro, des moniteurs, un casque, un iPad, un laptop, une platine vinyle, un lecteur CD, un lecteur cassette, un MD (minidisc), des disques, des bouquins, des DVD, une tizio.

- Un certain onirisme caractérise ta musique mais elle évoque également le cosmos, les étoiles ou encore cette dimension cyclique que l'on retrouve souvent en filigrane sur les sorties SEM Label, de la compilation One Minute For The Stars au Circles de Fax. Quelles sont tes muses, tes sources d'inspiration ?

J'aime assez l'idée que nous venons des étoiles et que nous y retournerons... La notion d'infini me rassure, c'est quelque chose de très doux, j'aimerais pouvoir le partager. Je pense que tout est lié, ce qui m'intéresse ce sont les relations entre les choses, pas les choses en elles-mêmes, car ça n'a pas de sens pour moi - la musique est entre les notes disait Claude Debussy, je m'y retrouve pleinement. Ce qui m'inspire, c'est la vie, le quotidien, parfois la musique, parfois un film, une image, un bouquin, les gens, mais c'est juste un besoin très archaique et "primal", . Je n'ai pas une approche conceptuelle de la musique, j'enregistre des guitares et puis ensuite très souvent je resample, redigère l'ensemble, mais ce n'est pas prémédité et ça va assez vite... Mes références artistiques fluctuent avec les saisons et les envies et je n'écoute pas tant de musique ambient en fait !


- Si tu devais associer ton morceau à une image, quelle serait-elle ?

Un chemin.

- Il y a quelques mois, tu as sorti Sketches en cassette chez Constellation Tatsu, quel regard portes-tu sur ce format, que nombre de musiciens électroniques adeptes de l'audiophilie à outrance considèrent avec méfiance ?

Je l'ai pris comme une invitation, le format m'importe peu, même si je l'ai trouvé rigolo, j'ai dû ressortir mon magnéto quand l'album est sorti !
Les formats sont des faux débats pour moi... si on fait encore des disques sur SEM c'est seulement parce qu'on adore avec Sasa concrétiser le travail du label avec de jolis objets sortis de l'imagination de notre ami designer Markus Schäfer (Büro Ink) - pour l'instant on rentre dans nos frais : un album permet d'en faire un autre donc on continue comme ça.


- Plus généralement, tu es un adepte du Do It Yourself par le biais de SEM Label, en quoi consiste ton quotidien de patron de label ?

Je le suis par la force des choses, nous n'avons aucun financement extérieur, aucune aide, donc on se débrouille - en somme avec le temps et l'expérience je me suis mis au mastering pour des raisons purement économiques. Mais tout ça n'est pas si mal, nous sommes des artisans et c'est très bien comme ça, pour l'ego, ça évite de trop enfler !
Sinon, je bosse tous les soirs sur la partie communication et la distribution via les réseaux sociaux et les contacts que je me suis faits au fil des années, je compose tard la nuit quand tout est tranquille (les filles sont couchées !), je n'ai plus trop le temps d'essayer d'organiser des soirées ou de faire des lives et c'est un peu dommage, à un moment j'ai du faire des choix mais rien n'est définitif.

- Alors que sortait cet été un best of des 5 ans du label, l'album Monaco du Canadien Walltapper s'éloignait dernièrement de l'inspiration électro/ambient à laquelle SEM Label nous avait habitués, au profit d'une approche plus frontale et jazzy. Cette sortie est-elle le signe avant-coureur d'une ambition d'ouverture "pop" pour la structure ?

On suit vraiment nos envies et quand j'ai écouté l'abum de Daniel je me suis dit : il faut le faire ! C'est un musicien "transversal" très doué depuis les sorties qu'il avait faites chez Sasa (époque Standard Klik Music)  et puis plus tard sur mon netlabel EKO ainsi que celles de netlabels comme Testube ou 12rec... On s'est dit oui, on le fait - on voit sur le long terme, on aime avoir des gens très différents et les voir évoluer aussi avec nous... J'espère que ça les aide autant que pour moi, c'est aussi un peu le but - donc pour finir "pop" oui pourquoi pas, mais les étiquettes c'est pas vraiment mon truc.


- Offthesky, The Green Kingdom, Letna, Koutaro Fukui, Manrico Montero... de nombreuses sorties sont d'ores et déjà prévues ces prochains mois sur SEM Label. Peux-tu nous en dire plus sur certaines d'entre elles ?


Offthesky, Jason Corder, c'est un type avec qui j'ai vraiment sympathisé, et il est toujours OP, il produit beaucoup avec une grande sincérité, le prochain aura quelques beats abstraits et une vidéo qui va faire parler d'elle je pense... [ndlr : cf. ci-dessous] c'est aussi une collaboration avec Juxtaphona. TGK c' est notre premier artiste sur SEM, on l'a lancé, on a fait son premier album CD et il a enchaîné beaucoup de choses, on a pris notre temps car je voulais le pousser à faire quelque chose de différent et ce sera le cas 5 ans après ! Letna, Sasa Vojvodic c'est mon ami, mon pote,  mon associé, c'est un peu mon Laurent Voulzy aussi, niveau temps de création c'est un peu ça -  LOL - un album tous les 3 - 4 ans... mais là on a décidé de faire un album ensemble qui sortira je pense en avril - mai 2013 (après le mien sur SEM), on a mêlé nos sons et le résultat nous plaît beaucoup. Koutaro prend son temps aussi on attend toujours avec impatience car il peut vraiment surprendre, Manrico c'est pareil, j'adore ce type on l'avait fait venir pour jouer à Paris, c'est une sorte d'esthète-philosophe plein d'humour, un personnage assez génial, il nous tarde d'avoir son disque - et puis j'espère aussi qu'il y aura encore Fax et Walltapper etc. Avec Saito Koji c'est devenu un peu compliqué... Sinon, nous sommes contents de pouvoir annoncer que Josh Mason sortira un album chez nous courant 2013 (c'est le boss du label Sunshine Ltd. de Floride). Les personnes sont importantes sur SEM, on aime bien les connaitre et partager avec eux, ce n'est pas seulement une histoire de disques, j'espère que ça se ressent... Les rencontres sont assez spontanées en fait, elles se font avec le temps, si on avait une stratégie, ce serait celle de continuer, un autre disque puis un autre, c'est la boucle dont tu parlais plus haut.


- Ta veillée de fin du monde, tu comptes la passer comment [ndlr : sur ce coup-là on est un peu en retard] ?

Brancher mon delay sur feedback infini...

- Et si on en réchappe, sur un plan plus personnel, quels sont tes projets pour 2013 ?

... et récupérer le résultat.



Le cadeau d'Alexandre Navarro

Comme on le disait, ça promet de bouger pour SEM Label en 2013, avec notamment des sorties estampillées The Green Kingdom et Josh Mason déjà numérotées au catalogue. Et Alexandre y sera également pour beaucoup en tant que musicien, entre une collaboration avec Letna sous le nom de Redfish et un nouvel album solo, Hozho, qui comprendra une vingtaine de titres assez courts basés uniquement sur des guitares et des effets dans une veine minimaliste comme en atteste cette preview que le Parisien nous dévoile en avant-première :




Quelques liens

- le site officiel d'Alexandre Navarro
- Alexandre Navarro sur Facebook / Bandcamp / Soundcloud
- SEM Label sur Discogs
- Elements commenté sur IRM



Propos recueillis par Rabbit / Photo : Marie L.

dimanche 23 décembre 2012

Trois extraits de Transmissions From The Heart Of Darkness en avant-première !

Avis aux amateurs, ce soir à partir de 18h30 Dirk Geiger dévoilera en avant-première 3 titres de notre compilation en approche, Transmissions From The Heart Of Darkness, dans son émission Maschinenmusik sur Flippinradio. La première partie de ce gargantuesque feuilleton musical, intitulée A Noise At The End Of The Tunnel, vous sera offerte en libre téléchargement via Bandcamp d'ici la fin de l'année. La fin du monde a quelques jours de retard mais n'espérez pas pour autant être épargnés !

Tonight at 18.30 CET, you will be able to listen to 3 tracks from our forthcoming deep and dark compilation Transmissions From The Heart Of Darkness. They will be premiered by mister Dirk Geiger in his Maschinenmusik radio show on Flippinradio. A Noise At The End Of The Tunnel, first part of that huge musical saga, will be available in free download through Bandcamp before the end of the year. Prepare yourself for the one and only end of the world !

mardi 18 décembre 2012

Interview from the heart of darkness : 9/ adamned.age


Fait surprenant, notre compilation à venir ne compte en moyenne qu'une seule musicienne sur chacune des parties qui la compose. Certaines d'entre elles se contentent d'une apparition discrète, une autre s'apprête à vous faire saigner les tympans comme avait pu le faire l'un de ses tout derniers albums chroniqué dans nos pages, et puis il y a Hanne Adam, Hambourgeoise exilée à Berlin dont l'électronica résolument organique et ouverte aux quatre vents se décline en solo depuis 2008 sur une dizaine d'albums et d'EPs, parus entre autres sur les netlabels Clinical Archives, Enough Records, Halbsicht (le temps de l'anxieux et néanmoins rêveur Thousand Yard Stare) ou encore PublicSpaces Lab (avec le très dub After The Rain aux rythmiques libérées) mais surtout chez Camomille Music - écurie montréalaise dont VNDL nous parlait encore récemment - pour l'aquatique et cristallin Eiskind et surtout le fabuleux Fragile tout en arrangements éthérés et en pulsations claires-obscures. Avant, il y avait eu une jeunesse partagée entre formation classique au piano et premières armes aux fûts d'une poignée de groupes punk du cru, puis une douzaine d'années de recherche discrète dans la musique assistée par ordinateur, avec notamment une paire de sorties au sein d'EXurban en compagnie de sa compatriote Tanja Dovens aka Die Minimalistin. Car adamned.age, en musique comme dans les nombreux autres médias dont elle explore inlassablement les correspondances, aime à tracer son petit bout de chemin loin de la lumière des projecteurs, préférant malgré quelques incursions minimal techno l'intimité de son homestudio à la frénésie des clubs de la capitale allemande à l'image de son univers sensible et impressionniste, pétri de maux enfouis et de mélancolie.



L'interview

Des Cendres à la Cave : Que trouve-t-on dans ta cave - ou dans l'endroit où ta musique prend corps ?

Hanne Adam : Vous trouverez en fait toutes mes affaires dans mon salon parce que je n'ai pas de sous-sol sec !
Je suppose que vous pourriez vous interroger quelque peu sur mon "homestudio" parce qu'il n'y a pas tant de choses à y repérer au premier coup d'oeil... Je travaille avec un laptop et un ordinateur, j'ai certains instruments comme une guitare, des claviers, un micro, etc. mais dans l'ensemble ça n'a vraiment pas l'air d'un studio d'enregistrement. Le principal réside à l'intérieur de mes ordinateurs, car je travaille avec un grand nombre de logiciels... de nombreux plugins, de nombreux effets et juste beaucoup d'expérimentation, voilà les principales bases de mon travail. J'aime toujours autant travailler avec Reaktor, Kontakt Player ainsi qu'un certain nombre de "librairies d'instruments réels et artificiels", avec des samplers, des boîtes à rythmes etc. (je ferais mieux de ne pas tous les citer là tout de suite).

DCALC : Tu es basée à Berlin (cf. la photo d'Alexanderplatz prise par Hanne ci-dessous), carrefour incontournable pour les musiciens électroniques de tous bords. Que retires-tu de ce foisonnement créatif ?

Hanne : Je dirais que c'est plus la ville et la vie elle-même qui m'inspirent énormément ! J'aime vivre ici et il s'agit bien d'un carrefour pour toutes sortes de musique, et plus particulièrement pour la scène électronique, mais je suis quelqu'un d'assez isolé et je n'ai pas encore présenté ma musique (électronique) en live, c'est d'ailleurs l'une des choses que j'aimerais vraiment changer dans le futur !

DCALC : On croise malheureusement peu de femmes dans le milieu de l'électro, y a-t-il des musiciennes avec lesquelles tu partages des affinités ou que admires, et trouves-tu chez elles une sensibilité plus particulièrement féminine ?

Hanne : Oui, il n'y en a malheureusement pas autant que de musiciens hommes MAIS, je dois dire que je connais certaines femmes vraiment très talentueuses en musique électronique. Sur ce point, je voudrais faire référence à un réseau de femmes artistes électroniques dont je fais également partie, vous le trouverez à cette adresse : http://www.electronic-ladiez.net.

A ta seconde question sur la sensibilité, je répondrais que les femmes sont un peu différentes dans leur façon de travailler avec du contenu électronique... mais peut-être que ce n'est pas vraiment fixé et qu'il s'agit plutôt d'une tendance... ou peut-être simplement mon sentiment personnel, car il m'arrive de me sentir en opposition avec certains producteurs masculins. Ils mettent souvent l'accent sur des choses comme l'équipement technique, etc. Pour moi, la quantité de matériel que j'ai dans mon studio n'est pas si importante, à la fin seul compte le résultat avec mon intention de transporter et d'exprimer quelque chose, peu importe ce que j'utilise pour y parvenir.


DCALC : Électronica, IDM, dub, techno minimale, ambient, trip-hop, acoustique... ta musique emprunte à de nombreux courants, l'un ou l'autre s'imposant parfois selon les sorties. Quel est ton background musical en tant qu'auditrice ?

Hanne : Je ne suis pas, comme tu as pu le deviner, à l'écoute d'un seul genre de musique. Dans l'ensemble, ça dépend de mon humeur mais j'écoute surtout de la musique électronique, ambient, IDM et de la musique électroacoustique ainsi que de la musique classique, pour vraiment me calmer. J'aime la musique dans laquelle je peux me perdre... comme la musique agencée en couches profondes qui me fait voyager ou simplement m'inspire. D'autre part en tant que batteur j'aime les rythmes, le groove et je préfère les choses à base de beats. Donc, comme tu vois, des écoutes variées à l'image de mes productions...

DCALC : Tu es également photographe, peintre, designer, poète, réalisatrice de films expérimentaux... tes travaux par l'intermédiaire de ces différents médias s'influencent-ils entre eux ?

Hanne : A cette question j'ai une réponse claire : OUI c'est le cas !
La raison de pratiquer toutes ces différentes activités artistiques est de transporter une partie de moi-même à travers diverses compétences et divers médias... Je ne pourrais pas imaginer l'absence de l'une d'elle ! Tu as besoin de chaque pièce pour compléter un puzzle et c'est l'impression que ça me donne...
Tous ensemble, à parts à peu près égales, ces arts deviennent un sujet important de mon expression artistique, il est donc inévitable qu'ils s'influencent mutuellement !
DCALC : Justement, si tu devais associer ton morceau pour notre compilation à une image, quelle serait-elle ?

Hanne : Je ne pouvais pas mentionner une seule image, car cela change constamment devant mes yeux ... Je vois de nombreuses images, comme un flot... la plupart du temps il s'agit d'un état évolutif, je vois toujours quelque chose en progression, parfois très lente et parfois très rapide.

DCALC : Tu as distribué l'une de tes sorties sous forme de clé usb, es-tu satisfaite de cette expérience ? Y a-t-il d'autres idées atypiques que tu souhaiterais mettre en œuvre pour transmettre ta musique ?

Hanne : Oui, c'était une bonne expérience pour moi et cette petite édition limitée s'est écoulée rapidement ! Je suis toujours intéressée par des choses atypiques, en particulier en terme de médias physiques. J'ai pas mal d'idées à l'esprit et souhaiterais les réaliser dès que j'aurai un peu d'argent d'avance. Je ferai en sorte que ce travail garde une dimension manuelle pour lui conserver un caractère unique et fabriqué main, c'est là que va ma préférence !

DCALC : Ta veillée de fin du monde, tu comptes la passer comment ?

Hanne : Comme n'importe quel autre jour ou moment je pense... Je ne sais pas, mais ça n'a pas d'importance à mes yeux et je n'ai pas peur de la fin... peut-être que j'ai appris à vivre chaque jour comme si ça allait être mon dernier... cela ne veut pas dire que je n'aime pas la vie, loin de là ! J'essaie simplement de vivre chaque jour d'une manière très intense ...

DCALC : Et si on en réchappe, quels sont tes plans pour 2013 ?

Hanne : D'abord, je crois que nous allons tous survivre parce que je suis quelqu'un de très positif... même si certains d'entre vous pourriez ne pas y croire...
J'ai des projets vraiment importants pour 2013 et je suis très occupée à la construction d'une petite entreprise, donc l'année prochaine sera la mienne, c'est sûr ! Et bien entendu, je continue de me battre pour ma santé... ça sonne mieux que de se battre contre quelque chose, n'est-ce pas ?...



Le cadeau d'adamned.age

En attendant de pouvoir découvrir le scintillant et non moins troublant Key To Secret Doors dont le spleen glitchy et foisonnant sera l'une des rares bouffées d'oxygène de notre compilation, Hanne Adam nous offre un inédit mêlant musique et poésie en allemand dans une veine nettement plus viciée et désespérée. Ça s'appelle Lebensversuche et on vous a même mis le texte, écrit il y a une douzaine d'années... avis aux germanophones, on espère toujours une bonne traduction :


Ich bin so verzweifelt wach,
alles erneute lebensversuche,
die sich im nichts verirren
so sehe ich mich in anderen
zusammenhängen
und höre so nun schon lange
mein lautes schweigen
dann will ich aufstehen,
mich befreien,
doch bin ich knochenlos
und muskelleer
nichts übrig, was mich trägt,
mich selbst,
nichts mehr.
Die wahrheit ist in den
asphalt gebrannt,
alles lebensversuche
die sich verirrt haben,
sehe ich uns alle
in anderen zusammenhängen
ich bin so wach,
so verzweifelt.



Quelques liens

- le site officiel d'adamned.age
- adamned.age sur Facebook / Soundcloud / Bandcamp 



Version originale

Des Cendres à la Cave : What can one find in your basement - or wherever your music takes shape ?

Hanne Adam : You will actually find all my stuff in my livingroom because I didn't have a dry basement !
I guess you may wonder a bit about my "homestudio" because I really got not that much you can see on first glance... I am working with a laptop and a computer, got some instruments like guitar, keys, mic, etc. but all in all it really didn't look like a recording studio. The main stuff is inside my computers because I work with a lot of software... many plugins, many effects and just a lot of experiments are the main basics for my work. I still love to work with Reaktor, Kontakt Player plus a lot of "real and artificial instrument libs", with sampler tools, drum machines a.s.o. (I'll better do not list them all now).

DCALC : You're based in Berlin, an important crossroads for electronic musicians of all kind. What does that creative profusion bring to you ?

Hanne : I would say it is more the city and life itself which inspires me so much ! I love living here and it is of course a crossroad for all kind of music, and especially for the electronic scene, but I am a quite secluded person and I didn't presented my (electronic) music live yet, but this is one of the things I'd really like to change in the future !

DCALC : Unfortunately we meet only a few women in electronic music, are there some female electronic musicians with whom you share affinities or which you admire the work ? Do you recognize in their work a degree of feminine sensitivity ?

Hanne : Yes, unfortunately there are not as many as male musicians BUT, I must say, I know some really really good women in electronic music. On this point I would like to refer to a Network of female electronic artists I am also listed in, you'll find it under : http://www.electronic-ladiez.net.

To your second question about the sensitivity, I would say women are a little different in the way they work with electronic content... but maybe this is not very hand-tight and more a tendency... maybe just my own feeling cause I sometimes feel myself so contrarious to some male producers. They often put other emphasis on things like technical equipment a.s.o. To me this is not so important how many hardware stuff I have in my studio, in the end there is the result with my intention of transporting and expressing something, no matter what I am using to achieve that.


DCALC : Electronica, IDM, dub, minimal techno, ambient, trip-hop, acoustics... your music is soaked in many different streams, one or the other sometimes getting the upper hand. What is your musical background as a listener ?

Hanne : I am, as you could guess, also not a listener of just one music genre. All in all it depends on my mood but I mostly listen to electronica, ambient, IDM and electroacoustic music as well as classical music, to really calm down. I love music I can get lost in... like deep layered music that takes me on a trip or just inspires me. On the other hand as a drummer I love rhythms and grooves and prefer the beaty stuff. So, as you see, a varied listening comparable to my productions...

DCALC : You are also a photographer, painter, designer, poet, experimental filmmaker... Does your work through these different media influence each other ?

Hanne : To this question I got a clear answer : YES it does !
The reason for doing all the different arts is to transport a part of myself through various artistic skills and media... I could not imagine the absence of one of them ! You need every piece to complement a puzzle and this is what it feels like...
All together, in nearly equal parts, becomes an important subject of my artistic expression, so it unavoidable DO influence each other !

DCALC : If you had to associate your track to an image, what would it be ?

Hanne : I couldn't name just one image because it is always changing before my eyes... I see many images like in a stream... mostly it is a non constant state, I always see something moving forward, sometimes very slow and sometimes quite fast.

DCALC : You distributed one of your releases as a usb flash drive, are you satisfied with this experience ? Are there any other atypical idea that you would like to try as a new way to share your music ?

Hanne : Yes, it was a good experience to me and this small limited edition was out of stock fast ! I am always interested in atypical stuff, especially physical media. I have a lot in my mind and would like to realize it when I got some cash in advance. I will keep the most work in my hands so it keeps the more unique and handcrafted character, I do prefer !

DCALC : How are you going to spend your end of the world eve ?

Hanne : I think like any other day and moment... I don't know but it doesn't matter to me and I am not afraid of the end... maybe I learnt to live every day as if it will be my last... it does not mean I do not like living, far from it ! I just try to live every day in a very intensive way...

DCALC : And if one survives, what are your plans for 2013 ?

Hanne : First I believe we all will survive because I am a very positive thinking person... even if some of you might not believe...
I got really big plans for 2013 and am very busy on building up a small business, so the next year will be mine for sure ! And of course I am still fighting for my health... sounds better than fighting against something, doesn't it ?...



Propos recueillis par Rabbit

mardi 4 décembre 2012

Interview from the heart of darkness : 8/ Stolearm


Quand il ne mène pas la barque toute de bric et de broc de son netlabel Linge Records, dont on suit avec intérêt et le sourire aux lèvres depuis sa toute première référence en 2010 les tours de machine à délaver les textiles synth-pop et noise-rock trop proprets à coups de fusions truculentes et barrées, c'est en tant que Lühje Dallage que l'ex Lyonnais et désormais Montpelliérain Lucien Dell Eglio électrise l'indus et la new wave d'ici avec son projet Stolearm. A quelques semaines de la sortie de Glasslight Schwarzfaçade, successeur attendu de Marbles And Pearls qui compilait lui-même en libre téléchargement les face-B et remixes ovniesques du sombre et décadent An Index Of Failure avec des influences allant de la synth-pop au shoegaze en passant par le dub ou l'ambient, Lühje nous éclaire avec la passion des vrais écorchés sur ce qui inspire et façonne son univers, dépositaire d'un romantisme dark en voie d'extinction.




L'interview

Des Cendres à la Cave : Que trouve-t-on dans ta cave - ou dans l'endroit où ta musique prend corps ?

Lühje Dallage : Beaucoup de cassettes enregistrées (avec conneries vocales, sons, albums), des CD-r sans nom et sans boîtier, du café, des bonbons, plein de papiers, des cartons accrochés aux murs, un Yamaha DX7 et un vieux Casio SK-1 sur lequel j’ai connu mes premiers émois électroniques.

DCALC : Si tu devais associer ton morceau à une image, quelle serait-elle ?

Lühje Dallage : Deux personnes qui attendent le bus digital, les mains rougies par le froid, se goinfrant de réglisse en spirale. On sait pas si ils sont extrêmement heureux ou désespérément tristes. En tout cas, y'a des fantômes derrière tout ça.

DCALC : Ton nouvel album Glasslight Schwarzfaçade doit sortir dans quelques semaines, avec une approche plus frontale et mélodique, presque "pop". Quelles ont été tes sources d'inspiration pour ce disque ?

Lühje : Concernant la musique, 3 ou 4 morceaux ont été composés pendant mes 3 ans à Lyon, juste après la composition du LP Index Of Failures, et tout le reste de l'album a été fait les 2 dernières années à Montpellier.
L’album est très influencé par des images : celles de la ville en hiver où tout le monde trace sa route dans le froid, contemple et ferme sa gueule, la lumière solaire de cette saison. Il est également influencé par beaucoup de rêves que j’ai faits (dans lesquels de la musique émergeait que j'ai pu noter au réveil), et par des gens.
Je ne sais pas si cela va s’entendre, mais durant les 2 dernières années, j’ai énormément écouté quelques albums de groupes que je n’aimais pas plus que ça avant, et dont je suis à présent entiché : Force et To Each de A Certain Ratio, Gang Of Four avec Entertainment. Autrement, il y a aussi Seefeel, les 3 derniers albums de Gary Numan, Pygmalion de Slowdive et Spirit Of Eden de Talk Talk. Bref que du vieux, je suis en retard, et pressé d’être dans 10 ans pour découvrir les années post 2000 !


Pour le coté pop et frontal, c’est surtout que j’avais envie de faire un album plus clair et lisible, envisagé comme « album » dès le début de la production, avec un peu plus de place accordée à la voix. C’est la première fois que je fais vraiment ça.

DCALC : "Romantique" et "crépusculaire" sont les deux adjectifs qui nous viennent immédiatement à l'esprit à l'écoute de ta musique en tant que Stolearm. As-tu l'impression que le romantisme est moribond, en musique ou dans la société ?

Lühje : Le romantisme maintenant, c'est la Saint Valentin et le dîner aux chandelles, quoi. Cette question va peut-être un peu trop loin pour moi. Peut-être qu'il est de plus en plus moribond, car il est écrasé par tous les flux qu’on subit, surtout quand on habite en ville : pub, Internet, au boulot... on est obligé d’aller bien tout le temps, alors qu'on galère, on nous laisse aucun temps pour profiter, réfléchir et apprécier, même les plus délicieuses « souffrances » (romantiques). Ça va avec le fait que pas mal de gens veulent tout, tout de suite, une solution immédiate à tel problème, faire tout comme tout le monde, trouver des explications rationnelles à tout, etc. La musique, elle, permet d'en faire un concentré, d’immobiliser ce moment où cet espèce de post-romantisme est à son paroxysme.
Sinon c’est marrant, tu dis "crépusculaire", pourtant le dernier album à été composé presque tout le temps en début de matinée ou en début d’après-midi, j'ai des images très lumineuses en tête.


DCALC : On rapproche naturellement ton univers de l'indus et de la cold wave, quel rapport entretiens-tu avec ces deux mouvements en tant qu'auditeur ?

Lühje : Ça m'énerve pas mal car ces genres ont souvent été enterrés dans des vilains placards gothiques sectaires, mais statistiquement c’est vrai que j'en écoute beaucoup. Depuis que je suis gamin, j’avais des cassettes et des vinyles de ce genre de trucs qui traînaient dans la bibliothèque de mon père, et ça me terrorisait et me fascinait à l’époque. Cabaret Voltaire, The Residents (en jouant aux legos), The Cure, Eyeless In Gaza, il y avait même Closer de Joy Division enregistré dans le désordre sur une cassette, vitesse ralentie, tout ça c'est des artistes qui ont sûrement formé mes goûts, peut-être parce que c’est rattaché à des bons souvenirs insouciants. Ou alors c’est peut-être tout simplement à cause des synthés, de la recherche sonore autre que acoustique, des climats et des voix assez étranges.
Même si ça fait partie d’une grosse tranche du camembert, je pense vraiment écouter de tout, ça serait trop glauque sinon. En ce moment je me sens attiré par la musique Gnawa, Funk et Brit-pop FM vide-tête.

DCALC : Difficile de ne pas aborder le sujet de ton label Linge Records, qui semble très attaché à l'éthique DIY et s'emploie à mettre en avant des musiques singulières voire incongrues avec autant de sincérité que d'humour décalé. Vois-tu Linge come une sorte de collectif ? Quelles valeurs et quelles influences ses artistes partagent-ils ?

Lühje : J'allais t'en parler, par rapport à l'indus et le sujet d'avant. Sur le label on a un mec excellent, Tape 300, qui se définit comme de "l'indus rigolo". Je trouve que ça résume bien Linge Records. Ce genre avec une fanbase assez "sérieuse" mérite d'être décoincé avec un iconoclasme potache tel que celui de Tape 300.


Pour revenir au label, il s'agit bien d'un collectif mélangeant arts plastiques, performance et son/musique. On est intéressé par le côté humain de la musique, ses failles et ses belles erreurs, autant dans la dance autotunée, que les musiques orientales, rock indé, ambient, ou power electronics. On se concentre surtout sur le côté conceptuel et ludique, et on veut rassembler le maximum de groupes qui sonneraient à la fois accrocheurs et hyper-déroutants pour un individu lambda (on pourrait dire pop / expérimental ?). En fait, on essaie de se réapproprier, valoriser, faire lumière sur les musiques délaissées et pourtant pleines de charmes, de genres et d'horizons totalement étrangers et qui pourtant forment un tout cohérent et réjouissant. Au final, il doit y avoir une politique spécialement Linge Recordesque, on a surtout besoin de désacraliser des choses, d'aller à contre-courant de tout ce qu'on voit, contre les trucs formatés et consensuels. Bref, "à refaire" !

DCALC : Tes performances live sont très physiques, quelle est ton principal "objectif" quand tu montes sur scène ?

Lühje : L’objectif c’est surtout de prendre du plaisir à jouer, et que les gens ne s’emmerdent pas et bougent. De toute manière, les gens s’en foutent d’écouter de la musique, tout ce qu'ils veulent c’est des claques dans la gueule ! Et boire des bières avec les copains ! On a des connaissances qui n’aiment pas Stolearm sur disque, c’est pas leur truc du tout, pourtant ils viennent au concerts car ils aiment la performance.


Et puis nous aussi on aime s'éclater comme si c'était le dernier concert, et pour que les gens ne soient pas venus pour rien.
Il y aussi un échange physique très motivant avec le public et je trouve ça aussi normal, cet aspect, car c’est une musique souvent composée assis sur une chaise en buvant un truc, avec des câbles à brancher, des fichiers à sauvegarder, des machines à programmer. Et quand on joue ça en concert, ça prend forme. De plus, on bosse sur scène avec des machines qui ont beaucoup de paramètres imprévisibles et qui menacent de planter à tout moment. En fait, ce danger donne vraiment des impulsions d’adrénaline (tout comme le fait que tu risques aussi de te casser la gueule ou de te fouler la cheville.)


DCALC : Ta veillée de fin du monde, tu comptes la passer comment ?

Lühje : Excellent, cette vision de « fin du monde » chronométrée, j’y ai refléchi déjà : attentat sonore, ou avec 4 ou 5 bons amis seulement à boire des coups en écoutant des bons disques, ou seul dans une chambre anéchoïque. Je sais pas. Ce qui est sûr c’est que ça va être drôle, à force d’y croire et même pour déconner, des gens vont vraiment péter les plombs !

DCALC : Et si on en réchappe, quels sont tes plans pour 2013 ?

Lühje : Tourner avec le groupe au complet (à 4, guitare / basse / batterie / machines) qui sont avant tout des amis géniaux. Voir le maximum de gens, sortir en version physique (CD, vinyle) ce foutu nouvel album (entre décembre 2012 et mars 2013), trouver un label intéressé et intéressant.



Le cadeau de Stolearm


Le morceau que Stolearm a concocté pour notre compilation et qui apparaîtra sur sa première partie (car il y en a plusieurs... voilà, c'est dit !) s'intitule Pallid Leftovers. Mais en attendant, c'est un certain Draws My Love que nous livre le musicien en avant-première, extrait de l'EP Snake And Windmills en collaboration avec une dénommée Cécile Raynaud aka Drunken C que Stolearm nous annonce très varié, "entre shoegaze, ambient psychédélique et indus noise". En témoigne ce titre particulièrement prometteur qui confronte romantisme goth, rythmiques percutantes et arrangements nébuleux, quelque part à la croisée de NIN et du Garbage de la grande époque :
 



Quelques liens

- le site officiel de Stolearm
- l'album Marbles And Pearls commenté sur IRM
- Linge Records sur IRM / Bandcamp / Facebook



Propos recueillis par Rabbit / Crédit photo : Nathalie Sicard

vendredi 30 novembre 2012

RM74 - Two Angles Of A Triangle


Date de sortie : 8 décembre 2012 | Label : Utech Records

Ural Umbo, Pendulum Nisum, Sum Of R, Herpes Ô DeLuxe, Utech, Hinterzimmer et j'en passe. Toute une frange extrêmement grise et minérale de la mappemonde musicale qui aime en explorer les plus sombres recoins pour y débusquer la moindre parcelle de lumière. À ce petit jeu-là qui tient plus de la gageure que de la récréation, RM74 n’est pas le plus malhabile. Il sait nous faire flipper et se montrer pour le moins austère tout en malaxant des plages de pure beauté. Ses instrumentaux assaillent toujours l’auditeur d’émotions contradictoires : prendre les jambes à son cou où s’y lover pour de bon.  Béatitude inquiète. Terreur apaisée. Même pas peur mais un peu quand même. Du dégueulasse, du glacial, du sombre et du beau, d’un morceau à l’autre, de l’entame à l’épilogue, d’un mouvement à l’autre, dans le même morceau. Reflex balançait sa chauve-souris à la gueule : un marécage aux vapeurs nocives. Des instruments ordinaires amalgamés à d'autres plus exotiques. Surtout, un mur de guitares, de claviers et de cordes déjà en ruine dès le départ, soulevant un épais nuage de poussière noire qui engloutissait les vestiges d'un requiem gris. Two Angles Of A Triangle poursuit cette même voie. Le bourbier jamais loin mais l'enluminure plus près encore. Cette fois-ci, une pochette façon homme de Vitruve mais qui substitue une abeille au corps idéal de De Vinci. Plutôt que de s'inscrire au repos dans un carré, celle-ci se déploie sur une forêt de triangles tout en se tenant toujours au contact du cercle parfait. Belle illustration d'un disque anguleux aux reflets anthracites dont le bourdonnement tient en haleine plus d'une heure durant.

Betwixt s'installe tranquillement, sournoisement. Une note continue, aigüe, contigüe qui gonfle et gonfle encore, vite rejointe par des nappes abstraites qui enveloppent tout. Solennel, le morceau l'est forcément. Inquiet aussi. Puis solaire lorsque les guitares se pointent. Des guitares qui se déploient vers le bas et semblent suivre le même mouvement qu'un rideau de pluie. D'une entame KTL moribonde, on se retrouve bien vite devant les errances d'un Fennesz délavé et teinté de multiples nuances de gris. Rien à voir avec Spineless et son piano déformé qui, cette fois-ci, évoque Cindytalk mais en beaucoup plus sale et amplifié. Et puis de toute façon, ici, les références ne servent à rien, car si RM74 ressemble à quelque chose, c'est avant tout à lui-même. Reto Mäder sait ce qu'il fait et ce depuis tellement d'albums que c'est bien lui qu'il faut et faudrait citer. À toutes les sauces, tout le temps, dès qu'un disque de dark ambient à guitare cingle dans la marre encombrée. Au bout du bout de toutes ces années, on pourrait au minimum parler de maîtrise. Mais il s'agit bien plus d'expertise. Expertise dans l'art de mêler les textures, de draper les guitares d'un linceul de drones abstraits, de déployer le martellement monomaniaque de quelques touches de piano dans un réseau complexe d'émotions souvent contradictoires, de faire naître la beauté au plus profond de l'abîme, là où tout est noir, froid et hostile. Une véritable expérience, un album dense qui a quelque chose à faire passer et non pas un chapelet d'ambiances bien construites mais totalement vaines. Reto Mäder aime trop pointer les ecchymoses, interroger notre part d'ombre en faisant le pari qu'il s'y cache des choses qui méritent de remonter à la surface pour se contenter de ne livrer qu'un disque qui supporterait une écoute désincarnée.

Il s'agit ici de réserver son temps, d'être totalement dans le disque pour ne pas en brouiller le message. Au risque d'en rater tous les détails. Et ils sont nombreux à se planquer un peu partout derrière les angles et les lignes droites que tracent les morceaux : on a déjà évoqué les guitares liquéfiées de Betwixt que l'on retrouve d'ailleurs disséminées un peu partout dans le disque (A Shimmer Of Bronce), mais il y a aussi les cloches (Because Of The Slow Shutter Speed), les gouttes de son perlées et percussives (Orkas Dream), les guitares travesties en sitar (May 30 2012), les ondes folles à lier (We Run In Vicious Circles, le parfaitement bien nommé), le piano tantôt lointain (Fen Fire), tantôt en avant (Spineless), toujours triste à mourir, toujours beau, les parasites qui vrillent les notes, les dénaturent, les font passer pour ce qu'elles ne sont pas, la légère saturation qui rend le disque un peu crade mais fait ressortir tout l'éclat et toute la pureté d'un instrument qui passe soudain au premier plan. Les morceaux s'enchaînent et ne se ressemblent jamais, impressionnants le plus souvent (Samsa, Show Me The Shadow Of The Sun pour éviter de les citer tous), tour à tour hymnes à la solitude, à l'abstrait, requiems sombres, comptines déglinguées, drones maousses ou vaporeux et parfois même tout cela dans une même pièce scindée en deux, dynamitée en son milieu par l'irruption d'un mouvement que l'on pressentait mais que l'on n'attendait pas, ou en tout cas pas à ce moment-là. Le disque manipule, modèle, tranche dans la chair, malaxe, sculpte l'espace autour du lui, joue avec les émotions qu'il provoque, s'amuse à faire peur ou arbore un rire grinçant qui glace le sang.

Une épopée majeure, un autoportrait vif et cinglant qui n'arrondit pas les angles, un reflet qui n'épargne rien mais ne rejette pas la beauté, une peinture qui interroge l'intime et n'hésite pas à atteindre le fond. Un disque parfaitement abrité par le fondamental Utech Records qui continue son travail d'archivage de tout ce que notre petit monde peut compter de sale et d'intéressant. Alors, chef-d'œuvre ? Peu importe, Two Angles Of A Triangle est en dehors de ça, au-dessus, au-dessous, à côté ou tout autour. Dans son monde. Et il nous tend la main dans un mouvement qui tient autant de l'accolade que de l'étranglement.

Grand.

leoluce


jeudi 29 novembre 2012

Interview from the heart of darkness : 7/ Nebulo


Nebulo, on en parlait déjà au tout début de notre série d'interviews avec le Canadien VNDL qui l'avait convié à croiser le fer sur l'un des sommets de son Gahrena: Paysages Électriques sorti en juin dernier, et encore pas plus tard qu'hier en compagnie de Nicolas Godin avec lequel l'auteur du récent Cardiac avait publié plus tôt dans l'année l'OVNIesque 5 Cadavres Exquis, télescopage sans concession d'électro-noise baroque, de dark ambient caustique, d'expérimentations analogiques et de krautrock déstructuré. Un timing idéal en somme pour laisser la parole à Thomas Pujols dont la discographie - surtout à partir du versatile Ãvutmã qui entérinait en 2008 un univers glitchy et foisonnant et à mi-chemin de la contemplation onirique et du déferlement malaisant, appelé à culminer deux ans plus tard sur l'anxiogène Artefact aux concassages ultra-texturés aussi ardus que fascinants - aura réussi l'exploit de placer un français sur la carte des producteurs les plus singuliers et néanmoins influents de la scène IDM actuelle. De son background bordelais d'étudiant en musique à la genèse de Cardiac en passant par ses relations avec Hymen Records ou ses ambitions de compositeur de cinéma, Nebulo se livre enfin, au compte-gouttes certes et toujours à demi masqué mais 100% passionné, nous offrant même au passage une surprise de poids pour patienter jusqu'à la sortie de notre compilation : il y apparaîtra en effet avec l'inédit Grey, dont on ne s'est toujours pas remis...



L'interview

Des Cendres à la Cave : Que trouve-t-on dans ta cave - ou dans l'endroit où ta musique prend corps ?

Nebulo : J'ai maintenant la chance d'avoir une pièce dédiée à ma musique, un vrai mini studio.
On n'y trouve pas grand chose mis à part mon matériel, sur lequel je ne n'épancherai pas
Une fenêtre qui donne sur des arbres, 2/3 photos dont l'une est un panoramique de San Francisco pris par Muybridge en 1878.


DCALC : Si tu devais associer ton morceau à une image, quelle serait-elle ?

Nebulo : Mmmm, je ne sais pas trop, cela ne m'évoque pas vraiment une image.

DCALC : Tu es récemment sorti de ta discrétion coutumière pour collaborer avec Druc Drac alias François Dumeaux (sur l'album Urbatectures, inspiré des Cités Obscures de Schuiten et Peeters), VNDL (sur son récent Gahrena: Paysages Électriques) ou encore sur les 5 Cadavres Exquis du label Stomoxine de Nicolas Godin (avec Druc Drac toujours, Picola Naine et Alan Doe). As-tu ressenti le besoin de te frotter à d'autres sensibilités musicales pour faire évoluer ton univers ?

Nebulo : Non il ne s'agit pas d'un besoin, en général il s'agit de projets que l'on me propose et si ça me parle j'y participe. Bien sûr, le fait de collaborer apporte plein d'éléments intéressants sur la manière d'envisager / de faire / de penser la musique. On se retrouve souvent surpris par ce que l'on obtient et tant mieux.


DCALC : Cet art du collage influencé par la musique concrète qui préside à 5 Cadavres Exquis caractérisait aussi tes premiers albums. Quels constats, quelles expériences t'ont amené à changer ta façon de travailler pour Cardiac ?

Nebulo : Disons qu'après Artefact, qui avait été conçu assez méticuleusement, j'ai eu envie de m'amuser un peu plus. C'est toujours un va-et-vient entre les approches au gré des albums.
Le point de départ a donc été de renouer avec une approche plus ludique et spontanée.
J'étais en manque de jeu rythmique et je me suis retrouvé à être assez obsédé par les kicks, comment faire sonner un kick, les claps également. Renouer avec une approche très simple, du 4/4.
Et ensuite, la cassette, le fait de repasser pas mal de pistes à travers les cassettes, aller chercher le souffle, abimer le son, le distordre, le patiner.
J'avais 2 ou 3 morceaux finis mais c'est vraiment à l'été 2011 que j'ai lancé le processus de Cardiac : j'ai fait chaque jour une esquisse, un début de morceau, et le lendemain un nouveau. Etc...
Au final, je me suis retrouvé à avoir des dizaines et des dizaines de pistes qui faisaient 1 à 2 minutes, et tout ça se ressemblait, des modules qui se complétaient et allaient dans une direction assez claire. J'ai gardé ce qui me plaisait et j'ai commencé à développer, et petit à petit ce nouvel album s'est fait.


DCALC : Ta musique a gagné en chair et en émotion sur des titres comme Asht ou Icon au contact d'une instrumentation plus traditionnelle et d'une utilisation accrue des field recordings, mais aussi en groove avec des morceaux IDM d'influence plus "old school". En quoi ces deux approches ont-elles libéré ton inspiration ?

Nebulo : Même si il y en a ci et là, il y a finalement assez peu de field-recording à proprement parler dans cet album, c'est vraiment sur Artefact que j'avais travaillé là-dessus. Mais ça laisse des traces.
Mes rythmiques sont plus que jamais construites à partir de sons divers et variées que j'enregistre.
Il y a quelques instruments mais pas tant que ça en fait.
C'est le parti pris de l'album qui va vers ce que tu dis.
Sur Cardiac, le bon exemple est  un morceau comme Redkosh, avec son beat presque housy, son thème ritournelle, et c'est typiquement une chose que je n'aurais jamais faite avant. J'ai fait 15 versions de ce morceau pour finalement en revenir à la première version que j'avais faite très rapidement, car j'avais perdu l'essence du morceau, sa fraîcheur.
Tel que je le vois c'est accepter la dimension « pop » au sens large,  l'immédiateté. En tout cas ça a débloqué quelque chose.
C'est un titre que j'aime beaucoup.
C'est donc peut-être de ça dont tu parles quand tu dis « libéré », en tout cas je le vois aussi comme ça.


Plus techniquement, je me suis beaucoup plus penché sur  la production à proprement parler qu'à l'habitude, et avec un plaisir certain.
Je voulais que les beats soient percutants.
Une fois le morceau écrit dans le temps, réfléchir à comment le mettre en valeur, quels choix adopter  pour le  faire sonner.
J'avais envie d'avoir un album axé autour de la pulse, avec peu de morceaux, et tous assez différents l'un de l'autre, le tout dans une production soignée, avec un beau spectre de fréquences.
Le souffle quasi permanent doit participer de ça.
Et là, peut-être que c'est le côté « chair » que tu évoques...


DCALC : Tu as étudié la musique électro-acoustique au conservatoire de Bordeaux. Mis à part piano et percussions auxquels tu infligeais déjà divers traitements digitaux sur tes précédentes sorties, as-tu un background d'instrumentiste ?

Nebulo : Je sais jouer en surface de quelques instruments comme le piano ou la guitare. Et ça me sert beaucoup pour travailler ma musique, chercher, faire des prises de sons etc...
Mais je ne suis pas du tout ce que l'on appelle un instrumentiste, c'est juste un moyen parmi d'autres.

DCALC : On pense à Ligeti à l'écoute de certains morceaux d'Artefact, dirais-tu que l'avant-garde du classique contemporain, dont l'ambient se nourrit déjà depuis Brian Eno, est importante pour l'avenir de l'IDM dont certains des pionniers se réclamaient déjà de Stockhausen, Steve Reich ou John Cage ?

Nebulo : Franchement, je ne connais pas assez ni n'écoute assez l'avant-garde contemporaine dont tu parles pour pouvoir bien te répondre. Mais en tout cas, je pense que regarder ailleurs, s'inspirer de travaux émanant d'autres courants, d'autres sphères n'a que du bon.
Cage / Reich / Ligeti que tu cites sont toujours d'actualité. Cela peut permettre de dézoomer de la « geekerie », de l'aspect purement démonstratif techniquement que peut avoir ce courant et que je ne trouve pas spécialement intéressant.


DCALC : Tu es féru de cinéma. Composer un jour des bandes originales, cela fait-il partie de tes objectifs, de tes envies ?

Nebulo : Oui, à fond, j'adorerais faire cela sur un projet de film qui me parle, et où je puisse faire un vrai boulot de recherche sonore et musicale.
Le comble étant que je supporte en général assez mal la musique dans les films, car c'est vraiment souvent sur-illustratif, et l'on tombe trop souvent sur l'écueil du type « corde sensible au piano / quatuor de cordes » ou bien sur des films aux séquences clipesques avec tel ou tel morceau pop ou électro. Et cela me fait sortir du film.
Je n'entends pas souvent une musique qui joue en dehors de ces ornières, et c'est dommage, car il y a plein de choses à faire.


DCALC : Tu es fidèle à l'écurie allemande Hymen Records depuis ton premier album Kolia sorti en 2006, quel regard Stefan Alt porte-t-il sur les disques des artistes du label avant sortie ? S'implique-t-il dans le processus créatif par le biais de remarques, de conseils ?

Nebulo : Je pense que cela doit varier avec les artistes et leur demande, mais me concernant je suis 100 % maître du processus créatif.
En général, quand j'ai quelque chose qui commence à se dessiner dont je suis content, mettons 4/5 morceaux et que j'entrevois la possibilité d'un nouvel album, je les fais écouter à Stefan pour avoir son avis. Et jusque là, il s'est toujours montré enthousiaste, et ensuite le plus souvent je lui fais écouter l'album 80/90 % fini, puis encore après l'album 100 % bouclé.
En tout cas la discussion est toujours super ouverte à tous niveaux. Si j'ai besoin d'un conseil il me le donnera.
A la base il s'occupait des pochettes mais sur les deux derniers, j'avais une idée très précise de ce que je voulais, je lui ai donc soumis une maquette et il a réalisé les livrets CD.
Pour le titre du dernier album, c'est lui qui m'a encouragé à choisir Cardiac. J'avais, avec quelques autres idées, ce titre en tête ou « Arcadic » qui est son anagramme. Mais je n'osais pas trop, du fait du sens trop fort. Et au final, j'en suis très content.
Je voulais que ce soit direct, et que ça parle du rythme, du battement.


DCALC : Ta veillée de fin du monde, tu comptes la passer comment ?

Nebulo : Sûrement au coin d'une cheminée avec une bouteille de vin et un chat.
Ou maintenant que j'y pense, peut-être en regardant des streamings vidéo des personnes rassemblées sur les points de sauvegarde type Bugarach, ça peut être drôle.

DCALC : Et si on en réchappe, quels sont tes plans pour 2013 ?

Nebulo : Plein d'autre musique est en préparation et des trucs sortiront très certainement en 2013 !




Le cadeau de Nebulo

Unanimement célébré dans les milieux autorisés comme l'un des tout meilleurs albums IDM de l'année, Cardiac n'a pas encore livré tous ses secrets à ceux qui se sont contentés de la version digitale en écoute sur le Bandcamp d'Hymen Records. En effet, le vinyle limité à 100 copies et toujours disponible ici contient pas moins de trois inédits : le fantomatique Pss aux beats presque techno-indus dont on peut entendre un court extrait par là, l'intense et lapidaire Casiobones à découvrir plus haut mais aussi - et surtout ! - I'm Spartacus, petit chef-d’œuvre d'épure tout en pulsations deep et nappes insidieuses que le beatmaker à accepté de nous prêter en exclusivité pour cette interview. Enjoy !




Quelques liens

- Nebulo sur IRM / Soundcloud / Facebook / Mixcloud
- chronique de Cardiac sur IRM
- chronique d'Artefact sur IRM


Images extraites du trailer de Cardiac :



Propos recueillis par Rabbit